Indubitablement, Une histoire du vertige de Camille de Toledo, qui paraît chez Verdier, s’offre comme l’une des plus remarquables et stimulantes réflexions de ces dernières années. Livre adressé, narration des narrations, Une histoire du vertige revient, à la lumière de la littérature, sur nos temps présents pour comprendre ce vertige, ce sentiment d’effondrement par lequel l’homme détruit ses appuis terrestres. Essai écopoétique, Une histoire du vertige dresse le sombre tableau des fictions qui ont confisqué le monde et ont fini par le détruire. Peut-être s’agit-il ici d’un essai de critique épique, premier du genre et ouvroir potentiel à un renouveau critique. Autant de perspectives ouvertes par un grand entretien avec Camille de Toledo autour de ce livre clef.

Les éditions Ardemment, créées en 2021, privilégient des fictions et essais d’autrices qui ont été « invisibilisées » au cours de l’Histoire mais aussi des textes plus récents, leur objectif étant de « constituer un matrimoine en vis-à-vis du patrimoine dominant ». Elles viennent de publier Affreville de Claire Tencin, un récit très singulier sur la guerre d’Algérie.

Il y avait d’abord la Grande Beune en 1996, il y a maintenant la Petite Beune en 2023. Vingt ans après, ou un peu plus mais au fond c’est la même chose : si on fermait les yeux, pour un peu on reverrait d’Artagnan sorti de la poussière, Aramis et ses fanfreluches de précieux, Athos et sa mélancolie souveraine, Porthos et son rire de géant – le retour des vieux guerriers, ou les vieux guerriers sur le retour, ce qui n’est pas la même chose. Dumas avait eu le nez creux quand il avait fait revenir ses mousquetaires : non tellement parce qu’il annonçait la mécanique sérielle, non tellement parce qu’il annonçait Proust par la question du temps, mais parce qu’il montrait qu’en littérature il n’est au fond question que de retour. Homère l’avait déjà dit, et avant lui Gilgamesh : on ne fait que revenir, réarpenter les mêmes sillons mais en étant, Héraclite nous l’a enseigné, jamais le même que la première fois – Pierre Michon le sait bien.

Pour sa 14e édition, en partenariat avec Diacritik, les Enjeux contemporains de la Maison des écrivains et de la littérature interrogent ce qui fait encore commun. Au théâtre du Vieux-Colombier, ces 19, 20 et 21 octobre, la Maison des écrivains et Diacritik vous donnent rendez-vous à l’occasion d’une vingtaine de rencontres placées sous le signe de la littérature et du politique. Pour vous donner un aperçu de ce « Faire commun », toute la semaine, Diacritik vous fera découvrir, sous forme d’entretiens ou d’inédits, des autrices et des auteurs participant à ce rendez-vous littéraire majeur de l’automne.

Le ravissement de Marilyn Monroe, livre publié aux éditions Métropolis, est devenu spectacle, sous le titre « Le Vertige Marilyn ». Chaque fois l’image est au centre, non seulement comme sujet (l’icône Marilyn, la société du spectacle, etc.) mais comme forme. Dès le livre, avec les dessins d’Anne Gorouben, à la Maison de la poésie avec le dispositif scénographique pensé pour le spectacle.

Wajdi Mouawad aime les grandes fresques et ce spectacle de six heures, en trois parties, ne cache pas son ambition monumentale. L’ouverture en forme de dialogue inouï entre l’enfant et le vieillard qu’il sera pose les jalons de cette épopée diffractée. Il s’agit d’explorer les possibles d’une vie, d’abolir le hasard qui fonde une existence, de jeter les dés à plusieurs reprises pour voir ce qui se serait passé si… Si au lieu de prendre un avion, on en avait pris un autre. Voire si on n’en avait pas pris du tout.

Abondance, le premier roman de Jakob Guanzon, est de ces textes qui ne proposent pas seulement une lecture mais bien une expérience, qui ne donnent pas seulement à lire mais à ressentir ce qu’est, concrètement, une vie de laissé pour compte aux États-Unis aujourd’hui. Le roman suit Henry et son fils Junior, le jour des 8 ans de l’enfant, et le lendemain, dramatique, de cet anniversaire, dans une forme de huis clos et de boucle temporelle à la tension insoutenable, décuplée par des chapitres qui reviennent sur les années qui ont précédé cette journée : l’adolescence d’Henry, sa rencontre avec Michelle, la naissance de leur enfant mais aussi une série de dérives et addictions qui vont les prendre et les laisser exsangues, comme « évidés ».

Après Blandine Volochot, Capitale Songe et Contre-Nuit, Lucien Raphmaj revient raconter une étrange histoire, l’histoire sidérale d’un désastre : l’arrivée d’une météorite dans la vie, le monde et le récit de sa narratrice. Sans prétendre détruire cette comète – nous ne sommes pas dans Armageddon – nous pouvons tout du moins tenter de l’appareiller, d’en étudier le sillage, d’en approcher la forme. Rapprochons-nous, par le télescope onirique des songes, d’Une Météorite nommée désir. 

« C’est à Berlin que cette histoire commence, comme peut-être commencent désormais à Berlin toutes les histoires de ruine, de hantise et d’oubli ». C’est dire que Freshkills est un livre sur les lieux, et ce que les lieux disent de l’Histoire, mais aussi sur le paradoxe qu’ils révèlent puisque le mémorial berlinois évoqué est « un cimetière sans morts », un espace construit et sans passé ; et que Freshkills, qui donne son nom au livre, répond à la même décision de changer notre rapport au(x) lieu(x) : la décharge à ciel ouvert à Staten Island, « Mondor urbain » doit devenir un immense parc, recouvrant les déchets enfouis.

Longtemps je n’ai pas eu de mots. En Janvier 2022, Olivier Steiner et Isabelle Adjani rencontraient sur scène Marilyn Monroe. Ce spectacle s’est métamorphosé, a évolué, voyagé ici et là et, à l’heure où la performance se rend justement à la rencontre des paysages de Marilyn, la nécessité d’écrire un « quelque chose » m’est venue : si aujourd’hui tout peut être enregistré, capté, ce spectacle semble faire figure d’exception – peut-être justement parce qu’il relève d’une expérience mystique et que souvent, face à la beauté et au mystère de la rencontre, ne peut subsister que la sidération d’une épiphanie. Ainsi, agissant à rebours, à contre-temps presque, j’ai avancé ce texte pour nommer, dire, cet endroit entre l’ombre et la lumière – ce geste que j’ai pensé comme une contre-archive : celle du sentiment et de l’émotion.

Le Relais des Amis est à la fois un lieu et l’absence de tout lieu : c’est, sur son recto concret, le nom d’un café dans une petite ville de la côte normande et, sur son verso abstrait, le principe romanesque d’un livre qui portera le nom de ce café. Là Simon tente, en vain, de commencer un roman, il n’a pas même la première phrase. Mais on le suit se rendre au Relais des Amis et tout s’enclenche, la prose de Christine Montalbetti s’envole, suivant un personnage puis un autre, faisant du roman non une fuite en avant mais un passage de relais, un art de la fugue.

Que menace le sourire des femmes chez certains hommes ? Que vient défier un sourire au point d’exiger qu’il disparaisse ? Les réponses me viennent par dizaines et chacune d’elles m’insurge. Dans ce livre, tous les sourires sont amenés à disparaître des visages comme une longue crispation en grimace, un chemin vers la laideur. Une défiguration donc. Celle, lente et terrible, d’un jeune couple dont l’histoire est narrée par celui qui a frappé à mort celle qu’il aimait. Avec Baisse ton sourire, troisième roman de Christophe Levaux paru aux éditions Do en janvier dernier, nous lisons un récit de violence conjugale, orchestré par une narration houleuse, cynique et intelligente.