Nul besoin d’être un intime de l’œuvre d’Hélène Cixous pour goûter le texte que Colin Lemoine lui consacre.
C’est pourtant à l’écrivaine qu’Hélène Cixous. Parlure s’adresse. Mais tout un chacun peut le lire et en faire son miel. Car Colin Lemoine signe un texte d’une fulgurance rare et d’une grande beauté dans lequel chaque mot est à sa juste place, dans son bruissement méticuleux.
Peu de pages, peu de mots à vrai dire suffisent pour composer un texte qui ne quittera guère celui qui daigne y poser un regard attentif. « C’est chose étrange de parler, de prononcer des mots dans l’air », admet-il d’emblée. Quiconque écrit se pose aussi ces questions, quiconque animé d’un infrangible amour du langage. « Les mots sont des aéronefs, nos tympans des tarmacs ». Et Colin Lemoine sonde d’une façon plus que singulière combien les mots volètent avant de retomber.

Invitant à repenser notre rapport au silence, au choix et à l’ordonnancement des mots dans une langue remarquable, il exhorte à nouer un nouveau rapport au langage, humble et délicat : « Nous parlons une langue apprêtée dans le mystère, et qui ne nous appartient pas en propre ».
Se saisir du chat ou de la baleine n’est qu’un prétexte pour dire la magie qui consiste à parler, à rebours de l’insoutenable usage d’une langue dépourvue de poésie, et qui est tout le contraire de l’entreprise menée par Hélène Cixous.
Et si c’est d’Hélène Cixous qu’il nous parle, on pense aussi à Pascal Quignard, dont l’ombre plane ne serait-ce que dans le beau frontispice d’Adel Abdessemed. L’éclat d’un mot ou d’une image provient parfois des ténèbres les plus insoupçonnées.
Au royaume de la délicatesse, la voix d’Hélène Cixous trône, et Colin Lemoine non seulement la chante mais la restitue, donne envie d’y revenir sans cesse. Texte d’une grande sobriété joyeuse, d’une beauté tendre et pour le moins rarissime dans le paysage littéraire actuel, Hélène Cixous. Parlure se veut intime sans jamais être impudique ou, encore moins, emphatique.
Au contraire, ce texte est présidé par un amour semble-t-il immaculé d’une diction et d’une parole, autrement dit d’une langue : « Sa voix me fascine, car elle est jeune, inentamée, aurorale, comme si Alger, comme si Osnabrück, comme si Arcachon, comme si Jérusalem, comme si Paris, comme si rien n’avait jamais damné sa pureté ».
Désarmante de pureté, la langue de Colin Lemoine est quant à elle une échappée vers l’indemne, une invitation à trébucher pour mieux comprendre que parler, lire et écrire ne sont qu’une seule et même chose, à condition qu’on s’y attarde. En quelques pages que l’on pourra relire à l’infini, il a édifié un havre délicieux, musical et pictural, un royaume « enfin vivable et habitable ».
Colin Lemoine, Hélène Cixous. Parlure, frontispice d’Adel Abdessemed, éditions des Cendres, 2025, 15€.