Pétrole à l’Odéon de Paris : mieux vaut lire Pasolini

Mieux vaut lire Pétrole que d’aller voir le spectacle de Sylvain Creuzevault à l’Odéon théâtre de l’Europe. Ou alors quitter la salle dès que possible puis aller relire ne serait-ce que le début du livre, ou le lire tout court.

Dès les premiers instants, on sent que quelque chose ne va pas. On a bien lu le programme : Pétrole est adapté par le metteur en scène. Tout de même : l’adaptation autant que la mise en scène débutent par un écart flagrant, une béance par rapport aux notes du texte, béance relative à la situation même, béance relevée d’éléments sans doute de dramaturgie inutilement inventés, rapportés plutôt. Certes, se dit-on, tous les décalages sont permis, mais pourquoi encore appeler cela Pétrole et, pire, se référer à Pasolini, au Pétrole de Pasolini ?

Pasolini écrit, dans Pétrole (note 2, p. 21, Gallimard, 1995) : « C’est soudain ainsi qu’il vit son propre corps tomber. Sur le balconnet, sur le triste sol de ciment, il y avait des vases vides, des récipients, des tuyaux […] ». Rien de tout cela dans cette pièce mais un tarmac, et une valise à côté du corps de Carlo dont on aurait préféré ne pas voir détaillé, étalé, le contenu tant il est hors de propos.

La suite est du même acabit même si souvent le texte colle à celui de Pasolini. À la note 3 de Pétrole, on lit « Le premier des deux interlocuteurs avait un aspect angélique et Carlo sait intérieurement que son nom était Polis ; le second, en revanche, avait un pauvre aspect infernal, de misérable ; et son nom était Thétis. » Sur scène, les comédiens et les comédiennes, acteurs et actrices n’y peuvent rien. Malgré leur maestria, on les amène à être hystériques, ridicules, rien ne correspond au ton, à la tenue du texte de Pasolini. Tout y est exagéré – et encore.

Le malaise est renforcé par l’instrumentation pure et simple de dispositifs cinématographiques rendus sur grand écran, en noir et blanc, évidemment. Plus tard encore, des amalgames de musique que l’on entend dans des films de Pasolini surviennent dans des scènes, peut-être pour faire disruptif.

Lorsque l’on a lu les textes de Pasolini, lorsque l’on a vu, entendu et écouté les films de Pasolini, on connaît ses interrogations à l’égard de la jouissance. Certes. Et ici n’est pas le lieu d’en discuter. Voire d’en faire la critique. Mais tout ce qui a trait à la jouissance est rendu ridicule sur scène dans « l’adaptation » présentée à l’Odéon. Là, de nouveau, on répète la même question : pourquoi avoir adapté Pétrole de Pasolini et ne pas avoir, à la place, proposé un énième spectacle — spectacle au sens de Debord, par exemple — sur la jouissance. On se console en estimant que l’on a échappé à une adaptation inadéquate de L’Art de jouir de La Mettrie.

Concluons par les mots de Pasolini, repris de la quatrième de couverture de l’édition citée en référence : « En projetant et en commençant d’écrire mon roman, j’ai bien réalisé autre chose que de projeter et d’écrire mon roman : j’ai organisé en moi le sens et la fonction de la réalité ; et une fois que j’ai organisé le sens et la réalité, j’ai essayé de m’emparer de la réalité ». Organisé, fonction : deux mots-clés sans doute. Adapter un tel texte au théâtre est une gageure. Ah! Oh! Povero Calpigi.

Pétrole, d’après Pier Paolo Pasolini, théâtre de l’Odéon, jusqu’au 21 décembre 2025. Adaptation et mise en scène : Sylvain Creuzevault. Avec : Sharif Andoura, Pauline Bélier, Gabriel Dahmani, Boutaïna El Fekkak, Pierre-Félix Gravière, Anne-Lise Heimburger, Arthur Igual, Sébastien Lefebvre.

Pier Paolo Pasolini, Pétrole, Gallimard/L’imaginaire, 900 pages, 20€. Traduit de l’italien par René De Ceccatty.