La solitude Caravage qui vient de paraître chez Fayard est un livre qui fera date dans la connaissance et la portée de l’œuvre du génie italien. Comme dans ses romans, Yannick Haenel dévoile une suite prodigieuse de précisions, de scènes et d’illuminations qui se lisent par bonds. C’est un tour de force : ces toiles si connues, si commentées et qui ont quatre siècles se posent devant nos yeux comme si c’était la première fois. Voici le Caravage vivant, miraculeusement là. L’auteur nous a accordé un grand entretien.
Rome
« C’est quelque chose qui m’est arrivé, c’est vrai, mais je ne le saurai jamais », parole d’un analysant in Des chutes et des chut de la parole, Charline Bon, Edition Nuit tombée.

Saluons les Éditions Cambourakis d’avoir traduit Camarade Lune, le premier livre de Barbara Balzerani. Devenue écrivain, celle qui fut membre des Brigades rouges, appartenant à la direction stratégique, celle qui, après des années de clandestinité, fut arrêtée en 1985 et séjourna vingt-cinq ans en prison, rédigea lors de son emprisonnement un texte qui revient, avec lucidité et courage, sur deux décennies de lutte armée, de tensions politiques. Deux décennies qu’on a condensées, en Italie, en Allemagne, sous l’appellation d’« années de plomb » alors qu’il eût été plus juste, écrit Mimmo Sammartino dans sa postface, de parler comme le fait Erri de Luca, d’« années de cuivre ». L’immense mérite de Camarade Lune est de soulever la chape de plomb sous laquelle on a recouvert ces années de contestation précédant le triomphe du néocapitalisme.
Une table de pierre simple, un carreau de calcaire ocre, gravé en latin sur le flanc. C’est la tombe du tout premier habitant du cimetière, premier colon de l’enclos : George Langton, étudiant d’Oxford, mort à Rome en 1738, concivis dulcissimus itinerisque socius, pleuré par ses compagnons. Je suis assis devant la tombe, dans l’herbe déjà brûlée du cimetière acatholique, réservé aux étrangers morts à Rome ou dans la région. Acatholique est étrange : cimetière non-universel. Le championnat national du basket américain s’appelle World Championship. Rome aussi tenait lieu de monde. La pyramide de Cestius pointe sa prothèse de marbre dans la gencive rousse du mur d’Aurélien. J’ai avec moi The Fall of Rome : A Traveler’s Guide, de Anne Carson. Je ne lis pas, mais des vers bougent. L’homme est touriste de sa vie. Il fait la queue aux attractions, coche les étapes obligées et en trépigne, piètre amant, les vieilles zones érogènes émoussées de répétitions.

Un jour, il y a des années maintenant, j’ai lu une phrase stupéfiante. Cette phrase figurait dans un livre de philosophie. À l’époque, encore lycéen, je n’étais pas sûr de toujours bien saisir ce qui était écrit dans ce genre d’ouvrages. Mais lire était en soi un événement. Je sentais que quelque chose s’accordait à mon être en le désaccordant du monde que par ailleurs il subissait. Je lisais pour m’alléger. Je lisais comme on dévale une pente.
Je m’aperçois aujourd’hui que mon acte de lecture ressemblait, en son ordre, à celui de Mouchette, cette gamine au destin bouleversant filmée par Bresson.
« La science historique nous laisse dans l’incertitude sur les individus ». De cette citation en exergue, empruntée aux Vies imaginaires de Marcel Schwob, Céline Minard fait un art poétique.

Le tennis serait-il plus qu’un sport de compétition, alternativement joué dans le cadre de chelems courus en extérieur ou en salle, sur gazon, sur terre battue ou sur résine synthétique ? Serait-il plus qu’une activité de gentlemen, pratiquée depuis à peine plus d’un siècle sur du temps relativement libre ? Cette discipline n’aurait-elle pas des sources bien plus anciennes, remontant à l’époque de la Contre Réforme et du Siècle d’Or? Avant d’être un « jeu », le tennis dans sa forme initiale n’aurait-il pas été avant tout un instrument diplomatique prisé autant par Charles Quint, Henri VIII et les Conquistadors pour sceller des accords de paix, si ce n’est durable, au moins temporairement cordiale ?
Autant de questions qu’Álvaro Enrigue soulève avec malice, impertinence et non sans une indéniable clairvoyance historique dans son roman Mort subite, plus que justement récompensé par le prix Herralde en Espagne.

Le 16 avril a été inaugurée la 3e édition du Festival Normandie Impressionniste qui propose à travers la région normande un ensemble foisonnant d’expositions, de spectacles vivants, d’événements cinématographiques, lyriques, chorégraphiques – sans oublier le numérique, l’organisation d’ateliers, d’activités pédagogiques, de conférences, de rencontres, etc. Jusqu’au 26 septembre, l’ensemble de la Normandie, en plus de son patrimoine et de la beauté de ses lieux, devient l’occasion de s’immerger dans un monde culturel qui, pour cette édition, se veut résolument contemporain.
De l’inquiétude
Je suis d’un naturel inquiet. Dans mon premier roman, Paris s’émiette et fond sous une pluie corrosive. Dans mon deuxième roman une jeune femme disparaît comme si ce n’était rien, comme si c’était facile et évident de disparaître, comme si au fond c’était la permanence, le scandale – et non les ruptures qui nous dévient de nous-mêmes. Dans le troisième, des œuvres d’art se dégradent, se transforment : des images bien aimées, à titre privé ou collectif, deviennent irregardables. Quant au quatrième roman, celui que je suis en train d’écrire, mieux vaut ne pas en parler.
L‘un des monstres sacrés du cinéma italien, Ettore Scola, né en 1931, est mort mardi 19 janvier à Rome. Il avait 84 ans. De sa longue carrière, on retient immédiatement trois très grands films, Nous nous sommes tant aimés (C’eravamo tanto amati, 1974), Affreux, sales et méchants (Brutti, sporchi e cattivi, 1976) et Une journée particulière (Una giornata particolare, 1977), avec Sophia Loren et Marcello Mastroianni.
Son œuvre est une vue en coupe de l’Italie. Simona Crippa nous rappelle que lors de sa « master class » au théâtre Petruzzelli de Bari, après la projection de Una giornata particolare, en mars 2015, il s’adressa aux jeunes pour les inciter à changer l’Italie :
« On ne vous demande pas de prendre les fusils et d’aller dans les montagnes, mais d’avoir des idées et de l’enthousiasme. »
Si ces dispositions venaient à disparaître comme elles sont apparues, si par quelque événement dont nous pouvons nous effrayer sans en deviner la promesse, elles venaient à basculer, alors on peut bien parier que le visage de l’homme s’effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable.
Michel Foucault
Et si dans un grand élan de générosité teinté d’une once d’exhaustivité toute relative on vous parlait pêle-mêle de la Belgique, de Rome, de l’Afrique, de l’Amérique et de la France ? Un tour du monde en quatre-vingts feuillets en somme (c’est une expression, on ne fera pas de détour par la baie, pas encore, pas déjà, pas le temps).