Véronique Pittolo : Si Carthage avait triomphé…

Victor Mature, Hannibal (1959)

Si Carthage avait triomphé, nous serions probablement orientaux (Phéniciens, marins, etc.). Pas de France, cher pays de mon enfance telle qu’on l’a connue, pas de fierté gaulliste non plus. Michel-Ange en Italie ? Pas forcément. Goethe en Allemagne ? Non plus. Le visage de l’Europe eut été entièrement différent.

La défaite de Carthage fut un tournant majeur de l’histoire et de l’histoire de l’art. Le dictateur romain Maximus triomphe au 2ème siècle avant J.C. ; ensuite, notre destin bascule (c’est évident). Notre existence, ses lois, son droit, son ÉTAT et son économie (taxations, congés payés), sont par conséquent, en vrac, issus d’une dictature fondatrice : Hannibal versus Maximus versus Hannibal, versus etc. N’ayant pas fait de latin à l’école, je n’ai jamais compris ce qui serait arrivé en cas de score nul (1 partout, la balle au centre). Les dés eurent été jetés beaucoup plus loin (au Nord, à l’Est, ou nettement plus au Sud … je ne sais pas).

La Terre n’est pas exclusive : il est possible que parmi les milliards de galaxies et les exoplanètes, existe quelque part dans la nuit infinie l’équivalent d’Hannibal qui aurait gagné une victoire. Cette victoire aurait engendré des montagnes, des lacs, des chevaux en liberté. Sachant que la vie primitive a traversé des événements géologiques majeurs et des bouleversements cosmiques considérables, la victoire d’un simili Hannibal, loin de nous, dans un lieu improbable, impliquerait des moments exceptionnels : on pourrait s’allonger sur la plage en toute saison. Malheureusement, entre deux séances de bronzage, la guerre reviendrait, les conquêtes et la force virile (elle revient toujours, la guerre), et on n’aurait pas le temps de s’étaler une deuxième couche de crème sur les jambes, parce que BING ! la GUERRE !

J’ai longtemps rêvé de ce mot, CARTHAGE, un mot qui implique farniente, hôtel et discothèque, farniente éternel (bikinis), azur, azur, azur, et sous le ciel turquoise, le Président Hannibal au bronzage naturel (franchement foncé). Il aurait repoussé les Vikings au Nord (parce que trop pâles), et les Vikings ne reviendraient jamais (ne pouvant s’adapter). Les Romains auraient été absorbés par les Sarrasins (colons) qui, à Poitiers, auraient franchi la frontière.

Carthage au pouvoir impliquerait pas de libre-échange ni centrales nucléaires, pas d’Universités (ni loyers, ni propriétés). On vivrait selon des modalités différentes (temples, tentes, tongs, la moustiquaire renouvelée chaque jour). Il ferait si chaud.

Les premiers colons l’avaient compris : en chemisette à manches courtes, casqués, ils s’étaient adaptés (au désert, à des mœurs différentes des leurs). Ils prenaient le thé sous la tente, dans un écosystème britannique ou français, étanche et colonial. Les colons avaient conscience de ce qu’ils apportaient aux populations indigènes, ils chevauchaient des chameaux en culottes de cheval sanglées, aérées, admiraient les jeunes filles autochtones à la peau sombre, prenaient des photos avec de gros appareils à retardement. Ils incarnaient enfin la modernité, le raffinement et la banque, le commerce, l’art des musées, l’éducation.

Carthage au pouvoir impliquerait l’abolition du suffrage universel et une Marine Le Pen phénicienne (et ce, malgré son nom breton). Sous Hannibal, Emmanuel Macron n’aurait pas les yeux bleus ni cet air satisfait et content de lui : il serait éleveur, cueilleur, habiterait dans une yourte (sans le chauffage central de l’Élysée). Hannibal n’eut peut-être pas été un gouvernant exceptionnel (peut-être pas). Il n’aurait pas tenu ses promesses (il y aurait encore des esclaves ? des injustices ? Probablement).

Flaubert m’a fait rêver avec son roman exotique. Je me souviendrai longtemps du début de Salammbô en boucle, dans ma mémoire, dans les faubourgs de Carthage, mais la réalité n’est pas un roman, les moments de paix sont des pauses, et les vacances méditerranéennes, exceptionnelles.

À un moment, la guerre revient (c’est obligatoire).