Il y a cinq ans, annonçant sur Facebook les titres de deux chroniques à venir pour Diacritik – Blutch à Strasbourg : Dialogues dans un autre paysage ; John Cage & après – je précisais le « principe » qui les sous-tendait : « Il ne s’agit pas d’un journal tenu par un critique, mais d’un journal dont l’écriture est perpétuellement en situation critique, comme au bord du précipice. » Je retrouve ces mots dans l’espace Souvenirs de ce réseau social, sans être absolument certain d’être aujourd’hui en parfait accord avec eux. Mais si j’y réfléchis, il me semble clair que ce précipice se trouve tout d’abord – et même matériellement – dans la tête : dans l’espace mental que construit le rêveur du Terrain vague quand il esquisse ce « journal de lecture » dont les chroniques ici publiées ne proposent que des états provisoires.

Ranger l’atelier. Reparcourir les livres dont on n’a su parler sur le moment et se demander si ce silence sera définitif – ou non. Ce peut être rageant de ne pas trouver les mots ; mais, quand on y songe, ce n’est parfois pas plus mal, car c’est un véritable soulagement que d’éviter de rapporter avec maladresse ce qui nous a touché, parlé, chuchoté, fait signe… ou nous a tout simplement fait plaisir : un plaisir éphémère que l’on aimerait faire passer – mais comment ? –, sans en rajouter, et qui ressurgira peut-être un jour sans prévenir, nous apportant enfin les quelques mots susceptibles de traduire notre expérience de lecture.

À la frontière, on peut ressentir un certain détachement envers ce qui ne cesse de tomber en toutes saisons, tout en entretenant une curiosité maladive pour ce qui a le pouvoir de relancer l’attente, en la décevant. Aujourd’hui, c’est bande dessinée, avec cet etc. relatif à de trop rares débordements du champ qui, s’ils ne satisfont guère les aficionados de la BD, comblent les amateurs d’imbrications inédites entre les mots et les images.

On peut désirer en finir avec un personnage ou une série : Hergé aurait bien aimé en finir avec Tintin, mais il a dû s’atteler à produire, certes en prenant son temps et entouré d’une fidèle équipe, quelques albums de plus – de trop ? –, parce que la peinture n’a pas voulu de lui. Mais c’est une autre affaire que d’en finir avec un domaine aussi vaste, aussi mal délimité (et tant mieux) malgré tant d’efforts accumulés ces dernières décennies, que la bande dessinée – genre ou forme bénéficiant de librairies spécialisées, de sites dédiés, d’exégètes monomaniaques, et de quelques grands festivals dont on attend chaque année la reprise.