À l’occasion de la sortie de la deuxième fournée des éditions Pédale, pédale ! qui réunit des textes érotiques de Florian Bardou, Antonin Crenn, Christophe Pellet et Mathieu Pineau, Pierre Niedergang s’est s’entretenu avec les deux éditeurs de cette collection à destination des pédales et de leurs ami·es, Antonin Crenn et Baptiste Thery-Guilbert.
Je crois qu’il y a, depuis quelque temps, un revival de la pédalerie, une réaffirmation des singularités des expériences pédés dans les discours queers. Depuis 2023, on a pu lire Pédés, le livre collectif coordonné par Florent Manelli ; Les pédales et leurs ami·es entre les révolutions de Larry Mitchell ; ou encore le Manifeste gay de Carl Wittman, accompagné de Cy Lecerf Maulpoix avec ses contre-chants masqués. Cette année encore [2025], Le Passager Clandestin a publié Sorcellerie et contre-culture gay d’Arthur Evans ; Les Grillages ont édité Éthique pédée, de Paco Vidarte ; et Quentin Zuttion, Sage, une bd très ancrée dans l’expérience pédé. La collection Pédale, pédale ! s’inscrit dans ce retour, en proposant des textes érotiques à destination des pédés et de celleux qui les désirent. Le projet, lancé au début de l’année 2025, réunit deux écrivains. Le premier, Baptiste Thery-Guilbert, a, entre autres, publié Là où les trottoirs s’arrêtent (Blast, 2022) et Lésions (Blast, 2023), deux romans bio-fictionnels sur son adolescence queer à Marseille. Antonin Crenn, quant à lui, a notamment publié plusieurs textes aux éditions Lunatique et sortira en janvier prochain Rue des Batailles (Actes sud). En plus de son travail d’écrivain, Antonin Crenn avait déjà édité, auprès de Guillaume Marie, des Histoires pédées, une collection de textes érotiques pédés.
Il m’a semblé que le projet Pédale, pédale !, qui essaie d’explorer le champ de l’érotisme pédé, était important et complémentaire avec les approches plus explicitement politiques comme celles proposées par les auteurs du recueil Pédés par exemple. J’ai donc voulu m’entretenir avec Baptiste Thery-Guilbert et Antonin Crenn, qui sont aussi des copains, pour comprendre ce projet éditorial émoustillant qui est le leur.
Pour commencer, on peut peut-être évoquer ensemble l’ancêtre de Pédale, pédale ! que sont les Histoires pédées. Antonin, tu expliquais, lors du lancement des premiers textes aux Mots à la bouche, que cette collection que tu fais aujourd’hui avec Baptiste Thery-Guilbert est dans la continuité de cette première collection que tu avais publiée avec Guillaume Marie. Tu évoques le fait qu’il s’agit de la même ligne éditoriale. Est-ce qu’avec Pédale, pédale !, il s’agit de reprendre la même formule, avec Baptiste cette fois, ou bien est-ce qu’il y a une spécificité de Pédale, pédale ! ?
Antonin Crenn : C’est Guillaume Marie qui m’a embarqué dans cette aventure des Histoires pédées, en 2019. C’était un jeu entre nous, comme un défi. Je n’avais jamais écrit de texte aussi explicite avant que Guillaume m’y invite, alors que le désir est un sujet littéraire qui m’intéresse. Il me faisait remarquer qu’il y avait de la sensualité dans mes textes publiés, mais que je n’allais jamais jusqu’à écrire la scène de sexe quand le récit suggérait pourtant qu’elle avait lieu entre mes personnages. Les Histoires pédées ont été le déclic pour oser cette écriture-là et me prouver qu’on pouvait être porno sans sortir des champs littéraires que j’explorais déjà. La nouvelle que j’ai écrite grâce à lui était « complètement moi » et, en même temps, c’était cul pour la première fois.

On s’est amusés à inviter d’autres auteurs à jouer avec nous : des amis qui n’avaient jamais eu l’occasion ou même l’idée d’écrire du porno, ou des gens qu’on connaissait moins, dont l’écriture nous titillait assez pour nous demander « Ça ferait quoi s’il écrivait une scène de sexe ? » On a publié douze titres dans cette collection entre 2020 et 2022. Quand Baptiste a eu envie de la relancer, on a changé le titre parce qu’on n’était plus le même duo, mais le projet est le même. On l’appelle « Pédale, pédale ! » parce qu’on est des pédales et parce que le verbe à l’impératif avec le point d’exclamation est une invitation à jouer avec nous, puisque la collection est toujours ce défi lancé aux auteurs pour explorer un pan nouveau de leur écriture.
Baptiste Thery-Guilbert : C’est exactement ça. Il y a une sorte d’injonction au mouvement dans Pédale, pédale !. Ce qui est dans l’esprit de la collection : aller de l’avant, proposer autre chose. Et on voulait, comme avec les Histoires pédées, qu’on entende l’injure dans le nom de la collection.
Bien qu’ils soient tous queers, le choix des auteurs de Pédale, pédale ! est éclectique. Ils appartiennent à plusieurs générations et viennent de plusieurs pratiques d’écriture différentes : le journalisme, la poésie, le roman, etc. Ils mobilisent également des imaginaires chaque fois très singuliers. Comment choisissez-vous les auteurs que vous souhaitez intégrer à la collection ? Est-ce que vous êtes d’accord en général, ou est-ce qu’il y a des différences d’opinions entre vous ?
A.C. : Pour l’instant, on est d’accord sur tout ! Les auteurs viennent d’abord de nos cercles amicaux parce que le plaisir de travailler avec des gens qu’on aime est un moteur hyper efficace. Ça peut aussi compliquer la relation éditeur-auteur, mais on n’a pas peur de la complexité. Entre amis, on est plus exigeants qu’avec des inconnus, et on retravaille les textes ensemble pour aboutir à une forme dont on sera tous fiers. Alors, d’abord on invite les gens qu’on aime, et aussi d’autres qu’on n’a jamais rencontrés mais dont on aime le travail. Puis les manuscrits arrivent et c’est là que l’on compose les « saisons » : les textes ne sont pas publiés par ordre d’écriture, mais en ménageant des équilibres, et justement cette diversité dont tu parles : auteurs jamais publiés (Mathieu Pineau), auteurs plus confirmés, mais pas connus pour ce genre littéraire (Christophe Pellet), explorant des fantasmes et des formes littéraires différentes. Ce serait vain de vouloir représenter toutes les nuances du spectre, mais on tient au moins à ne pas s’enfermer dans un microcosme d’auteurs du même âge et vivant leur homosexualité d’une même manière.
B.T.G. : Antonin a tout dit. Je me souviens, au tout début, alors qu’on cherchait peut-être encore le nom à donner à la collection, Antonin et moi avons fait chacun une liste d’auteurs à solliciter. Elle s’est recoupée à de nombreux endroits ; et, à d’autres, nous nous sommes simplement fait découvrir des auteurs, des sensibilités, des personnalités. C’est la richesse d’être en duo, parce que même si on est amis depuis un certain temps, on n’a pas les mêmes socialisations, les mêmes cercles amicaux et professionnels, les mêmes lectures, les mêmes géographies. Franchement, je trouve qu’on se complète super bien !
En parlant de réseaux ou de cercles pédés, vous avez choisi cette fois Quentin Zuttion pour illustrer les quatre nouveaux textes de la collection, il succède à Manon Cartron qui s’était chargée des quatre premiers. Pourquoi ce choix ?

A.C. : On ne connaissait pas Quentin personnellement, mais j’aime son travail, je le lis depuis son premier album ! Alors j’ai fait ma groupie et je lui ai dit que je voulais le rencontrer. Il y a une sensualité dingue dans ses dessins, même lorsqu’il n’y a pas d’érotisme ; simplement, il aime ses personnages et il aime les dessiner, et ce plaisir passe par le corps. Ça se voit. C’est une qualité que je recherche dans l’écriture aussi. J’aime aussi comment il parle de sexualité dans ses livres : certes, ce n’est pas très rigolo, c’est même parfois très sombre, mais je sens une douceur et un désir de douceur. Ça me parle.
B.T.G. : Pour la première saison, j’avais envie de travailler avec Manon, qui est l’une de mes meilleures amies. Je sais qu’elle est très intéressée par la culture zine, l’objet-livre, etc. ; et puis, j’aimais bien l’idée que pour débuter cette collection, ce ne soit pas un mec pédé qui fasse les couvertures ! C’est Antonin qui a pensé à Quentin, effectivement, et j’ai tout de suite été à fond ! J’aimais bien l’idée, aussi, qu’on ait un·e illustrateur·ice par saison, de manière à les distinguer aussi visuellement — et je trouve que ça marche complètement.
Lors de la rencontre aux Mots à la bouche, vous évoquiez aussi le fait que la ligne éditoriale consiste à publier des textes explicites et « joyeux » ou qui « fassent du bien » et mettent en scène « notre désir qui nous guide sans aucun contexte social, sans homophobie », « un monde débarrassé de ça ». C’est quelque chose dont on avait déjà discuté ensemble et qui m’intrigue beaucoup, cette possibilité de faire abstraction du monde social et des questions politiques pour laisser place au « pur désir ». Je crois aussi que c’est parce que je considère le désir comme constitué par le champ social et politique, alors du désir sans champ social, ça me parait difficilement représentable. Est-ce que vous pourriez expliciter ce que vous entendez par là ?
B.T.G. : C’est une ligne très précise qu’il convient effectivement d’expliciter pour éviter les malentendus. Je considère aussi le désir comme étant inscrit dans un contexte social et politique, et d’ailleurs, dans tout ce que j’écris, cette question est centrale. C’est notamment pour cette raison que j’ai eu envie de lancer Pédale, pédale ! avec cette ligne qu’avait déjà Histoires pédées ; et c’est pour cette raison aussi que je n’ai aucun mal à défendre cette ligne joyeuse, utopiste. Tout ce que j’écris s’inscrit dans la vie, dans le réel et sa violence. Une très grande partie de la littérature pédée s’inscrit aussi dans cette démarche. C’est très bien. Mais, que fait-on des histoires qui finissent bien ? C’est rien de le dire : elles ne sont pas véritablement valorisées.
Ça se comprend pour de multiples raisons. Moi-même, j’ai un peu de mal avec les histoires positives, que ce soit en littérature ou au cinéma. Pourtant, ce sont des espaces de représentation, des espaces d’imaginaires, de déploiements d’images et de langages. La responsabilité des artistes est immense. Parfois, j’en ai marre d’écrire sur mon adolescence malheureuse, d’écrire sur les effondrements de la rue d’Aubagne. C’est tellement dur. Je parle en tant qu’auteur, là. Parfois, j’ai envie d’écrire juste la joie, l’amour, l’excitation. Mon journal intime est un espace pour ça : parce qu’aujourd’hui, envers et contre tout, je suis très heureux et amoureux, et que j’y écris ma vie, j’y dis le bonheur d’être, tout simplement. Mais puisqu’on parle de livres, ici, quand on va dans une librairie, sur quoi on tombe ?

On veut juste ouvrir quelques fenêtres, faire entrer de la lumière sur nos vies et nos récits. Je crois que chaque petit livre de Pédale, pédale ! c’est ça, des ouvertures rectangulaires lumineuses et sexy. Il n’y a rien de plus excitant que quand la libido créatrice et la libido sexuelle se réunissent. Écrire dans cette collection permet ça, je crois, pour les auteurs. Éditer ça, aussi. Et lire ça, comme je disais, en termes de représentation, ça ouvre les imaginaires, les possibles. L’espace littéraire est une chose très étrange en ce qu’il s’inscrit dans la réalité autant qu’il en est une parallèle où (presque) tout est possible. Puisqu’on parle de sexualité — et en l’occurrence de sexualité minoritaire de son expression par l’écrit —, j’ai envie de dire qu’on offre un espace où tout essayer ; et c’est rare ! Les contraintes formelles aident, aussi, je pense – par exemple, le nombre limité de pages. On édite des nouvelles, une forme très contraignante et peu usitée en littérature francophone.
On en parlera sans doute un peu plus tard, mais en ce qui me concerne — je ne peux pas parler pour tous les auteurs présents et futurs de la collection —, écrire ma nouvelle pornographique pour Pédale, pédale ! a été un véritable défi. Écrire quelque chose de joyeux sans être ridicule, on n’a tellement pas l’habitude, c’est vraiment un défi.
Ça me semble étrange de dire qu’il n’y a pas de contexte social aussi dans la mesure où le sauna – cf. le texte de Maël Bouteloup Leriverand – ou bien le camping – cf. celui de Baptiste Thery-Guilbert – sont des contextes sociaux. En revanche, ce qu’il n’y a pas, c’est une certaine négativité affective, celle de la peur et surtout, celle de la honte. Est-ce que, finalement, ce n’est pas ça, votre geste politique à vous, de proposer des représentations de la sexualité pédée qui ne fasse aucune place à la honte ?
B.T.G. : Je pense que tu pointes du doigt encore plus précisément notre ligne. Dans cet espace utopique qu’on essaie d’offrir aux auteurs et aux lecteurs, avant toute chose, effectivement, c’est l’absence de honte qui prime. Les protagonistes de nos nouvelles se sont complètement débarrassés de cette honte. Comment on fait ? Ça, c’est le boulot des auteurs. De mon côté, j’ai opté pour quelque chose d’un peu magique, voire mystique — le camping devient un endroit un peu surréaliste où un beau mec peut tomber du ciel sans que ça dérange personne. Quand on essaie de prendre une vue s’ensemble sur tous les textes publiés aujourd’hui, je crois qu’on peut voir comment chacun a réussi son job en opérant un déplacement, souvent formel, voire aussi temporel et géographique. Un sauna où tout se dédouble, un club en Argentine dans un futur proche, une forêt aux champignons avec des promeneurs avenants mais rassurants, un conte comique au bord de rivière… Le familier est proche, on peut s’identifier, mais à chaque fois, c’est comme si un deuxième œil s’ouvrait — si c’est pas ça, la fonction de la littérature !
Vous avez non seulement fait un travail d’édition, vous avez également écrit chacun un texte. De ton côté, Baptiste, tu as proposé Faut bien que je me mouille, qui commence, comme tu viens de l’évoquer, par un homme qui tombe nu du ciel. Moi, ça m’évoque la figure de l’ange, et ça m’a fait remarquer l’importance de la lumière dans ton texte, parce que l’ange ce n’est pas seulement une figure du désir mais aussi de la lumière qui vient d’en haut. Tu parles d’ « étreindre la lumière », tu évoques les lucioles dans la nuit, et l’histoire se déroule à la plage où les surfeurs blondinets néerlandais sont légion. Est-ce qu’il n’y a pas un rapport singulier entre écriture, lumière et désir chez toi ?

B.T.G. : Au moment où j’ai dû écrire ce texte — moment que j’ai reporté jusqu’à l’extrême, ce qu’indique d’ailleurs aussi ce titre, Faut bien que je me mouille, qu’on pourrait aussi lire Faut bien que m’y mette —, je venais de lire le dernier roman de Jean Echenoz qui a la meilleure première page de 2025 : « Bristol vient de sortir de son immeuble quand le corps d’un homme nu, tombé de haut, s’écrase à huit mètres de lui. Bristol n’y prête pas attention et se dirige vivement vers la Seine. » Je savais que je voulais situer ce texte dans les Landes, dans un camping, dans le paysage qui a été celui des tous mes étés d’enfance et d’adolescence, le lieu où j’ai réalisé l’existence de mon désir et son décalage par rapport à celui des autres autour de moi ; c’est-à-dire que je ne regardais pas les surfeuses sur les grandes plages de sable, mais je regardais les surfeurs et leurs muscles et je les trouvais magnifiques. J’ai tout de suite voulu transposer cette image de l’homme nu qui tombe du ciel, celle que je venais juste de lire dans le dernier roman d’Echenoz, à la fois dans mon paysage et surtout dans mon désir — parce que je crois qu’il n’est pas du tout question de désir homosexuel dans le travail de Jean Echenoz : alors je voulais pédéiser tout ça. J’adore copier, recopier, imiter, détourner, transposer, c’est tellement drôle, tellement libre ; donc, tellement dans l’esprit de la collection, aussi.
Et puis, soyons clairs : je voulais écrire sur l’apparition. Je voulais qu’elle soit lumineuse, mais que pour une fois cette apparition n’ait absolument aucune charge mystique et/ou religieuse — je ne suis pas Bernadette Soubirous —, uniquement une charge super sexuelle. Un homme nu tombe du ciel, il apparaît, on a envie de l’aimer, c’est tout. Et puis, sans doute que je voulais aussi déjouer cette image déjà centrale dans mon roman Là où les trottoirs s’arrêtent, qui s’ouvre aussi sur l’homme qui tombe mais dans ce cas-là, pour s’écraser sur un trottoir et mourir. Beaucoup plus morbide et noir, comme tu peux l’entendre.
C’est marrant tout ce que peut permettre une seule image, selon le contexte, selon la manière de l’appréhender et d’essayer de poser des mots dessus. Quand j’écris à mon bureau j’ai devant moi un panel d’images, mais au plus près de mes yeux il y a surtout une reproduction de La chute d’Icare, de Goltzius — elle s’est toujours retrouvée là, à cette hauteur, au fil des déménagements. Regardez cette gravure. La tension dramatique de la chute, quelque chose de très maniéré dans l’expression de l’homme qui chute — super dramaqueen —, et ce corps nu, complètement irréaliste avec tous ces muscles très volumineux — enfin, personnellement, je me suis jamais retrouvé avec un mec aussi musclé dans mon lit ! —, les couilles qu’on devine entre les cuisses. Cet homme qui tombe, on a envie de le recueillir et lui faire du bien, non ?
Dans cette image il y a aussi l’idée d’une distance, de ne pas voler trop près du soleil. Je crois que chez moi, dans le réel et dans mon écriture, le désir s’accomplit lorsqu’il se situe à la juste distance entre la chaleur et la brûlure : je veux que ça me donne chaud, mais je veux éviter que ça fasse du mal. J’ai connu l’amour qui brûle, ça ne m’intéresse plus vraiment. On a trop l’habitude, les pédés, d’écrire quand ça va mal — moi le premier : mes premiers romans ne se situent pas véritablement sur le spectre de la joie. Et quand ça va bien ? Quand la vie c’est de la merde parce qu’il y a Dati à la culture mais qu’on arrive à traverser ça parce qu’on est plus seuls, isolés, incompris, à devoir se justifier d’exister, là, pourquoi est-ce qu’on écrit pas aussi ? Qu’est-ce qu’on écrit si c’est pas la vie aussi quand elle roule en toute simplicité ?
Pour finir de te répondre, il me semble que jamais personne n’a pensé la lumière mieux que Pasolini. Il a pensé mieux que personne le rapport entre les lumières qui aveuglent – le pouvoir – et celles qui sauvent : les phares dans la nuit, les lucioles, les contre-pouvoirs. Sa lumière, elle ne vient pas d’en haut ! Elle vient d’en bas, des peuples, des gens. Mes anges, mes lucioles, mes lumières dans et pour le grand soir, ce sont toutes les pédales mortes, toutes les pédales vivantes, et celles à venir. Il faut je conclue cette réponse avec un passage d’un poème de Pasolini intitulé La Résistance et sa lumière : « C’est ainsi que j’en vins aux jours de la Résistance / sans en connaître rien, sinon le style : / style tout de lumière, mémorable conscience du soleil. […] Mon frère s’en alla, par un muet matin / de mars, sur un train, clandestin, / son revolver dans un livre : et c’était pure lumière. […] Vint le jour de la mort / et de la liberté, le monde supplicié / se reconnût, nouveau, dans la lumière… / Cette lumière était espérance de justice : / je ne savais pas laquelle : la Justice. / La lumière est toujours pareille à la lumière. / Puis elle changea : de lumière, elle se fit aube incertaine, / une aube qui se croissait, qui grandissait, / sur les champs du Frioul, sur les canaux. / Elle éclairait les journaliers en lutte. / Ainsi l’aube naissance fut une lumière / en dehors de l’éternité du style… / Dans l’histoire, la justice fut conscience / d’une division humaine des richesses, / et l’espérance prit une nouvelle lumière. »
Nos petits livres colorés sont comme des revolvers armés contre l’adversité du monde et des vies qui nous sont faites.

Lorsqu’on pense à un texte érotique, on pense souvent à des textes de première fois. Il peut y avoir beaucoup de premières fois. La première fois tout court, la première expérience homosexuelle, ou bien la première fois avec quelqu’un, par exemple. Toi, Antonin, tu décides de proposer, dans En boucles, une autre écriture érotique, qui raconte le désir et les plaisirs qui circulent entre des personnes qui ont déjà fait l’amour « des dizaines de fois ». Je trouve ça très précieux, parce que le désir, c’est aussi quelque chose qui peut se construire au fur et à mesure que la rencontre se répète. Qu’est-ce qui se joue, pour toi, dans ce choix que tu as fait ?
A.C. : C’est d’abord un petit travail d’introspection personnel : j’avais envie d’oser un texte plus autobiographique que les deux nouvelles déjà écrites pour les Histoires pédées, qui étaient des fictions, des fantasmes. J’y décrivais des scènes pas réalistes. Là, je voulais parler non seulement de mes désirs, mais de ma vie vécue. Dans mes derniers livres, je tends beaucoup plus vers cette sincérité nue, sans filtre.
Et, en parallèle, j’ai toujours écrit mon journal. J’en ai deux : un que j’écris pour la publication sur mon blog et un que je garde pour moi. Ce second journal, jusqu’ici privé, m’a servi de source pour un texte paru récemment chez Paulette éditrice, dans le volume collectif Dustan : l’héritage. C’est un collage d’extraits de ce journal, quasiment que des scènes de sexe. Tout ça pour dire que je suis prêt à écrire ça aujourd’hui de manière plus directe, sans le détour de la fiction.
Et, d’autre part, c’est un constat d’éditeur et de lecteur : dans les Histoires pédées comme dans les premiers Pédale, pédale !, j’ai remarqué que le ressort narratif était toujours le même : « Je rencontre un mec très désirable et je finis par baiser avec. » Évidemment, c’est cool, mais pourquoi on s’arrête là ? Pourquoi ne pas raconter la suite ?
C’est la nouvelle de Julien Thèves, Sail Away With Me, Honey, qu’on a publiée dans la saison 1 qui m’a fait réaliser ça, car lui, justement, nous raconte la suite de l’histoire : la relation qui s’installe et le désir qui dure. Or, il se trouve que dans mon expérience intime ça se passe plutôt comme ça : je connais mieux les histoires longues que les rencontres sans lendemain. Il n’est pas question de hiérarchiser la qualité des relations, évidemment ! L’éphémère peut être très beau. Mais d’autres que moi en parlent très bien.

J’ai envie de parler plutôt de ce que je connais bien, d’une part, et de ce que j’ai rarement lu, d’autre part. Pour donner une forme à cette histoire, le motif de la boucle s’est imposé, alors je me suis amusé à le répéter à plusieurs échelles, tant dans la structure du texte que dans les détails des corps : le joli garçon bouclé dessiné par Quentin en couverture est parfait dans ce rôle !
Antonin Crenn, En boucles, novembre 2025, 32 pages, 4€.
Mathieu Pineau, Petite pédale et grosse pagaie, novembre 2025, 32 pages, 4€.
Christophe Pellet, Mordere percutio, novembre 2025, 40 pages, 4€.
Florian Bardou, Derrière le rideau noir du Puticlú, novembre 2025, 32 pages, 4€.