Dernier entretien de la série « Qu’est-ce être romantique aujourd’hui ? », avec Amandine Borkowski dite Lady Dean, enseignante en arts-plastiques et tatoueuse.
Agrégée d’arts-plastiques, plus que du tatouage c’est de l’art contemporain néo-rétro qu’elle grave sur nos chairs. Enseignante engagée, cette créature sulfureuse, sortie d’un film des années 30 ou 50, est telle ces femmes qui hantent le romantisme noir de leur beauté vénéneuse. En recherche créative permanente ; ses pauses s’accompagnent de vin dans du cristal à la lueur de bougies noires.
Le terme « romantisme », nom de baptême d’un mouvement magnifique, désigne aujourd’hui tout autre chose. Quelle serait votre définition ?
D’emblée, la tâche est peu aisée si l’on souhaite en faire une étymologie personnelle sans renvoyer à son heure de gloire historique, le XIXe siècle. Et, c’est d’ailleurs, à ce moment précis où je sors plusieurs ouvrages sur la question. S’il est la volonté éclairée d’échapper à un monde en mutation dont le mouvement emporte sur son passage théologie, mysticisme et voit naître des idéologies révolutionnaires, il n’en reste pas moins marqué par une forme de repli sur soi, d’introspection mélancolique, sorte de reflet de l’état d’un monde dont les contemporains tentent de résister. A la fois résistance à une évolution technologique, ce qui entraîna des formes conservatrices et à la fois, naissance d’un style pour le moins audacieux, le romantisme historique est dialectique. Se questionner sur son époque, garder une forme de distance observatrice tout en embrassant la contemporanéité est, déjà romantique. S’il ne faut pas confondre le romantisme littéraire et pictural et l’adjectif sentimentaliste, ce que nous gardons de ce courant c’est sa résilience, sa fougue, son pathos et cette sensibilité si à vif qu’il est parfois bon de s’y tenir à l’écart, afin de donner une forme créative à la mélancolie. Le romantisme c’est une ode à la mélancolie. Et en cela, à mes yeux, le romantisme ne peut être que noir :
« Elle gît, les yeux fixés sur le ciel nocturne, le dos contre la cime nuageuse d’une montagne ; au-dessous tremblent des contrées lointaines. L’horreur et la beauté qu’elle dégage sont divines. Sur ses lèvres et sur ses paupières la grâce est posée comme une ombre. Irradiation ardente et sombre, les agonies de l’angoisse et de la mort y cachent leur conflit » (Extrait du poème Méduse de Shelley lorsqu’ il vit l’œuvre du Caravage au Musée des Offices à Florence vers la fin de 1819, cité dans l’ouvrage de Mario Praz, La Chair, la mort et le diable).
Rarement tranquille, souvent exalté, foudroyant parfois, contradictoire aussi, le romantisme est un état de conscience d’être au monde.
Vos habitudes de dandy ?
Si le dandy est masculin, élégant, séducteur et impertinent, certaines de mes habitudes pourraient faire de moi une forme de « dandy » contemporaine. Commençons par la question du genre qui me taraude depuis bien longtemps. Je n’aime pas que les choses soient séparées, clivées. Le genre de l’homme et de la femme sont des constructions sociétales afin de distribuer des rôles. Le terme « viril » est d’ailleurs, questionnable : peut-on dire qu’une femme est virile parce qu’elle réalise des activités d’homme ? Ces termes inventés par la société patriarcale devraient être remplacés par des termes qui annulent la différence de genre. Je n’ai pas envie de dire que je suis virile ou masculine parce que je fais autant, voire plus de sport qu’un homme, que je pratique la boxe française et anglaise, que je n’ai pas besoin qu’on m’aide dans mon quotidien et que je m’assume entièrement. Je suis impertinente car je suis indépendante et que la quête de cette dernière m’a amené à affronter un monde violent, quitte à me mettre en danger, au prix de la liberté de mes aspirations et que oui, je séduis « comme un homme ». J’aime séduire et je joue de mon élégance d’une autre époque. L’élégance, je pourrais en parler des heures. Héritée des années 40/50, années durant lesquelles ma défunte grand-mère maternelle était une jeune femme et dont l’élégance m’a toujours fascinée. C’est à ses côtés que j’ai eu ma première expérience esthétique et c’est à travers elle que je questionne ma généalogie. Etre élégante et faire référence à la décennie qui a semé la zizanie dans mes origines est, inconsciemment, une quête de la résurgence. Je veux faire parler le passé, tout en savourant, parfois excessivement, les plaisirs de l’instant.
Un texte ? Un œuvre ? Un film ? Partagez vos références néo-romantiques.
Quelle difficulté dans la multitude d’œuvres intéressantes qui nous entourent. C’est une question à laquelle j’essaie toujours d’échapper mais n’ayant guère le choix, je vais dire la première chose qui me passe par la tête :
Notre besoin de consolation est impossible à rassasier de Stig Dagermann, c’est un texte qui m’a beaucoup suivi dans ma démarche artistique et j’y pense beaucoup en ce moment.
Un film : Mort à Venise de Visconti.

Une œuvre picturale : Le Promeneur solitaire de Caspar Friedrich, c’est l’œuvre qui a changé ma vie lorsque j’avais 14 ans.
Un album musical : Satyagraha de Philip Glass.
Un secret de votre art de vivre ?
Un secret de mon art de vivre ? Je ne pense pas que j’ai un « art de vivre » mais la rigueur, la résilience, l’analyse, l’introspection, la passion sont constants dans mon quotidien.
Un ou des plaisir(s) d’héroïne romantique ?
Si je pouvais réaliser un plaisir d’héroïne romantique : posséder un manoir en Toscane, dont la décoration serait entièrement chinée et où je pourrais ouvrir toutes les fenêtres le soir, laisser le vent s’infiltrer dans les pièces et me promener en longue robe de flanelle. Partir loin avec la personne aimée, réaliser des actions singulières et passionnantes avec elle.
Envie de vous échapper du monde par le rêve et par l’art ? Comment procéder ?
Je ne pense pas que s’échapper du monde par le rêve et l’art puisse être le fruit d’une décision. C’est encore une fois un état de conscience d’être au monde qui fait que l’on s’extirpe des conventions superficielles du quotidien. Le songe éveillé à la manière des surréalistes, la passion fougueuse, l’impulsion peuvent parfois être des compagnons difficiles à gérer car ils tiennent les sens en constant éveil et lorsque c’est trop calme, on se plaint de ne pas se sentir vivant. Le voyage me permet d’échapper au monde tout en étant à l’intérieur de lui. Je suis dans un état disponible, prête à recevoir le monde, à le percevoir, à apprendre, à découvrir les nuances de lumière selon les heures, les coutumes, la langue, les habitus, loin du marasme quotidien. Je suis dans un état d’être au monde disponible, ouvert, conscient.
Nos références romantiques mourraient d’amour fou. Comment y survivre ?
L’amour fou… vaste voyage… vaste projet… Est-ce que l’amour fou est tragique ? Si on en croit Aragon, l’amour fou est malheureux, tragique, emporté par le temps. On pense croiser l’absolu, celui qui vous a toujours attendu, celui qui vous a toujours connu, celui avec qui on pourrait soulever des montagnes. Cet amour est fou car il est feu de paille, éphémère, inconstant. J’ai passé une année entière à me questionner sur comment y survivre et à force de l’éprouver, de le trimballer dans le temps, j’y ai survécu car l’amour est fou parce qu’il nous dérobe et s’en va, sans rien dire. Il est décapant, foudroyant, odieux, triste. Il est aussi fou parce que le fruit de nombreuses projections. Pour y survivre, il faut de la résilience et une bonne dose de prise de distance d’avec soi. Et si l’amour fou, ce n’est pas celui qui vous fait sauter dans le feu de la vie sans penser à demain, celui qui vous fait construire durablement. Fou parce qu’il va résister au temps tout en étant calme, confiant et serein.
L’amour qui fait se taire mes références… Taire une référence est-ce rencontrer la différence ou terrasser ce que l’on a connu ? Cette question n’est pas aisée… Mes références culturelles sont omniprésentes dans mon quotidien car j’ai fait le souhait d’avoir des activités professionnelles dont le ciment est justement, la référence. Aussi, je ne suis jamais tombée amoureuse de quelqu’un qui ne m’inspirait pas ses références… Le désir naît en moi de l’intellect de l’autre. Alors, un amour qui terrasse mes références est une tâche bien ardue haha. Je n’en ai jamais connu et je pense que celui qui fera taire mes références, c’est celui qui me mettra à nu et m’apprendra tout depuis le début, à savoir la naissance d’un enfant. Pour le reste, j’attends d’être surprise.