Devant les ultimes photos de Proust, dans les derniers moments de son séminaire à la lisière de 1980, Barthes a laissé échapper une définition de l’image qui semble en épuiser la matière nue, celle qui veut qu’« une image, c’est, ontologiquement, ce dont on ne peut rien dire. » Nul doute que Denis Roche aurait pu, depuis sa discrète mais aussi bien intense et décisive activité de photographe, souscrire à ce bientôt presque aphorisme de Barthes, lui, Denis Roche, qui, poète ultime, sur la frange de ce qui ne se verra pas, trouve très tôt dans l’image fixe et le plaisir joint de la chambre claire et de la photographie le moment opportun, la tuché folle qui dérobe, par la vision, le langage au langage.

A l’occasion des représentations d’Eric von Stroheim au théâtre du Rond-Point, dans une mise en scène de Stanislas Nordey, rencontre avec le dramaturge et cinéaste Christophe Pellet pour un entretien où il est question, bien sûr, de théâtre et de cinéma, mais aussi du désir, de politique, de Bachelard, de l’image, de transgenre, des acteurs, de sexualité, de Racine et de fétichisme ou de l’importance d’inventer de nouveaux moyens de diffusion.

Voilà bientôt une année, comme par surprise à soi, que Prince nous a quittés, jour pour jour. Ce sinistre premier anniversaire est marqué par la sortie d’un EP inédit, Deliverance, sans doute écrit et interprété entre 2006-2008, période féconde pour celui qui se faisait appeler The Artist mais aussi par une somme de biographies dont on retiendra, lumineuse, érudite et généreuse, celle d’Alexis Tain, Prince : Le Cygne Noir à la Découverte.
Car on le sait désormais depuis un an, comme une rumeur folle, comme une évidence indépassable : Prince n’aura vécu que 8 ans.

Depuis bientôt une quinzaine d’années, Stéphane Bouquet a su s’imposer, recueil après recueil, comme l’une des figures parmi les plus remarquables de la poésie française contemporaine. De Dans l’année de cet âge jusqu’à Nos Amériques en passant par Le Mot frère et Les Amours suivants, la poésie de Bouquet déploie la quête sans trêve d’une vie vivante qui voudrait faire surgir un peuple, œuvrer à habiter le monde et à recueillir les instants épars dont les hommes sont faits. C’est à l’occasion de la parution de Vie commune que Diacritik a rencontré le poète pour un grand entretien où il revient sur son œuvre et en particulier sur son nouveau recueil qui s’offre comme l’un des textes les plus importants de cette année.

Je suis né le 15 février 1976 mais d’une certaine façon je suis né ce jour de 89, jour que je n’ai pas noté, que j’ai longtemps nié, j’ai voulu nier son caractère fondateur, j’avais 13 ans. J’étais précoce, j’allais souvent dans ce jardin public, j’avais remarqué que les hommes y marchaient d’une drôle de façon, avec une drôle de lenteur, cette lenteur était pleine de signes et de signaux, c’était fascinant à voir, un spectacle fou, tout un monde.

Après avoir donné à la scène en 2012 le vif et inventif Nouveau Roman, Christophe Honoré est revenu cet automne au théâtre avec Fin de l’Histoire, spectacle d’une rare force dramaturgique, entre grâce joyeuse et tragédie sans retour, inspiré et réécrit depuis L’Histoire (opérette), une pièce inachevée de Witold Gombrowicz. Emmenée par la figure même du jeune Witold, poète immature et solitaire parmi les hommes, la pièce traverse le siècle et ses événements de désastre, ses errances politiques mais aussi ses débats philosophiques en autant de questionnements sur lesquels Christophe Honoré a accepté de répondre pour nous le temps d’une interview ouverte comme on dit en italien. Après ses triomphales représentations à la Colline et avant son départ en tournée, le metteur en scène et dramaturge évoque à travers une série d’images ce que, dans Fin de l’Histoire, nous voyons, et ce qui nous regarde.

Il reste qui ? Ermanno Olmi ? Bertolucci ? Bellocchio bien sûr… Peut-être… Cela ne change rien, tout le monde l’aura compris : avec la mort d’Ettore Scola, c’est bien l’âge d’or du cinéma italien qui s’est définitivement éteint ce mardi. Alors attention, le cinéma italien n’est pas mort, il faut être Français et critique de cinéma pour penser le contraire. Moretti, Tullio Giordanna, Bellocchio, Amelio, Sorrentino : le cinéma italien est bien vivant.
Mais l’âge d’or vient de se terminer.

Sans doute Prince pourra-t-il demeurer dans les mémoires chacune pour avoir été le premier musicien né après la musique. Sans doute, comprend-t-il, un soir d’avril 1980 alors qu’il vient achever quelques dates de sa première tournée, dans un temps décidément où il ne parvient pas encore à naître à lui-même en dépit de déjà deux albums où sa voix tente de forer le lisse de toute chanson, sans doute saisit-il ainsi au volant d’une voiture dont le souvenir est inconnu de nous que toute chanson est finie.

La rumeur enfle sur la croisette, elle n’étonne personne : au soir du Palmarès 1977, le jury présidé par Roberto Rossellini a choisi un film italien comme Palme d’or. Ettore Scola peut feindre la surprise, il a entendu les tonnerres d’applaudissements à la fin de la projection, il a lu une critique presque unanime. Réalisateur en vogue, prix de la mise en scène pour Affreux, sales et méchants, il attend la palme. Personne ne semblait se souvenir de l’autre (grand) film italien de la compétition et, à la surprise générale, ce sont les frères Taviani qui remportent la palme pour Padre Padrone. Une journée particulière entre dans la légende des grands oubliés du festival.