Mourir peut attendre : requiem un peu ou pas du tout ?

No Time To Die - détail de l'affiche

En achevant le visionnage de No Time To Die, une critique lapidaire d’Au Service secret de sa Majesté (réalisé par Peter Hunt en 1969) m’est revenue en mémoire : « aurait pu être le meilleur des Bond. Pas un classique ». En assumant la paraphrase, Mourir peut attendre aurait être le meilleur des Bond mais ne sera pas le classique qu’il aurait pu devenir.

Depuis sa sortie prévue en avril 2020 et finalement reportée en septembre de l’année suivante à cause d’une pandémie de Covid-19 qu’aucun service secret n’avait vu venir, on a beaucoup lu, entendu, vu de choses sur la 25ème aventure du matricule double-zéro. Comme No Time To Die s’est fait attendre, on a eu le temps de voir et revoir les opus précédents, grâce aux rediffusions télévisées opportunistes ou en piochant dans la dévédéthèque personnelle, histoire de remémorer ce qui fait ou non un bon Bond.

No Time To Die © EON productions / MGM – source ImDb

Un nouvel épisode de James Bond c’est invariablement un rendez-vous en terrain connu : une séquence d’ouverture nerveuse, une chanson titre interprétée par la star bankable du moment, un générique graphiquement formaté et une scène d’exposition qui distille des éléments de l’intrigue à venir. Cela étant, No Time To Die renverse beaucoup de clichés bondesques : au lieu d’une séquence de ski alpin en monoski fabriqué avec les moyens du tableau de bord ou à la place d’une course poursuite en rameur sur le toit du monde, l’ouverture repart dans le passé de Madeleine Swan, pourchassée puis sauvée de la noyade par un tueur masqué et spectral et ressortant de l’eau à Sapri (c’est fini).

No Time To Die © EON productions / MGM – source ImDb

Au petit jeu de « casser le mythe pour mieux le réinventer », Cary Joji Fukunaga n’y est pas allé avec le dos de la théière : il fallait oser une séquence pré-générique de plus de vingt minutes pour mieux enchaîner sur un braquage à l’anglaise avec des cordistes qui descendent du rooftop avec une aisance à faire pâlir Bruce Willis et son tuyau d’incendie dans Die Hard. Le temps de comprendre qu’un virus militarisé vient d’être volé par un commanditaire aux intentions forcément belliqueuses, on se dit qu’on est soulagé de voir enfin le visage buriné et les yeux clairs de Daniel Craig posant un regard énamouré sur Madeleine. (Madeleine, elle aime bien ça). Mais alors que le couple file le parfait amour et sur les routes d’Italie en Aston Martin, l’histoire change de cours et James congédie sa belle pour la protéger. Générique. Chanson de Billie Eilish qui n’est pas sans rappeler presque une demi-douzaine d’autres chansons avec « die » dans le titre. Réouverture cinq ans plus tard avec le Commandeur fendant la bise sur des eaux turquoises caribéennes goûtant les joies simples d’une retraite bien méritée.

No Time To Die © EON productions / MGM – source ImDb

Je serais perfide, je dirais que les tribulations d’un espion à la retraite, c’est moyennement vendeur quand bien même dans un élan de mise en abyme on voudrait bien faire comprendre que Daniel Craig will not return. C’est sans compter sans la marche implacable du monde et la capacité de l’homme (et des scénaristes) à inventer des complots bien ourdis pour mieux asservir le monde au mieux ou le détruire au pire avec des motivations aussi diverses que la vengeance, le ressentiment, le passéisme ou la folie pure… James est donc contacté par le non moins éternel Félix Leiter (Jeffrey Wright), agent de la CIA et complice de toujours qui le convainc de partir à la recherche d’un virus aérosol qu’un scientifique dévoyé a fait s’échapper d’un laboratoire et qui menace désormais le monde.

No Time To Die © EON productions / MGM – source ImDb

Tout à son entreprise de continuité avant le changement, le réalisateur de cet épisode a vu grand pour casser les codes de ses prédécesseurs : James, Félix, et le nouveau matricule 007 (Lashana Lynch) se lancent à la poursuite de deux super-méchants incarnés par Rami Malek et Christoph Waltz. Et de la Jamaïque (coucou Dr No) à Cuba (salut Goldeneye) en passant par Londres et la Norvège, les scènes d’actions s’enchaînent, les femmes reprennent le pouvoir et dament le pion à ces messieurs (Ana de Armas, Lashana Lynch en tête).

No Time To Die © EON productions / MGM – source ImDb

Season finale, requiem, crépuscule du commandant Craig, on peut allonger la liste des qualificatifs et des blurbs de ce Mourir peut attendre qui emprunte à l’univers des séries télé et revisite la franchise depuis ses débuts. Quitte à en faire un peu trop : Cary Joji Fukunaga, Neal Purvis, Robert Wade et Phoebe Waller-Bridge y insèrent des sous-textes incongrus et des piques à l’attention de la production. Les références succèdent aux sous-entendus, reprenant non seulement les gimmicks mais aussi des dialogues et citations des films précédents. En resservant le légendaire « We have all the time in the world » qui clôturait Au Service Secret de Sa Majesté (déjà sur la chanson éponyme de Louis Armstrong), en brouillant la narration avec des considérations hors champ, il achève de parfaire l’image de film testament et de fin de règne de son acteur principal.

No Time To Die (Mourir peut attendre) réalisé par Cary Joji Fukunaga et coécrit avec Neal Purvis, Robert Wade et Phoebe Waller-Bridge. Avec Daniel Craig, Léa Seydoux, Rami Malek, Lashana Lynch, Ana de Armas, Christoph Waltz, Ralph Fiennes, Jeffrey Wright