Take care, prenez soin de vous

« On reconnaît un écrivain à ses obsessions », m’a dit un jour Philippe Besson.  Philippe Besson est un écrivain. Un écrivain de l’absence, du manque, de la mort, de l’autre. Un écrivain qui, de Los Angeles à Florence, de Charleville à La Rochelle, d’une Arrière Saison à Cape Cod ou d’un adieu à Cuba, nous promène dans sa saudade, sa mélancolie joyeuse. Ici, au Portugal, avec Les passants de Lisbonne.

Elle est là assise dans le patio de cet hôtel de luxe à boire un Bellini en plein après-midi. Il la voit. Depuis plusieurs jours, il la voit. Et dans la torpeur de cet après-midi, parce qu’il la voit comme cela, il y va. Il va la voir. Voilà, il va la voir parce qu’elle est triste. Très vite, Hélène lui dit, comme une évidence, qu’elle est en deuil. Elle a perdu son mari dans un tremblement de terre à San Francisco, victime individuelle d’une tragédie collective. Mathieu aussi est en deuil, en deuil de son amant perdu, petite tragédie de l’intime d’une banalité effrayante. Ils sont là tous les deux pour essayer d’oublier cette faille, cet abîme de la perte de l’autre. Ils vont se parler, écouter l’autre dire sa propre souffrance, s’apprivoiser. Et au fil de leurs promenades, d’un cimetière face au port, d’un diner inachevé, de leurs chambres d’hôtel, de leurs nuits moites ou chacun se confronte au cœur de l’autre, aux corps des autres, leur rencontre va permettre petit à petit d’effacer ce deuil, de « de résoudre aux adieux » en s’enveloppant de la présence attentive de l’autre. Jusqu’au Take care final. Cette expression qui s’accompagne de cet entourage physique, hug américain.

Il y a du Duras (La Musica), du Sagan, du Sophie Calle (Prenez soin de vous) chez Philippe Besson. Et une résonance étrange, un téléscopage … Philippe Besson dédie ses Passants de Lisbonne à Claire….Claire Antunes, Celle que vous croyez, celle de Camille Laurens, celle à qui le fado, la saudade, correspondaient bien ?

On reconnaît un écrivain à ses obsessions ? un lecteur aussi.

Philippe Besson, Les Passants de Lisbonne, Julliard, 2016, 192 p., 18 € — Lire un extrait. Le livre est désormais disponible en poche chez 10/18