Petit précis littéraire : Virginie Despentes

Despentes © Tara Lennart

Virginie Despentes, écrivain française vivante, née à Nancy en 1969.
8 romans, 1 manifeste, 1 roman graphique et 1 recueil de nouvelles à son actif : Il y a peu de voix comme celle de Virginie Despentes en France. Un style taillé dans le roc(k), une plume acérée, un humour au napalm et une bonne dose de réflexion politique déguisée en provocation punk. On pourrait, maladroitement et en alignant ainsi les poncifs, tenter de résumer l’ouragan Despentes, la tempête trash et féministe qu’elle fait souffler sur la littérature française depuis le milieu des années 1990. On pourrait. On pourrait aussi songer au frisson de subversion qui a parcouru notre peau à la lecture de Baise Moi, et souhaiter que tout le monde le ressente. Même si en vrai, le frisson était une droite en pleine face.

C’est qui ?

Un écrivain à l’âme de boxeuse. Née à Nancy en 1969 dans une famille de gauchistes intelligents, Virginie Despentes fera les 400 coups dès l’adolescence, disparaissant souvent, fuguant, expérimentant. Drogue, prostitution, viol, galères, alcoolisme, boulots de merde, tout ce dont elle parle, bizarrement, elle l’a connu. En 1993, elle habite avec Ann Scott, également jeune future romancière culte, et travaille comme critique de films pornos, puis au Virgin des Champs. C’est à cette époque qu’un copain bien intentionné donne le manuscrit de Baise Moi à un certain Florent Massot. La suite… Eh bien, la suite, c’est son entrée à l’Académie Goncourt il y a quelques semaines. Comme quoi !

Despentes Apocalypse BébéElle parle de quoi ?

Elle parle de sexe, de violence, de cul, de drogue, d’alcool, de prostitution, d’hommes, de femmes, de galères, de relations de pouvoir et de domination. Elle déroule ses histoires sans la moindre démagogie ni hypocrisie, parfois en écrivant au présent, parfois au passé. La forme ne change rien à son écriture, à ce sens des mots et de la description d’une justesse étourdissante.

Son vocabulaire, c’est le nôtre, c’est notre façon de parler, de penser. Sauf qu’on n’a pas son talent, donc qu’on est bien content qu’elle retranscrive le monde ainsi.

Féministe pro-sexe et ancienne escort, Virginie Despentes place la pornographie au cœur de la société, donc de ses écrits. Sans pour autant verser dans la littérature porno à proprement parler. Baise Moi contient des « scènes explicites », certes, mais pas Vernon Subutex. Pourtant, le sexe est au cœur, si je puis dire, des thématiques des deux livres.

Le sexe, l’amour, aussi, beaucoup. Sous son perfecto usé et la violence de ses personnages, Virginie Despentes révèle les failles abyssales de l’existence, la quête désespérée et souvent destructrice d’un simple amour partagé et d’un peu de respect.

Si l’on extrapole, si l’on pousse le raisonnement, on pourrait décréter qu’en réalité, Virginie Despentes établit des rapports étroits (oui, oui, j’ai l’esprit mal placé), entre la pornographie en tant que telle et en tant que modèle des relations humaines, spécialement hommes/femmes, et la solitude forcenée de ses personnages, tous pour la plupart complètement paumés. Ils tentent, tant bien que mal, de moins subir, quel que soit le contexte (de l’agression physique au terrorisme, de la toxicomanie au viol ou au meurtre). Avec la transgression comme arme ultime, parfois, ils résistent à l’ordre moral établi et à la bienséance dont Virginie fera les frais en voyant son film (co-réalisé avec Coralie « Holy » Trinh-Tih) Baise Moi censuré avec pertes et fracas.

Elle a par ailleurs adapté toute seule son Bye Bye Blondie et réalisé un excellent reportage sur le féminisme pro-sexe intitulé Mutantes. Elle a publié quelques nouvelles par-ci par là, traduit des livres et écrit des chansons (dont la langoureuse « Protège-Moi » pour Placebo et qui a bercé mon adolescence de rêves sulfureux).

Pourquoi c’est bien ?

Parce que personne n’a eu les bollocks d’écrire comme elle en français et qu’elle dit ce qu’elle a à dire sans s’embarrasser de la bienséance. Loin de n’être qu’une égérie punk à la plume sauvage, Virginie Despentes écrit bien. Elle saisit les instants de vie, capture la réalité sans chercher à la déguiser ou l’enjoliver. Son style claque, fluide, léger et captivant. Elle emporte dans son flow comme un bon rappeur, (sauf que là on comprend les mots), et travaille. Vraiment. Depuis son premier livre, son écriture s’est modifiée, a évolué, s’est déployée.

Elle se fait le scribe polymorphe d’une époque, mais plus encore : des gens. Des gens qui constituent l’époque et se battent avec son chaos.

BBBIl faut lire quoi ?

On peut toujours essayer de catégoriser et classer, mais dans le cas de Virginie Despentes, c’est un peu vain. On pense, bêtement, qu’elle se « lit vite ». Donc que bon, ce n’est pas de la très très bonne littérature, en plus elle dit des gros mots.

Effectivement, elle se lit vite, et tant mieux car elle a écrit assez de livres pour calmer les ardeurs littéraires des pires insomniaques. Éleve appliquée, j’ai acheté Baise Moi, à 16 ans et considère qu’une baffe pareille, c’est indispensable. King Kong Theory serait parfait pour toute personne qui s’intéresse aux questions féministes mais sans braillements hystériques et course au poil (oui, je sais de quoi je parle). Et bien sûr, un peu plus souple et accessible que l’ensemble de sa biblio, le très scénarisé Vernon Subutex (que j’ai fait lire à mon père, contrairement au reste), pourrait constituer une bonne entrée en matière dans l’univers de Despentes. Tout dépend si vous préférez les câlins ou les baffes. En matière de littérature, bien sûr. Après, il est toujours possible de rentrer dans les débats sans fin du style « oui mais tel roman, il est moins bien que l’autre, et patati et patata » (pour ma part, j’ai adoré Apocalypse Bébé… jusqu’à la fin que j’ai trouvée improbable et presque expédiée alors que le reste du roman brille par son humour coupant et son ambiance entre série B et bon polar).

Vous l’aurez compris, à mes yeux, Virginie Despentes est l’un des écrivains français les plus intéressants. L’un des plus sincères et subversif de la fin du 20e et du début du 21e dans lequel elle s’est glissée sans heurts ni nostalgie. Son écriture épouse son époque, ses époques, alliant le trash au politique, le corps au politique, l’existence au politique. Et tout ça sous des airs de voyou punk. Pour ses degrés de lecture et son regard sur la société, Virginie Despentes est tout simplement incontournable. Et puis fuck les étiquettes !

Bibliographie
Baise Moi, Florent Massot, 1994
Les Jolies Choses, Grasset, 1998
Les Chiennes Savantes, Florent Massot, 1999
Mordre au Travers, Librio, 1999
Teen Spirit, Grasset, 2002
Trois Étoiles ( avec Nora Hamdi), Au Diable Vauvert, 2002
Bye Bye Blondie, Grasset, 2004
King Kong Théorie, Grasset, 2006
Apocalypse Bébé, Grasset, 2010
Vernon Subutex 1, Grasset, 2015
Vernon Subutex 2, Grasset, 2015
Vernon Subutex 1 et 2 viennent de paraître au Livre de poche, 7 € 90 l’un comme l’autre