Robin Josserand : la lubie « Arture » (Un adolescent amoureux)

Robin Josserand, Un adolescent amoureux, bandeau © Mercure de France

Il y a tout juste un an, Robin Josserand signait le beau et prometteur Prélude à son absence (Mercure de France, 2023), roman de l’impossible amour entre le narrateur et Sven, jeune homme perdu, vivant dans la rue, avec qui il entreprenait pourtant un voyage au fin fond de la Bretagne pour éprouver les affres d’un désir qui se sait voué à n’être jamais assouvi. Un roman qui pouvait se lire comme « le discours d’un fragment amoureux », qui cartographiait l’attente, l’espoir, la souffrance, le côté sombre et crasse de ce qui nous meut, aussi, quand le corps de l’autre attire. Un roman où circulaient Genet et Guibert, comme les ombres ou les fantômes d’un passé littéraire.

« Je crois qu’il faut écrire avec la verve de l’adolescence », pouvait-on lire sur la quatrième de couverture du Prélude. Le deuxième roman du jeune écrivain lyonnais, Un adolescent amoureux, s’inscrit dans cette même ambition : « écrire avec la verve de l’adolescence », mais aussi écrire sur l’adolescence, sur cette adolescence que le narrateur a passée au Creusot et qui, comme le signale l’épigraphe signée Christian Bobin, « n’était pas le nom d’une ville, mais d’une attente ». L’attente encore. L’attente que quelque chose se passe. L’attente que quelqu’un arrive… En fait, l’attente, car elle n’est que l’autre nom du désir.

« Lors du premier cours, le garçon arrive en retard et s’installe au dernier rang en faisant crisser sa chaise sur le carrelage ». L’incipit d’Un adolescent amoureux nous renverrait presque à l’entrée de Charles dans la salle d’études dans les toutes premières lignes de Madame Bovary. Mais alors que le futur mari de l’héroïne est « habillé en bourgeois », le garçon de Josserand est différent : « il paraît plus âgé », « barbe de trois jours », « cheveux longs », « chemise à carreaux rouges déchirée ». Lui a quitté l’enfance, il se roule des cigarettes en classe et fume des joints à la pause. Quand il écrit sous la dictée du professeur un texte de Rimbaud, il orthographie « Arture » le prénom du poète. C’est ainsi que décide alors de l’appeler le narrateur et son acte de baptême se déroule dans les toilettes en y gravant, aux ciseaux, ce pseudonyme sur une porte. Arture devient dès ce premier regard l’autre nom du désir. Il est celui de qui le narrateur aimerait se faire remarquer, celui à imiter, celui dont il cherche l’odeur, les papiers dans les poubelles, les anches dans son coffret à saxophone. Car Arture est saxophoniste dans un groupe de jazz local. Alors, le narrateur se rend à tous ses concerts dans un bar de la ville, il se met à écouter frénétiquement « John Coltrayne » et « Albert Tailer », veut lui-même jouer de l’instrument, puis ce sera de la batterie, puisque c’était le rêve d’Arture.

Dans Prélude à son absence, le narrateur notait : « Si je devais réfléchir à ce pour quoi j’ai commencé à écrire, je dirais que la littérature, pour moi, consiste à décrire de beaux jeunes hommes. » Il faudrait préciser : Robin Josserand explore davantage dans Un adolescent amoureux ce que ce garçon, Arture, suscite en lui, les images qu’il produit, les obsessions qu’il réveille, les rêves d’amour qu’il fait naître. Mais tout cela est vécu sur le mode de la damnation. En effet, Arture est inaccessible, il a sa petite amie, son cercle de petits voyous, il est mauvais élève. Le narrateur est quant à lui surprotégé par ses parents, par sa mère bienveillante, par son père qui dirige sa vie, il prépare par ailleurs son bac avec sérieux. Les deux garçons se croisent quotidiennement mais leurs univers sont parallèles. Ils se croisent mais le narrateur ne peut rien laisser transparaitre de ce qui se joue en lui. L’homosexualité dans une petite ville de province, quand on est adolescent, ne peut se vivre que sur le mode du secret, de l’interdit. Alors, il envie ces filles que désirent les garçons et qui n’en font rien : « Ces filles qui font les difficiles et qui ne saisissent pas la chance qu’elles ont. Si j’étais elles, je ferais jouir les mecs à la chaîne dans la forêt. On me conduirait dans les caves du quartier. Ne pas en profiter me paraît criminel. Goûtez donc aux garçons. Vous qui avez tous les droits. ».

Ainsi, le corps d’Arture, mais aussi les corps que regarde le narrateur sur les sites porno forment-ils dans son esprit une nouvelle iconographie religieuse. Là est son salut : « Des scènes qui m’éblouissent. Qui me rendent heureux. Ça me sauve la vie. Ça remédie au réel. Je bénis ces images. Je bénis pour toujours la pornographie ».

« De cet écrivain, je découvre enfin cette phrase que je recopie dans mon cahier, note le narrateur. Je me demande comment j’ai pu survivre à tant d’attente ». Un adolescent amoureux est le magnifique roman de cette attente dont Arture n’est peut-être que le prétexte. On comprend qu’il s’agit avant tout pour Robin Josserand de sonder le cœur et l’esprit d’un adolescent qui aime les autres adolescents, d’examiner les failles, les fissures, les ébranlements, les épanchements, de traquer les flux du corps, les fluides qui le traversent de bas en haut et comment composer avec cela. « Aujourd’hui, je me dis que les adultes ne savent pas du tout ce qu’est l’enfance », remarque-t-il encore. Il fallait son écriture pour nous le rappeler. De ce matériau brut, avec ses beautés et ses souillures, l’écrivain construit le mausolée d’une jeunesse passée. On ne peut qu’être ému et touché devant cet édifice. « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, / Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots. », écrivait Musset dans « Le Pélican ». Un adolescent amoureux est indéniablement de ceux-là. Robin Josserand a trouvé sa voix, son ton et sa musique. On ne peut qu’ardemment souhaiter qu’il chante encore.

Robin Josserand, Un adolescent amoureux, Mercure de France, août 2024, 152 p., 17 €  — Lire un extrait