« Or, au temps de ses couches, il y avait des jumeaux dans son sein. Pendant l’accouchement, l’un deux présenta une main que prit la sage-femme ; elle y attacha un fil écarlate en disant : « Celui-ci est sorti le premier. » Puis il rentra sa main et c’est son frère qui sortit. « Qu’est-ce qu’il t’arrivera pour la brèche que tu as faite ! » dit-elle. On l’appela du nom de Pèrèç – c’est-à-dire la Brèche. » (Genèse 38. 27-29)

Dirigée par Carole Aurouet, la collection « Le cinéma des poètes » (Nouvelles Éditions Place) réunit des études brèves et stimulantes consacrées à de nombreux auteurs et à leurs rapports au cinéma. Desnos, Picabia, Duchamp, Roussel, Duras ou encore Michaux ou Aragon (liste largement non exhaustive) figurent au catalogue du « Cinéma des poètes ». Christelle Reggiani, à laquelle on doit de nombreuses études sur Perec et la direction de ses Œuvres en Pléiade, signe un Perec et le cinéma dans cette foisonnante collection.

« Nous vivons dans l’espace » : c’est cette (paradoxale et fausse) évidence qu’interroge Georges Perec dans Espèces d’espaces (1974), à la demande de Paul Virilio, qui souhaite inaugurer avec ce titre sa collection « L’espace critique » chez Galilée. Le livre de Perec sera, dans son ensemble, cet espace critique, soit le questionnement de nos manières d’habiter et penser des lieux « multipliés, morcelés et diversifiés », proches ou plus lointains et de ce que ces espaces disent d’un lien consubstantiel à l’écriture. Espèces d’espaces vient de paraître dans « La Librairie du XXIe siècle » des éditions du Seuil et cette édition augmentée d’un riche cahier de documents et archives matérielles permet de mesurer combien ce texte est central dans l’œuvre de Perec comme dans nos présents.

Le 24 mai 2022 en partenariat avec Diacritik, a eu lieu une rencontre, animée par Jean-Luc Joly, à la bibliothèque de l’Arsenal, autour de l’édition de Lieux (éditions du Seuil, « La Librairie du XXIe siècle », 2022), avec Pierre Getzler, Sylvia Richardson, petite-cousine de Georges Perec (et son ayant-droit, avec Marianne Saluden), Claude Burgelin (qui a également lu un texte de Maurice Olender), Caroline Scherb, qui a présenté le site de Lieux et toutes ses possibilités de navigation numérique augmentée, et Jean-Luc Joly. Vous pouvez retrouver ici la captation de l’intégralité de la soirée.

Il y a les personnes dont on parle – et pour certaines, dont on ne cesse de parler, y compris quand elles ne font rien. Et il y a celles dont l’activité pourtant incessante, voire débordante, se tient à l’écart des hauts parleurs qui font et défont les réputations. Des deux côtés : quelques grand(e)s artistes et nombre de faiseurs qui, une fois passés de vie à trépas, rejoignent la file d’attente des intermittents de la postérité. Le 19 juillet dernier, Jean-Pierre Marchadour s’est éteint à Saint-Crépin-Ibouvillers, dans l’Oise.

Paris Fantasme est plus qu’un roman : cartographie intime de la rue Férou, tentative d’épuisement d’une rue parisienne, « autobiographie au pluriel », archives et déploiement d’un imaginaire des lieux et des êtres, le nouveau livre de Lydia Flem échappe à ce genre comme aux autres. À son origine, une question : comment « habiter tout à la fois son corps, sa maison et le monde ? », quel lieu à soi trouver quand on est hantée par le sentiment d’un exil ? Cet espèce d’espaces sera ce livre, qui tient de Balzac, de Woolf comme de Perec, tout en demeurant profondément singulier.

Le Signal de Sophie Poirier est placé sous l’exergue d’une phrase d’Emmanuel Hocquard : « on aimerait que la qualité d’une architecture ne tînt ni à sa démesure, ni à son aspect spectaculaire et/ou spéculatif, mais au rôle qu’elle joue, éthiquement, dans le paysage et les vies qui l’incorporent ». C’est dire que si le Signal impose sa barre de 4 étages et son énorme « masse rectangulaire » sur une plage de Soulac sur la côte Atlantique, ce ne sont ni cette démesure ni cet aspect spectaculaire qui ont conduit l’autrice à centrer son livre sur un immeuble… mais plutôt le paradoxe qu’il figure puisqu’il est « si fragile, si près du bord », sous la menace d’une montée du niveau de la mer. Le signal dit une beauté sidérante parce que disjonctive comme une double cristallisation amoureuse. Dans sa « solitude flagrante », le Signal est signe, multiple, et concentré de plusieurs époques, des années 70 à aujourd’hui.

« Une maison d’inconnu est un réservoir de fiction. Je regarde un volet, je vois une vie » Édouard Levé, Dictionnaire (« Photographie »), Inédits, P.O.L, 2022

Dès les premières lignes du roman de Fiona Mozley, nous suivons un escargot qui s’échappe de la brasserie française Des Sables, en plein cœur de Soho. Le détail, de ceux qu’étudiait Daniel Arasse, met en lumière une manière de raconter : se concentrer sur ce qu’on néglige généralement, faire du prétendument infime le précipité d’un ensemble, profiter de la lenteur de déplacement du gastéropode pour rappeler l’histoire de Soho, quartier central de Londres qui fut une banlieue et même une lande. Karl Marx y a rêvé d’utopie pendant que sa femme s’occupait des tâches ménagères. Le quartier a écrit sa légende en tant qu’épicentre des arts et de la bohème puis les bureaux et appartements de luxe « se sont dressés sur des taudis comme de fausses dents sur des gencives pourries ».

Si Perec, dans La Vie mode d’emploi, occupait un immeuble, il s’agit pour Olivier Rolin, avec Vider les lieux, de le quitter. Sommation lui a été faite de déménager d’un appartement dans lequel il vivait depuis 37 ans, rue de l’Odéon. Au-delà des milliers de livres à emporter, c’est bien la moitié d’une vie qui s’achève avec ce départ, moins « une fin du monde au petit pied », pour reprendre la définition du déménagement par Michel Leiris, qu’un état des lieux, le déploiement d’un « atlas intime », puisque chaque livre, chaque objet raconte une histoire et que ces récits se bousculent en soi. Entre Biffures et (ré)Invention du monde, Olivier Rolin écrit pour reprendre pied.

La bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou propose, jusqu’au 10 octobre 2022, une exposition des œuvres de Chris Ware. Le parcours offert aux visiteurs déploie trente années de créativité intense, avec une large place laissée à ses planches originales, à son travail constant sur l’objet livre (qu’il renouvelle en profondeur), à des films où l’artiste américain explicite son travail et ses techniques. Installée au cœur de la bibliothèque, réalisée par Benoît Peeters et Julien Misserey en étroite collaboration avec Chris Ware, totalement gratuite, cette exposition est absolument exceptionnelle. Diacritik vous propose une promenade photographique dans ses allées.

Un jour Marie Darrieussecq a perdu le sommeil, qu’elle pensait pourtant son ombre. Dans Pas dormir, l’autrice se plie aux scenarii alternatifs que lui dictent ses insomnies : penser, lire, écrire, chercher ce qu’une trinité tutélaire (Kafka, Cioran, Proust) et tant d’autres auteurs ont eux aussi traversé. Ce livre est « le résultat de vingt ans de voyage et de panique dans les livres et dans mes nuits ». Mais il est  surtout une manière radicalement autre de se dire, une forme d’autobiographie par l’insomnie qui échappe à toute limite formelle parce que son sujet est, en définitive, l’éveil, à soi et au monde.

Quand nous nous sommes rencontrés en Dordogne, début 2023, lors de la résidence d’écriture que vous avez effectuée à La Maison du Goupillou, vous disiez à vos hôtes et à vos interlocutrices et interlocuteurs, que votre roman en chantier (c’était Le Vieil Incendie) concernait l’aphasie et deux sœurs, et que vous l’aviez situé dans la région. Pouvez-vous nous préciser comment vous est venue « l’idée » de ce livre, comment elle s’est imposée à vous ?