LA SUBVERSION

Daniel Cordier, Alias Caracalla

Dans un monde où l’industrie de la pornographie est devenue un secteur prospère de l’économie de marché, il ne serait pas raisonnable de considérer encore la représentation du sexe, sous quelque forme que ce soit, comme un élément porteur de subversion. Par ailleurs, le sexe, dans les œuvres de fiction, dans les romans, dans les films, est depuis longtemps une figure presque obligée et ce n’est certainement pas là-dessus que la censure s’exerce, du moins dans les pays dits occidentaux. Ce qu’on a un temps appelé libération sexuelle s’est tranquillement mué en entreprise lucrative et pépère. Chaque matin ouvrable, par conséquent, l’artiste à visée subversive se réveille tourmenté par la difficile question de savoir quoi proposer qui obtiendra le label tant il est vrai que le marché de la dissidence s’est aminci. Certains optent pour de dangereuses incursions dans la question sociale. Ils entendent la voix des sans-voix et la font résonner dans leurs œuvres. Je suis pour. D’autres font souffler le grand méchant loup traditionaliste sur la maison de chaume où se sont réfugiés, à bout de souffle, les trois petits cochons contestataires. Il m’arrive de ne pas être contre. D’aucuns professent que c’est la fin de tout et qu’on peut faire n’importe quoi du moment que ça se vend, mais ça non plus ça n’est pas très nouveau ni, à plus forte raison, séditieux, ils le savent et sombrent dans la dépression, qui ne fait même pas scandale, loin de là, de toute façon même ne pas vendre a perdu de son lustre réfractaire. Il y aurait bien l’ode à Erdogan, mais ça a déjà été fait, certainement. On est mal. Doit-on promouvoir l’art conformiste comme nouvel étalon de la subversion ? Las : c’est déjà pris, et pas qu’un peu.

Les chercheurs en subversion sont confrontés à un tarissement des ressources. L’écosystème est saturé d’émissions de gaz à effet de serre, et dans cette serre étouffent la ferveur des candidats et leur espoir de labellisation, c’est la débâcle.

Alexandre Vialatte (personne ne moufte), résumait déjà la situation et la généralité des choses particulières, dans sa parfaite maîtrise de la langue Vialatte : «  Au milieu de tant d’affreux détails et de grandioses réalisations, on ne peut s’empêcher d’éprouver une sensation d’incohérence et de se demander où l’on va. »

Et puis samedi dernier, j’ai entamé la lecture d’Alias Caracalla de Daniel Cordier. Rejoindre la France libre en 1940 fut un véritable acte de subversion. Pensant à cela, nous devrions essayer de nous rappeler la gravité qui s’attache à ce mot quand on lui redonne la plénitude de ce qu’il signifie.  Daniel Cordier est mort le 20 novembre 2020.