Je reste sidéré par la puissance d’attraction qu’exerce la bande dessinée sur ses exégètes, qu’ils soient de simples aficionados ou de savants professeurs : passion dévorante et le plus souvent exclusive. Pour ma part, je ne me suis jamais senti concerné par cette forme d’addiction, par ce trop-plein d’amour pour ce qui est, encore pour beaucoup, un genre.

Au sortir d’un bref moment d’absence – entre léthargie et repos forcé – que l’inconscient a aussitôt transformé en temps de méditation (car des bribes de pensées s’y seraient développées avant d’être épinglées comme des papillons dans des cadres étranges : fenêtres ouvrant sur le dehors ; miroirs reflétant le monde intérieur de qui s’y projette), le diariste critique reprend ses lectures. Cette fois, la petite pile qui s’est progressivement accumulée sur sa table de chevet est composée de bandes dessinées.

Il m’arrive d’écouter The Unanswered Question de Charles Ives tout en écrivant. Parfois j’enchaîne avec The Answered Unanswered Question de György Kurtàg qui, loin d’apporter une réponse définitive à cette question restée sans réponse, lui offre un supplément d’énigme où les mots n’auront jamais le dernier mot : silence “habité” par une forme sans contours et pourtant précisément dessinée (soit un mix d’indicible, de retenue, de non-dit, par ennui du verbe et refus de la démonstration). Une semaine a passé. C’est l’heure de reprendre la balade, emportant pour tout viatique une petite pile de bandes dessinées.