D’ordinaire, j’aime bien laisser les cuistres végéter dans leur ignorance et patauger dans le pédiluve de leurs idées toutes faites. En temps normal, j’apprécie de ne pas voir relayés les propos des incontinents notoires qui n’ont rien de mieux à faire que de venir se répandre par le truchement de la surface médiatique qu’on leur accorde si généreusement. Mais nous ne sommes pas en temps normal, nous avons dépassé la « normalité » depuis bien longtemps, depuis que l’on prend les essayistes de plateau pour des intellectuels, les polémistes professionnels pour des résistants ou les cons pour une fatalité.
Adèle Haenel
La 45e cérémonie des César a donné à voir la représentation que l’industrie du cinéma français produit d’elle-même et se donne d’elle-même. Cette représentation était pathétique, elle n’était rien. Une longue agonie, une série d’individus sans talents, sans intelligence, des « récompenses » (comme à l’école, comme on récompense un chien qui a été a good boy) de ceci ou de cela mais qui tombent à plat puisque l’on se rend bien compte que ce qui est reconnu sonne creux.
Comment qualifier la cérémonie des César 2020, sinon par un mot : HONTE.
Merci à Adèle Haenel qui a prononcé ce mot, le seul possible, en quittant la salle Pleyel. Merci à celles et ceux qui ont quitté la salle derrière elle. Merci aux militant.e.s qui ont manifesté devant la salle.
Nous republions l’article que Joffrey Speno avait consacré au film, majeur, de Céline Sciamma.
Retourner ses notes, reprendre une page blanche. Des notes, j’en ai de nombreuses, sur la relation entre l’artiste et son modèle et sa transposition, sur la sémiologie des couleurs ou sur le punctum que j’aurais repéré. Des obstacles à l’écriture, des concepts partiellement inopérants, sans doute.
Au début je voulais parler des photos de Marc-Antoine Bartoli, de son livre-photos Escapade, récemment paru, ça fait un mois environ que je traine ce texte, que je le reprends, le laisse, en change le titre — le premier était « Sous le voile d’une fiction transparente » — ça avait un sens que j’ai oublié —
Ils et elles s’appellent Sean, Nathan, Sophie, Thibault, Max, Germain, Eva, Luc, Hélène, Marco, Jérémie, Marcus. Une liste qui pourrait être celle de morts. Ils pourraient l’être si, avec d’autres, ils ne s’engageaient pas à Act Up pour lutter contre l’épidémie du sida qui tue les pédés, les gouines, les toxicos, les prostitué.e.s, dans l’indifférence des pouvoirs publics et d’une très grande partie du reste de la population. Dans la mise en scène de leurs histoires, Robin Campillo s’entoure d’acteurs et actrices brillants qui servent un film d’une épaisseur dramaturgique et formelle bouleversante. Une tâche ardue accompagnée d’une certaine responsabilité dont le résultat suscite et nourrit beaucoup de fantasmes, de l’imaginaire, des colères, des déceptions, des récupérations, du transfert, de l’émotion.
« L’impensable vient de se produire. Des personnes qui étaient encore tenues hier pour mortes sont revenues. Ces personnes ont les mêmes droits que chacun d’entre nous… bref, le droit de reprendre le cours de sa vie » annonçait, tremblant, l’un des personnages des Revenants, premier film de Robin Campillo qui mettait en scène des femmes et des hommes morts depuis longtemps parfois mais revenant, avec force, peu à peu dans leur quotidien pour reprendre une vie qui leur avait été ôtée. Nul doute que ces quelques mots qui tentaient d’expliquer le retour de ces morts qui, loin d’être des zombies, n’avaient jamais aussi semblé vivants pourraient venir escorter et prendre le pouls du nouveau film de Robin Campillo qui sort sur les écrans : 120 battements par minute, grand et flamboyant film de revenants, d’hommes et de femmes qui, de chair et d’os, littéralement, reprennent vie et reprennent le cours de leur vie brutalement interrompue au contact de la pellicule.
Avec Nocturama, Bertrand Bonello signe un film intense et nécessaire développant un point de vue parallèle sur le sujet sensible des attentats que nous connaissons en France et ailleurs. Pourtant, le film ne tombe pas dans le piège discursif ou dans celui du commentaire face aux évènements.
Il faudrait avoir une bien médiocre opinion du cinéma des frères Dardenne pour ne pas trouver leur dernier opus assez décevant. La Fille inconnue n’est certes pas un mauvais film, mais il tient difficilement la comparaison avec les nombreuses pépites de leur riche filmographie. Le synopsis du film s’inscrit bien évidemment dans la veine sociale « dardennienne » : Jeune médecin travaillant dans un dispensaire, Jenny se consacre à ses patients de tout son cœur, mais un soir, fatiguée, énervée, elle refuse d’ouvrir à une jeune fille sonnant à sa porte après l’heure de fermeture. On retrouvera le cadavre de cette jeune inconnue le lendemain. Submergée par la culpabilité, Jenny va enquêter pour mettre un nom sur ce corps.
Je suis allée voir le film appelé Nocturama avec une curiosité chargée de mauvaises pensées, de rumeurs sur son histoire. J’étais préparée mais je l’ai d’abord accueilli dans la neutralité que j’avais choisie d’adopter, je n’ai pas lu la critique.
Les premières secondes du film sont presque silencieuses, la caméra frôle une équilibriste, on entend à peine la musique, quelques paroles, puis, le champ s’élargit, nous sommes sur la scène d’un théâtre itinérant. Alors la musique et les comédiens envahissent l’écran, une mariée kusturikienne est portée en triomphe par une bande de comédiens ivres ou jouant l’ivresse, on ne sait plus, ça gueule, ça crie, ça boit à la santé de la mariée, les spectateurs de la pièce sont invités à vider leur verre de vodka, la caméra passe d’un acteur à un autre, on suit dans le même mouvement une actrice sortir de scène, un acteur se préparer dans les coulisses qu’un simple rideau sépare de la scène.