Avec Le Contrat, Ella Balaert signe un roman polyphonique qui nous fait suivre le destin de plusieurs personnages inquiets d’eux-mêmes, plongés dans un monde où ils peinent à trouver leur place, comme Jeanne, une professeure d’allemand au lycée, écrivaine en panne et dépressive, Christophe Lambert, jeune homme ambitieux à qui son ami Pierre Camus, romancier à succès, a confié son dernier manuscrit avant de mourir dans un accident de voiture, et Marie-Madeleine, une vieille femme impotente qui vit recluse dans son appartement. Grâce à une écriture attentive à cerner l’intimité des êtres et les mouvements imperceptibles de leur conscience, tout l’art d’Ella Balaert consiste à tresser ces fils de manière vertigineuse.

Quand la douleur est là, comment lutter ? Fermer les yeux, s’absenter n’y suffit pas, l’exergue de Paul Eluard en instruit d’emblée le lecteur. « Ses yeux ont tout un ciel de larmes/ Ni ses paupières ni ses mains/Ne sont une nuit suffisante/Pour que sa douleur s’y cache . » Reste au contraire à ouvrir les yeux, apprendre à lire le monde pour en décoder les signes, bons ou hostiles, et compter sur les papillons pour emporter sur leurs ailes, telle Psyché, l’âme délivrée du mal.

Après 366 pages de lecture, on ne sait toujours pas pourquoi le personnage principal du Poison boit comme il boit, c’est-à-dire comme un trou, un gouffre, un abîme. Ce n’est ni pour la soif ni pour le goût, car soit il avale vite et ne profite pas de l’instant, soit il boit lentement pour seulement « savourer de dévaler ». Ni parce que son père est parti trop tôt et que sa mère, à l’inverse, était trop présente, ni parce qu’une association d’étudiants, la mal nommée Fraternité, l’a humilié en l’excluant de ses rangs. Ou peut-être un peu pour toutes ces raisons, qui sont évoquées sans être approfondies parce que le sujet du livre n’est pas là. Il est dans la lente et patiente et précieuse description du long, du pernicieux, du fatal effet de l’alcool sur un buveur.