Nicole Wisniak, son autre nom d’Anne-Marie Stretter

Nicole Wisniak par Paolo Roversi, magazine Egoïste © Luncheon Magazine July 2022

Les gens arrivent, les gens partent, restent, ils sont là, puis ils s’en vont définitivement. C’est banalité que de le dire, mais n’est-ce pas le sujet de tous les livres, de tous les films ?

Un jour, en fin de séance, un psy m’avait dit : Mais êtes-vous un véritable écrivain ? Je fus interdit par la question, un peu foudroyé. Un véritable écrivain ? Et ça veut dire quoi ? – Vous n’écrivez que des poèmes et des lettres d’amour, non ? Vous ne faites que des déclarations, non ? Je ne sais pas, avais-je bredouillé, peut-être, il me manquerait quoi pour rejoindre cette vérité qui me fait défaut selon vous ? L’histoire, m’avait-il répondu, le temps, la mort. A l’époque je n’avais pas compris, ou j’avais compris sans comprendre, c’était il y a vingt ans environ. J’avais gardé en tête la leçon de psycho-littérature, et je n’étais pas retourné voir le psy. Ce fut la fin d’une tranche d’analyse, il faut bien savoir se quitter.

Maintenant j’essaie de faire des poèmes d’amour avec du temps. Ou du temps avec des poèmes d’amour, en forme de déclaration. J’essaie de raconter des histoires : Boy meets girl.

Elle s’appelle Nicole Wisniak, c’est Anne-Marie Stretter retrouvée. Il était une fois Nicole Wisniak. C’est émouvant de rencontrer un personnage de fiction dans la vie réelle, c’est joli, ça enchante, et c’est étonnant car c’est ça et c’est encore autre chose, c’est ça et c’est au-delà, insaisissable, un peu plus neuf, envolé. La vie qui ne s’invente pas, qui reste la vie, fuyante. La vie qu’on n’a pas, verbe avoir, mais surtout la vie dans laquelle on est embarqué.

C’est un dimanche qui serait passé comme un coup d’éventail, à peine le temps d’y penser que voilà, c’est déjà la fin de la journée, bleu et gris ombres de silence comme le chantait Barbara. Elle rit, elle se tait, elle fait des blagues, lit à voix haute sur son portable un long poème de Voltaire, elle regarde beaucoup, malicieuse, à l’affût de tous les signes et autres signaux, elle est grave tout à coup, un nuage passe devant le soleil, puis d’un coup, entre la poire et le dessert, elle déclare qu’elle n’aime que les stylistes. Elle porte un bijou mouvant en forme de serpent doré. Elle porte quelque chose comme un long pull-over à col roulé, à moins que ce ne soit une robe, en cachemire de Chine ou de Mongolie, elle porte ce qui serait le plus proche du ventre de la mère. On ne parle plus de vêtement, elle porte un mouvement, une tenue d’intérieur vers l’extérieur, outside, une façon de sourire, d’être polie.

J’adore les portraits. J’aurais adoré être un peintre pour me taire et ne faire que des portraits. J’aime presque tous les portraits, comment rendre un visage, une allure, un regard, et ça va de Nicolas de Largillière à Egon Schiele, jusqu’aux contours d’un visage de Cocteau, ça suffit. Je ne sais pas pourquoi c’est si intéressant les portraits, je ne m’en lasse pas, ça me fascine. Au commencement ce furent des mains noires, les mains négatives des parois des grottes préhistoriques, puis les visages sont apparus, les visages et les corps. Elle a de longs cheveux qui font penser au blond vénitien, elle a les cheveux d’une Marie-Madeleine lost in translation, une Marie-Madeleine qui lirait les Évangiles le matin, Virgile l’après-midi, Sagan ou Cioran le soir.

On peut faire des portraits avec des mots, je ne sais pas, mais c’est peut-être moins bien, je ne sais toujours pas. Évidemment c’est bien beau, les mots, mais il est toujours question d’une image manquante, d’une image fantôme. C’est comme ça.

Je pourrais maintenant raconter ce que fait, ce qu’a fait, Nicole Wisniak, dans la vie, comme on dit. Mais je préfère ici laisser du blanc, ce serait comme une de ces belles femmes de Paris qui passent dans la rue, de celles qu’on appelait les élégantes, on se s’arrête pas, on ne dérange pas, on ne se retourne pas, mais on oublie jamais ni le sillage, ni la signature, et on sourit.

La prochaine fois que je vois Nicole Wisniak, on parlera peut-être de parfums, ou de cette série Netflix sur le journal intime de Warhol, ou de Chateaubriand enterré debout au Grand-Bé, face à la mer plutôt que vers le ciel, ou on parlera de la violence et de la douceur de la mondanité chez Proust, ou on écoutera Martha Argerich dans Prokofiev, ou on regardera les gens qui passent, ou je lui raconterai cette petite histoire avec Marilyn Monroe : c’était au Mexique, en juin 1962 ou quelque chose comme ça, Marilyn n’allait pas très bien, elle n’avait pas dormi de la nuit, mais elle était encore une fois très belle ce matin-là dans le hall de l’hôtel, rayonnante, de la lumière faite chair, la vie toute entière, cette femme… Un journaliste la complimente alors sur sa robe. Et Marilyn de répondre : Et encore, vous ne l’avez pas vue sur son cintre !