Nora Dåsnes : « Tout ce qu’on a, c’est nous-mêmes » (Appels en absence)

Appels en absence - Nora Dasnes © Casterman

22 juillet 2011. Le monde entier apprend que deux attentats viennent d’être perpétrés à Olslo et Utøya, faisant officiellement 77 morts et plus de 300 blessés. Ce jour-là, la jeune Rebekka n’a rien vu, elle n’a pas été touchée directement, elle était avec son amie Fariba au skate park, attendant que l’été se termine et la rentrée au lycée. Avec Appels en absence, Nora Dåsnes signe un roman graphique sensible et mémoriel qui parle de la souffrance par ricochet, du mal-être né de la sidération, de l’angoisse de ne pas pouvoir répondre à une question simple : pourquoi ?

À l’automne 2011, Rebekka intègre le lycée, toujours en proie à des cauchemars et des angoisses. Elle se souvient encore et encore de ce jour où elle a entendu l’explosion, vu de la fumée, ne sachant pas ce qu’il se passait avant de finalement prendre l’appel de sa mère et d’apprendre que l’inimaginable s’était produit. Parce que les « appels en absence » du titre du livre de Nora Dåsnes, ce sont ceux manqués par les deux adolescentes, révélateurs de l’inquiétude parentale légitime tandis qu’Oslo et Utøya étaient la cible des exactions d’Anders Breivik.

Appels en absence – Nora Dasnes © Casterman

Après L’année où je suis devenu ado (Casterman, 2021), journal intime coloré racontant le passage de l’enfance à l’adolescence d’une jeune Norvégienne de 12 ans, Nora Dåsnes livre un récit initiatique à la fois sombre et porteur d’espoir. Loin d’être un prétexte, le massacre d’Utøya est au centre du livre comme, au-delà, tous les terrorismes, tous les attentats et leurs conséquences directes ou indirectes. Qualifiés de plus grave attaque en Norvège depuis la Seconde Guerre mondiale, les attentats du 22 juillet ont connu surexposition médiatique et fausses revendications. La malchance s’est ajoutée au malheur — les forces de l’ordre ont mis plus d’une heure pour rejoindre l’île d’Utøya. Personne en Norvège ne pensait voir cela arriver. Au pays du modèle scandinave, l’extrémisme n’est pas une réponse et Rebekka ne comprend pas pourquoi c’est arrivé. De même qu’elle ne comprend pas pourquoi elle a peur.

Les 288 pages du livre sont baignées de cette peur, de l’angoisse de la mère, des colères du frère qui se réfugie dans les jeux violents en ligne, de l’espoir de Fariba qui trouve des réponses dans le militantisme et les réunions de la ligue travailliste. Elles évoquent aussi les réactions de toutes et tous, les plus empathiques comme les plus abjectes (quand Fariba se fait insulter parce qu’elle porte le hidjab alors même que le terroriste est blanc et d’extrême-droite). Mais ces pages sont surtout empreintes d’espoir avec une histoire d’amour naissante, les relations familiales qui s’apaisent, Rebekka qui sort de son mutisme et libère sa parole. Jouant avec les couleurs et les émotions, Appels en absence est nourri du ressenti de son autrice qui avait seize ans en 2011 et reprend les discours et paroles du Roi de Norvège, du Premier ministre : « répliquer à l’extrémisme, c’est prendre [ses] responsabilités pour l’avenir. » Pour le personnage principal d’Appels en absence, le chemin emprunté depuis les attentats est celui d’une reconquête de soi. Et pour l’autrice, la nécessité de dire l’indicible, de mettre des mots sur la peur, de ne pas faire du silence une nouvelle arme contre toutes les victimes innocentes de tous les terrorismes.

Nora Dåsnes, Appels en absence, traduit du norvégien par Aude Pasquier, Casterman, mai 2024, 288 p. couleur, 25 €

Appels en absence – Nora Dasnes © Casterman