Récit qui se tient sous la ligne des sables du récit impossible, chant de l’effacement, des mots qui refluent vers le silence, dispositif mémoriel creusé par l’oubli (dispositif veillant à ne pas forclore l’oubli), troué par la blancheur d’Alger, Page blanche Alger laisse l’enfance, la mère défunte, l’Algérie, Mohammed, les Arabes massacrés durant la guerre d’Algérie se dire eux-mêmes. Les phrases qui se posent se voient soumises au tropisme du dépeuplement, de la clandestinité de vies, d’une langue taillant « la biographie d’une absence ».
Auteur : Véronique Bergen
Jean Védrines dans L’Enfant rouge a placé sa focale à ras-de-terre. On voit, on entend tout à partir du regard d’un enfant. On ne va pas au-delà. Le roman s’arrête quand l’enfant est en passe ne plus en être un.
Samuel Beckett a écrit directement en français Fin de partie après En attendant Godot au milieu des années 1950. La pièce a été ensuite créée en avril 1957 à Londres puis reprise le même mois au Studio des Champs-Élysées, à Paris, avec Roger Blin dans le rôle de Hamm. Ensuite, acteurs et lecteurs n’ont cessé de rejouer et réinterpréter un texte qu’on considère aujourd’hui comme un classique, de Alan Schneider à Pierre Chabert, Michel Bouquet ou György Kurtág.
Étant une inconditionnelle de l’œuvre d’Andrea Zanzotto (1921-2011), je m’étais rendue un jour d’hiver de 2019 à Pieve de Soligo, village natal du poète dans la province du Veneto. Cherchant sur place où il avait habité, je me rendais compte que personne ne se souvenait de lui. Seul le pharmacien du centre-ville où Zanzotto passait pour consulter le baromètre, se rappelait de la maison paternelle (désormais une façade donnant sur une ruine) et pouvait me fournir quelques indications sur la demeure du poète au bord du village.
« Quant à votre histoire de ne pouvoir dormir que dans des draps fins, c’est la niaiserie la mieux conditionnée que j’aie entendue depuis longtemps. Ce qui vous manque, ma petite dame, c’est une ballade autour du Cap Horn, avec un vent de sud-est qui vous coupe les flancs, tout le monde sur le pont, par une mer démontée. Ça dure trois jours et trois nuits. À la sortie, vous feriez comme les autres, vous dormiriez sur un sac et vous diriez « merci » ! ».
Extrait du roman Le fantôme et Mrs Muir – R. A. Dick
Découvrir ou revoir The Ghost and Mrs. Muir/L’Aventure de madame Muir (1947), c’est s’ouvrir ou s’abandonner encore une fois à l’une des histoires de fantôme les plus profondes et poétiques du 7e art.
Un texte inédit de Véronique Pittolo.
C’est à l’évidence une créature de l’esprit, non ? Disons plutôt, une chose vivante ayant un nom, dans une tête, un être d’intime tracas – une obsession, voilà. Et qui s’entretiendrait de soi.
Elle marchait dans les rues de l’année dernière avec un air triste, des yeux tristes, des pas lents. Le monde autour était froid et bleu, des gens parlaient. Personne ne la regardait en particulier quand elle passait devant les magasins et autour du port et même de loin il n’y avait personne pour lui regarder le dos. Comme si c’était l’été, la mer reflétait plein de petits morceaux du ciel.
L’écriture est blessée et mordante : Isabelle Alentour produit une poésie incisive et nécessaire qui dit l’atroce plus qu’elle n’en parle. Avec Ainsi ne tombe pas la nuit (2019), la poète signe un texte bouleversant où, plus que jamais, l’expression « rage de l’écriture » fait sens et s’inscrit « chair et verbe sur le papier ».
Diacritik poursuit en 2023 sa série critique « Peintures d’expo » en compagnie de Siryne Z. qui, cette semaine, est allée du côté du Musée Jacques Chirac, Quai Branly, à l’occasion de l’exposition dont tout le monde parle : « Black Indians » qui a pris fin ce 15 janvier. Le moins que l’on puisse dire est que cette exposition, sur laquelle Siryne Z. revient en gouache, pose un certain nombre de questions, tout comme ce musée.
Il arrive que le hasard fasse bien les choses. Voici que viennent de paraître en poche, coup sur coup, en octobre 2022, Vie de Gérard Fulmard (2020) de Jean Echenoz et Les Détectives sauvages (1998) de Roberto Bolaño. L’un, dans la collection Double des Éditions de Minuit ; l’autre, dans la collection Points des Éditions du Seuil. Le mois précédent, en septembre, a paru le Cahier de l’Herne sur Echenoz, précédé, en juin, par un numéro de L’Atelier du roman dédié à Bolaño, à son tour précédé, en mai, chez les Éditions de l’Olivier, par 2666 (2003), le volume VI de ses œuvres complètes. Voilà un bon prétexte pour tenter de rapprocher leurs œuvres. Un exercice d’admiration, en somme.
Sabine Huynh a écrit un livre magnifique et d’une grande générosité. D’une écriture aussi élégante et douce que rigoureuse et opiniâtre, l’autrice parvient à capturer ce qui, dans une vie humaine, tient de l’indicible. Elle saisit cette part mystérieuse de nous-mêmes qui, malgré les périls d’une biographie, comporte la possibilité d’un choix, d’un acquiescement, d’une création. Elvis à la radio est une expérience de littérature dans sa dimension la plus essentielle : quelque chose comme une façon de bricoler avec l’invivable.
« Mon père mourut parce que c’était un voleur. » Les premiers mots de l’ouvrage pourraient évoquer L’Étranger de Camus, mais c’est à un autre prix Nobel qu’on pense pourtant, en l’occurrence à Coetzee. D’abord parce que c’est un animal, la fouine Archy, qui parle. Et ensuite parce que le vol place immédiatement le propos sur le plan de la morale. Si la figure de l’écrivain sud-africain affleure, et se confirme dans le reste des pages en présence, c’est davantage sa dernière veine que l’on convoquera. Celle, allégorique en diable, de sa trilogie des années 2010 L’Enfance / L’Éducation / La Mort de Jésus. Car Archy, tout animal qu’il est, va frayer avec de saintes écritures et de (plus ou moins) saines lectures.
En 2011, assistant à une mise en scène d’Othello par Ostermeier, à Sceaux, Delphine Edy est frappée par la foudre : « Une soirée inoubliable, un véritable choc esthétique. Le théâtre, ce soir-là, a la force de l’évidence. La vérité de cette dramaturgie crée des ponts entre le monde élisabéthain et le nôtre, se conjugue à la force d’un théâtre en prise avec le présent dont il enregistre les tensions et les ruptures et se veut éminemment politique, en invitant le spectateur à être acteur dans l’histoire, à commencer par la sienne propre ». Dès lors elle ne cesse de suivre le travail du metteur en scène et directeur de la Schaubühne de Berlin et en fait le sujet de sa thèse (Le Réalisme et son double au théâtre. Thomas Ostermeier, mise en scène et recréation).
Le cours de poétique donné au Collège de France par le grand poète et penseur Paul Valéry fait partie de ces œuvres volontiers évoquées par les uns et les autres alors même que nous ne pouvons pas les lire et en vérifier le contenu. En dépit de son absence, ce cours est donc éminemment présent dans notre imaginaire de lecteur et participe pleinement de l’image que nous nous faisons de la littérature. Et c’est sur la foi des deux seuls textes publiés de son vivant par l’écrivain que la critique et les auteurs s’y réfèrent : « De l’enseignement de la poétique au Collège de France » – qui était le programme d’enseignement que Valéry avait distribué aux professeurs du Collège pour présenter son projet et sa candidature ; la « Première leçon du cours de poétique », qui reprenait le contenu de sa leçon inaugurale. Comblant un important vide éditorial, William Marx, spécialiste de Valéry et lui-même professeur au Collège de France, a mené l’enquête pour reconstituer ce chef-d’œuvre de la pensée du XXe siècle dont il publie chez Gallimard une édition critique en deux volumes.