Tokyo Vice : embedded with Yakuzas

©HBO Max

Les bonnes surprises, c’est un peu comme un recommandé des impôts, ça vous tombe dessus au moment où vous vous y attendez le moins. Oubliez les maisons aux dragons et les anneaux de pouvoir, la rentrée série se lève à l’Est avec Tokyo Vice, mini-série immersive et noire signée Josef Wladyka, Hikari, Michael Mann (!) et Alan Poul. Adaptée du livre éponyme de Jake Adelstein, Tokyo Vice est filmé à hauteur de Gaijin, avec une précision et une âpreté qui vous happe dès les premières secondes. 

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© éditions Marchialy

Pour qui n’aurait pas lu ou entendu parler du livre de Jake Adelstein, Tokyo Vice, Un journaliste américain sur le terrain de la police japonaise (traduction Cyril Gay, éditions Marchialy), l’histoire de ce journaliste occidental embauché dans un quotidien japonais est rigoureusement réelle. Dans la série adaptée de ce polar non-fiction, les réalisateurs s’attachent à restituer avec acuité et style la destinée de Jake, étudiant en rupture familiale, installé au Japon depuis 3 ans. En préambule du premier épisode, The Test, Tokyo Vice commence dans un présent indéterminé avec une scène façon Heat ou Scarface, quand le jeune reporter flanqué d’un policier mutique se fait menacer (et sa famille avec) par un mafieux. Puis, opérant un retour vers le passé, on suit les jours et les nuits de Jake, donnant des cours d’anglais, pratiquant les arts martiaux, traînant sa grande cardasse dans les rues de la ville ; avant de passer un concours d’entrée au Meicho Shimbun, un des plus grand quotidiens japonais – qui n’a jamais intégré de journaliste étranger dans ses rangs. Au long de scènes d’exposition plutôt taiseuses, ce prologue à l’intrigue en devenir, réalisé par Michael Mann la plongée dans la vie tokyoïte, est l’occasion de présenter scène par scène le décalage entre le mode de pensée d’un Américain et la société japonaise.

Il faut se figurer le Tokyo du début des années 90, l’outrance d’un côté et l’humilité de l’autre, la discrétion jusqu’à l’obséquiosité et les plaisirs incongrus voire déviants. Jake navigue entre ces eaux, avec son arrogance occidentale qui le conduit à oublier de réaliser la dernière partie du fameux test là où les autres impétrants besognent jusqu’à l’ultime minute. Le destin de Jake s’écrit néanmoins en caractères d’imprimerie : finalement embauché, il intègre le quotidien et devient grouillot parmi les grouillots, enchaîne les livraisons de cafés et thés aux journalistes seniors, suit à la lettre les préceptes  d’un journalisme qui le déconcerte. Versé dans le service qui suit les affaires policières, il doit rendre compte des faits divers, livrer des infos sans questionner, sans sourciller, sans faire de vague. Lui qui rêve d’enquête et d’investigation se retrouve à recopier sans regard critique des communiqués officiels qui certes relatent les faits mais ne disent rien d’une quelconque vérité qui se cacherait derrière les apparences.

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Interprété avec désinvolture et assurance par Ansel Elgort, le personnage de Jake Adelstein est un archétype d’intelligence et de complexe de supériorité made in US qui va vite être confronté aux limites imposées par la société et le mode de vie japonais. Les relations entre la police et la presse, entre la mafia et la police, entre les journalistes et les Yakuzas tissent une trame complexe comme l’est le pays tout entier. Les Yakuzas sont intouchables, craints et enviés, la remise en cause de leurs pouvoirs et privilèges ne sont pas à l’ordre du jour et enquêter sur leurs activités (qui ont pignon sur rue) n’est pas envisagé, encore moins envisageable. 

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Aidé d’un policier désabusé (joué par Ken Watanabe) et plongeant un peu plus chaque heure du jour et de la nuit, Jake se lance dans une quête qui va très vite le dépasser, frayant avec la pègre, interpellant des Oyabuns sans avoir conscience (?) du danger, flirtant (au sens propre) avec une Escort-Girl au passé coupable, nouant des liens d’amitié avec un Kyodai ambivalent fasciné par l’Occident. Bien au-delà de la promesse d’une série policière de grande qualité ou d’investigation journalistique à la Spotlight, Tokyo Vice brille par ses renversements de focalisations, par son écriture tout sauf caricaturale des personnages (dont certains ont été inventés pour la série) et par la peinture de la société japonaise d’alors. Au fil des épisodes, loin de verser dans la linéarité d’une série d’enquête classique, les points que veut relier Jake Adelstein pour mieux faire éclater la vérité au péril de sa vie et de celle de ses proches, fussent-ils Américains ou Japonais, sont les postulats à une exploration des psychologies et motivations des protagonistes. Dans cette série qui oscille entre réel et imaginaire, les destins de Jake, des malfrats, policiers intègres ou corrompus, journalistes aux ordres, face au poids des traditions et la peur permanente de remettre en question un statu quo séculaire sont autant de bonnes raisons de se procurer le livre sans délai ou d’attendre avec fébrilité le final de cette série d’investigation et d’atmosphère qui ne se résume pas à son intrigue rigoureuse. Et se révèle formellement et fondamentalement brillante parce que trop belle pour ne pas être vraie.

Tokyo Vice, de Adam Stein, Josef Wladyka, Hikari, Michael Mann et Alan Poul. Adaptée du livre de Jake Adelstein, Tokyo Vice, Un journaliste américain sur le terrain de la police japonaiseAvec : Ansel Elgort, Ken Watanabe, Rachel Keller, Shô Kasamatsu, Ella Rumpf, Rinko Kikuchi, Shun Sugata, Takaki Uda, Kosuke Tanaka. Produit par Endeavour Content. Diffusé sur Canal Plus. Final le 6 octobre 2022.