Le gouffre : on y tombe, on y sombre, on y meurt. Tout un programme – que depuis Pascal nous avons l’habitude d’appréhender. Baudelaire lui-même nous mettait en garde : « J’ai peur du sommeil comme on a peur d’un grand trou/ Tout plein de vague horreur, menant on ne sait où/ Je ne vois qu’infini par toutes les fenêtres,/ Et mon esprit, toujours du vertige hanté,/ Jalouse du néant l’insensibilité. »
Chez Lovecraft nous plongeons beaucoup : dans la psyché humaine, la peur, l’horreur ; dans les territoires des abysses, les trouées de l’espace, les percées du rêve. Seul un vieux maître des profondeurs comme lui est à même de décrypter notre fascination pour l’obscur.

« Quelque chose rôde dans notre Histoire : la Mort de la littérature ; cela erre autour de nous ; il faut regarder ce fantôme en face » s’inquiétait vivement, à l’orée des années 1980, Roland Barthes au moment où, préparant son roman, il entrevoyait combien la littérature allait mourir, combien cette mort, autrefois tenue comme mythe et rhétorique spéculative, allait effectivement advenir à chacun et combien, désormais méduse folle, il fallait la prendre en charge pour la reculer en soi et peut-être parvenir à la nier. Nul doute qu’une telle considération qui promeut la mort de la littérature comme le postulat infranchissable de notre temps pourrait servir d’exergue idéal au deuxième tome de l’Histoire de la littérature récente qu’Olivier Cadiot vient de faire paraître chez P.O.L. tant il s’agit pour le poète non seulement de regarder cette mort en face mais d’en être la méduse renversée : de faire mourir de sa belle mort la mort même de la littérature.