Cette année, quelques variations ont perturbé le calendrier routinier de nos rendez-vous culturels. Le Festival de Cannes par exemple a eu lieu en juillet. Et le Marché de la Poésie devrait s’ouvrir vers le 20 octobre, place Saint Sulpice à Paris, et non, comme de coutume, au cours de la première quinzaine de juin. Ce n’est pas que ces petits changements nous conduisent à mieux respirer, mais ne pas recopier mécaniquement nos agendas d’une année sur l’autre ne peut nous faire de mal. Grande fatigue de devoir répéter les mêmes gestes, et de plus sur plusieurs décennies, nous déplaçant toujours au même moment sur les mêmes lieux, attendant je ne sais quel retour – ou rentrée, comme on dit côté littérature, avec ces cinq ou six centaines d’ouvrages envoyés au début de l’été aux rédactions des médias influents censés en faire le tri : moment ô combien redoutable, car s’il peut y avoir du plaisir à découvrir de nouvelles publications, il y a surtout du pilon programmé, et, du moins chez les professionnels du tri sélectif, de l’indifférence pour ce qui ne participe pas d’un esprit de compétition soumis à l’air du temps.

Comment nomme-t-on aujourd’hui ce qu’on appelait un “papier” au temps où les frappes des machines étaient vraiment sonores ? Écrivant ces mots, je me désole d’entendre ces petits sons produits par le clavier d’ordinateur et les recouvre aussitôt d’une musique qui a la propriété de se mêler agréablement aux sons du dehors, aujourd’hui printaniers, et aux bruits des pages qu’on tourne. Parfois, c’est Schubert (Rosamunde) ; d’autres fois, Morton Feldman (Rothko Chapel) ; ou encore Cat Power, mais cette dernière en solo : Speaking for Trees, délicat bruissement, au bord du silence (pour ne pas dire : du précipice), où la voix semble d’autant plus juste qu’elle s’avère fragile. Une fois ces matériaux sonores et musicaux correctement mixés, c’est-à-dire se faisant oublier tout en apportant cette énergie mystérieuse qui permet d’avancer sans se rendre compte que le temps passe, des voix surgissent – prennent corps. Et quand leur présence devient manifeste, on est aussitôt téléporté sur le Terrain vague, cette autre scène où l’on touche concrètement les matières, comme on ramasse des morceaux de poterie ou des flèches brisées à terre.

Malgré le mot d’ordre que semble s’être donné la “critique” de cinéma depuis une bonne quinzaine d’années (certains ayant même commencé à faire la grimace dès la projection de Mystery Train en 1989), Paterson, le dernier film de Jim Jarmusch, n’a pas été considéré comme une étape supplémentaire de la prétendue chute de ce cinéaste projeté dans les hauteurs dès 1984 quand Stranger Than Paradise avait obtenu la Caméra d’or à Cannes.