Jean-Clet Martin : « Science-fiction, cinéma, bande dessinée forment mes zones critiques »

Jean-Clet Martin (archives de l'auteur)

Entretien de Mickaël Perre avec Jean-Clet Martin, au cœur de l’image, entre SF et BD, pour proposer un parcours de son œuvre et décrypter la logique de sa philosophie, conçue comme « investigation critique », au sens où « elle se joue au bord d’une crise ».

De Blueberry à L’Incal, votre dernier livre, paru en début d’année aux Impressions Nouvelles, semble s’inscrire directement dans la continuité théorique des deux ouvrages antérieurs, publiés chez le même éditeur : Logique de la science-fiction. De Hegel à Philip K. Dick (2017) et Ridley Scott. Philosophie du monstrueux (2019).

C’est vrai, un même éditeur est le signe d’une certaine unité pour ces trois ouvrages qui orbitent dans le voisinage de l’image. Comment vivre dans l’image, entrer dans son automatisme pour ainsi dire spirituel, dans son enchaînement, ses associations ? C’est une question que Hume avait posée déjà à la pensée nous conduisant vers des expériences particulières. Pour réaliser le lien des idées, pour opérer des agencements, il faut recourir à des opérations comme la causalité, la ressemblance, la contiguïté… Ces formes d’association sont le résultat d’un constat, d’une certaine répétition et régularité. Le plus intéressant est bien sûr quand nous nous retrouvons devant des images dont nous ne savons pas quoi faire, dont l’expérience manque cruellement, ce qui nous conduit à d’autres fusions, à une nouvelle investigation critique ; je dis ce mot comme on dit d’une situation qu’elle est critique ou qu’elle se joue au bord d’une crise. Crise de l’action, crise des enchaînements faisant appel à d’étranges personnages aux pouvoirs défiant le bon sens. Avec bien sûr des illusions inévitables mais encore des fictions intéressantes, pratiquées comme autant d’hypothèses à vérifier dans et par l’image, sous des conditions où de toute manière nous n’avons plus qu’elle, de sorte que la conviction de son statut sera immanente. Mais ça veut dire que pour faire tout cela, il faut vraiment entrer dans les images au lieu de se contenter d’un discours. Il convient en effet de suivre le fil des images avec précision, dans des œuvres puissantes en création. Donc oui, Science-Fiction, Cinéma, Bande dessinée forment mes zones critiques.

On dirait en ce sens que le livre que vous consacrez à l’œuvre de Giraud/Mœbius se présente comme le troisième volet d’un triptyque dont vous annonciez déjà le programme en 2017 dans l’une des sections les plus denses de votre somme sur la SF. Dans la section intitulée « Infinité », vous montriez que deux formes temporelles s’affrontent dans la logique (dialectique) de la science-fiction, deux versions d’un « temps devenu fou » (p. 300-302). Il y a d’abord une « temporalité fêlée », brisée ou trouée, une temporalité « chaotique » qui nous fait passer d’un épisode à un autre, d’une époque à une autre, par une série de sauts. Et puis, un « temps cyclique » ou « conceptuel » au sens de Hegel. Tout en insistant sur la solidarité de ces deux « tendances » – évitant ainsi tout dualisme – vous notiez par ailleurs qu’elles donnent lieu respectivement à des formes d’expression sensiblement différentes, « la première étant plus proche de la BD tandis que la seconde trouvera sa meilleure expression au cinéma » (p. 302). Après les « séquences en mouvement » du cinéma de Ridley Scott, voici que vous explorez les « planches fixes » de la BD parachevant ainsi le programme de recherche qui s’esquissait dans ces pages décisives. Êtes-vous d’accord avec cette analyse ? Est-ce la place qu’il faut donner à cet essai dans votre travail ? Serait-ce l’ultime étape de ce voyage philosophique au cœur de la SF ?

Vous êtes un lecteur précieux et vous me rappelez en effet cette fissure dans l’infini, entre un infini qui converge vers une valeur limite qu’on peut appeler finalement l’absolu, processus qu’en mathématique on nomme une suite fermée, aboutissant à un compte clos. Et puis, il y a des séries divergentes dont la somme des fragments ne se résout pas à un résultat déterminé, qu’on ne peut clore dans une unité circonscrite, ce qu’on appelle une série ouverte, toujours en excès sur toute convergence. C’est en même temps une vieille distinction entre infini en acte et infini en puissance. Moi, au lieu de sanctifier un bon infini et en exclure un mauvais, je pratique les deux, passe de l’un à l’autre. Et donc oui, c’est finalement deux approches du temps que mon livre sur la SF avait annoncées. Je passe d’un temps cyclique à un temps ouvert qui va en ligne droite mais qui sur cette droite rencontre des écarts, doit faire des bonds, se fibre en un labyrinthe inflexible. Ce sont deux versions de la répétition, l’éternel retour pour l’une et, pour l’autre, l’instant unique qui ne revient jamais sans quelques modifications. Ça se joue entre Héraclite et les Stoïciens, entre Hegel et Nietzsche, ou plus près de nous entre Derrida et Deleuze. Mais surtout, c’est dans Métal Hurlant que se produit ce dérangement créateur, nom d’un magazine mais surtout expérience d’un style étonnant… Aussi, quand on rentre dans l’image et qu’on cherche les associations, le partage est moins clair que cette histoire d’infini. Il y a des chevauchements, des recoupements qui forment des passerelles. Alors en effet, la bande dessinée joue avec des coupes, des images immobiles. Elle creuse des perspectives qui se rejoignent lorsque vous allez au fond de l’image. Je me suis toujours demandé : comment fait Hergé pour retrouver la même ambiance d’une image à l’autre au point de redessiner aussi exactement ses personnages et leur milieu. Sacré travail de la répétition me semble-t-il que le peintre ne connaît pas ou en tout cas autrement. L’environnement de Moulinsart tient le coup d’une case à l’autre. Mais il faut tout recommencer à chaque fois. L’intentionnalité n’y suffirait pas. Giraud lui, est moins dans l’éternel retour sous ce rapport. Par exemple la belle Chihuahua Pearl, d’un album à l’autre, évolue ; et il en va de même de Blueberry dont la richesse du visage se transforme souvent. Une espèce de saut qui les modifie, unique à chaque fois. Mais bien sûr on les reconnaît et ils se reconnaissent. Là, c’est plus du côté d’une ligne qui file selon une droite et qui au lieu de se recourber sur un retour va entrer dans une nouvelle ambiance. Ce que je sais, pour l’heure, c’est que mon cycle sur l’image s’achève en effet avec ce livre sur la BD. Mais j’ai en cours un livre sur les mathématiques et la géométrie. Ici, l’image entre dans des dimensions qui vont progressivement s’ordonner par fonctions, suivant le profil d’une équation… Un autre monde par conséquent, mais qui tient au même.

Comme le souligne Merleau-Ponty dans L’Œil et l’Esprit : « le mot d’image est mal famé ». En effet, toute une tradition philosophique considère l’image comme quelque chose d’infâme. Platon est sans doute le premier à avoir dressé une « image de la pensée » incompatible avec une véritable pensée de l’image. L’une des raisons de cette diffamation tient à ce que l’image est toujours comprise en référence à une transcendance (réalité extérieure ou modèle supérieur) ; dès lors, elle ne peut être pensée que comme reflet dégradé ou décalque imparfait. Or vous n’avez cessé de montrer depuis vos premiers livres que pour faire droit à l’image, il faut essayer d’aller tout droit « au cœur de l’image » (intitulé du premier chapitre de L’Image virtuelle, 1996). N’est-ce pas ainsi que l’on pourrait appréhender une partie de votre travail : penser l’image dans son immanence, ou encore, comme vous l’écrivez dans votre dernier livre, « penser dans la vie même de l’image » (De Blueberry à L’Incal. Lire Giraud-Mœbius, p. 128) ? Et n’est-ce pas là la grande force visuelle (et philosophique) de Giraud ? Il invite le lecteur à se mettre en présence de l’image au lieu de saisir l’image comme une simple re-présentation

La BD se reconnaît bien à une présence. On reprend les albums, les personnages sont là, toujours aussi vivants, sans avoir vieillis, à l’image des figures d’enfance. L’enfance étant le signe d’une immaturité est souvent perçue comme une période négative, placée en dehors de la raison. À l’autre extrémité, les albums de la bande dessinée concèdent trop à l’action, déchaînant les passions qui vont avec. Action et passion perdent leurs frontières, le partage classique qui les opposait. Sortie du genre voué à l’enfance, destinée à un public adulte mais qui n’a pas vieilli, elle ouvre à tous les excès, à des êtres volants comme des chauves-souris, ou, devenus araignée, se mettent à tisser des toiles…  Il est possible que ce saut vers l’infréquentable, tant honni des intellectuels, cette traversée d’une zone mal famée me coûtent bien quelques ennemis du côté des historiens de la philosophie, mais m’ouvrent à de nouveaux amis et lecteurs du côté de la contre-culture, plus populaire, mais souvent moins naïve sous bien des rapports. De toute manière le temps va arrondir les angles. On adule aujourd’hui Fritz Lang et méprise Ridley Scott dans les études universitaires à la mesure de l’ignorance du désintérêt réel dans lequel était déjà maintenu le premier par ses propres contemporains. Etrange histoire du goût dont souvent les intellectuels ne comprennent pas les signes avant-coureurs. L’histoire se répète mais d’une mauvaise répétition. « Platon déjà » comme vous dites si bien… Mais Sophocle tient une belle revanche dans un autre temps et Hegel retrouve Antigone comme une expérience de pensée absolue. Et on voit une autre suite se constituer régulièrement. Par exemple entre un « Prométhée mythique » issu des Grecs, un « Prométhée moderne » assumé par Mary Shelley qu’on prolongera par un « Prométhée postapocalyptique » sous le titre de Prometheus réalisé par Ridley Scott. Le rythme cardiaque de l’image ne réside pas dans les études qui lui sont consacrées. Didi-Huberman, c’est évidemment très bien, excellent sous bien des rapports, mais le cœur de l’image est encore ailleurs me semble-t-il, par exemple chez Druillet ou Moebius pour revenir à la BD. Et donc votre remarque revient très justement à ce que je disais en ouverture sur la crise de l’image, crise perpétuelle qui situe son expérience et son plan critique en elle-même, dans son propre travail. La question est alors non pas de commenter les auteurs de bandes dessinées ou les cinéastes, ni de les catégoriser, mais de voir quels concepts philosophiques entrent en résonnance avec de telles expériences. Le lecteur de mes ouvrages pourra en juger sur pièce, un entretien n’y suffirait pas.

(DR)

Dès l’Introduction, vous affirmez que cette œuvre neutralise les deux « illusions » symétriques du réalisme – la représentation et l’illustration (p. 9) – pour ouvrir un espace-temps qui ne se rapporte à aucune réalité préexistante, faisant ainsi de Giraud l’explorateur d’un nouveau monde, le géographe d’une sorte d’Erewhon, l’ethnologue d’un « ici-maintenant » (Now-Here) qui serait en même temps un « non-lieu » ou un « nulle part » (Nowhere), irréductible à toute coordonnée réaliste…

Déjà vous comprenez de quoi il retourne et proposez des concepts qui ne sont pas des catégories générales. Imaginez la zone dans laquelle évolue Stalker… On voit tout de suite naître un problème, juste à côté de chez nous, dans un jardin bien sûr très différent de celui d’Epicure. Tout dégénère dans un tel jardin. Et Christopher Lem est allé le plus loin dans un Erewhon de ce genre à travers Solaris dont je conseille à tout le monde la lecture la plus urgente. Là, on n’évolue plus dans un parc mortel juste à côté de nous, mais sous un portique qui inverse le rapport imagination/réalité. C’est soudain le rêve qui fait irruption au sein du réel, l’être étant destitué par une apparence bien plus dense, sous les traits d’une femme défunte qui refait irruption dans la vie d’un astronaute. Et d’une certaine manière la réalité se voit englobée par l’imaginaire comme un cas particulier de la variété qu’il recèle. Même chose pour Joy dans Blade Runner 2049 : une image dont un réplicant tombe amoureux, laquelle se montre plus fidèle que n’importe quel humain quand Ridley Scott avait considéré déjà que les nexus 6 faisaient preuve d’une plus grande noblesse d’âme que leurs poursuivants. On comprend alors que le mot réalisme devient problématique et qu’on renoue autrement avec l’illusion : il appartient à l’image d’en décider, de délimiter ou transgresser ses propres frontières. La BD sous la houlette de Giraud entre dans des images encore plus prometteuses en mondes, en paysages qui, d’une case à l’autre, s’authentifient chaque fois à travers des liens spécifiques que j’ai cherchés à établir, peut-être pour dire qu’on ne pense pas en soi, abstraitement, qu’il n’y a pas de pensée ou de manière de penser dont l’exactitude se suffirait mais que bien mieux toute pensée réclame des objets pour devenir réelle, des illusions pour lui donner à légender d’autres dimensions. La BD constitue l’un de ces objets, comme le cinéma pour le livre précédent, et la SF qui s’ingénie à renouer avec Hegel : une pensée qui ne peut se penser elle-même sans un monde. Alors bien sûr la perspective de la BD produit sa spécificité. Et c’est même cette perspective que j’ai abordée, multipliée dans mon essai sur Giraud/Moebius. Le hors lieu, le « nulle part » que vous évoquiez nous entraînent alors soudain vers la marge, le blanc qui sépare les images pour en extraire de nouvelles perspectives.

Blade Runner 2049 © Sony Pictures Releasing France


Et pourtant, on aurait tort de comprendre ce « retour vers une autre vie » (p. 9) sur le mode d’une fuite dans l’imaginaire. Vous montrez, au contraire, que l’image acquiert parfois chez Giraud-Mœbius une dimension politique comme si sa manière de faire des mondes était en même temps pour le lecteur une invitation à « refaire le monde ». Je songe notamment aux développements que vous consacrez à l’« extase » de l’image (p. 63-64). Le problème auquel vous semblez vouloir répondre dans ces pages décisives serait le suivant : « que peut l’image ? » ou « que peut la bande dessinée face à l’histoire humaine ? ». Cette puissance par laquelle l’image parvient à sortir d’elle-même (ce que dit bien le mot « ex-tase ») pour entrer en relation avec les forces qui relèvent d’un autre temps mais qui peuvent néanmoins agir contre le temps présent, n’est-ce pas ce qu’on pourrait appeler la puissance d’« inactualité » de l’image en prenant ce concept au sens de Nietzsche (que vous citez) ?

Oui, l’image comme laboratoire d’un monde possible. Il y avait la thèse de Bergson dans Matière et mémoire pour nous assurer que tout est image. C’est assez curieux de soutenir une chose pareille. Comment comprendre ? C’est Deleuze qui l’a le mieux clarifié. Et je ne cherche pas à rivaliser avec cette découverte, ni à me l’approprier mais à la prolonger vers d’autres matières que l’écran au cinéma. Chez Deleuze, dire que tout est image, cela conduit vers la thèse selon laquelle le monde est un cerveau. C’est lui la plaque tournante. Pour moi, la puissance de l’image n’est pas seulement une affaire de cerveau, sauf à dire que le cerveau baigne dans l’univers, que l’univers est déjà un cerveau. Il faut donc que l’image soit capable par elle-même de sortir de son statut illusoire ou en tout cas qu’elle puisse trouver dans l’illusion une forme d’hallucination vraie qui est déjà celle de la perception la plus naturelle. La fantasmagorie en témoigne au titre d’une projection qui se produit sous toute vision. L’image est déjà là avant son actualisation ou réalisation. Après tout, il est possible que tout soit contemplation comme le soutient Plotin, que le cactus contemple la pluie, en contracte l’eau, que la tulipe s’ouvre au soleil dans un genre de perception troublante. Bon, là c’est un peu compliqué, mais ça remonte à Maine de Biran ou Taine avec lesquels je commence un peu le livre dans la plus grande simplicité du monde. Et je dois dire que Flaubert a réfléchi fortement dans sa correspondance à ces créations de réalité, bien avant Bergson, un peu après l’époque où justement naissait les premières BD de Töpffer devant lesquelles Goethe s’était déjà émerveillé. Je n’ai fait qu’indiquer ce chemin à la différence de Deleuze qui quitte parfois le cinéma et fait une véritable étude de Bergson. Il l’intègre dans son livre avec la difficulté que cela suppose pour un lectorat de cinéphiles. J’ai pensé m’adresser plus directement aux lecteurs de BD, passionnés par ce genre et ne pas imposer la philosophie au roman graphique, si ce n’est de manière transversale. C’est moins complexe que ce que je dis au philosophe que vous êtes. Donc ce sont des indications assez marginales, mais qui recoupent, pour celui qui en ferait un jour l’inventaire, le travail que j’avais commencé dans d’autres livres. Moi, je reste inscrit dans une philosophie de la lumière et de la perception, un corps de l’empreinte que le cerveau ne suffit pas à expliquer justement mais dans lequel au contraire il s’incurve. Extase veut dire cela : Giraud a pris des champignons hallucinogènes pour en conclure que les images sont logées dans les champignons ou encore comme Paul Blood concevoir que le monde est un cactus… D’où proviennent ces visions ? Le réseau des neurones n’est-il pas lui-même soumis à un dessin, à une image qui ressemble à la courbe logarithmique des graines de tournesol fichées en un pavage du plan tout à fait surprenant ? Quel est le dessin d’un ADN, quelle est la symétrie qui s’impose à lui autant qu’à la perception ? C’est un peu le leitmotiv des trois ouvrages que vous signalez, une exigence un peu folle qui s’approfondit dans ce livre sur l’image sous la plume de Giraud/Moebius.

Dans cette perspective, vous proposez des analyses extrêmement intéressantes sur la thématique du désert ou ce qu’on pourrait appeler – en paraphrasant Kafka – ce « désir de devenir un indien » qui traverse la série Blueberry (p. 65-71). Vous citez notamment un entretien de Giraud dans lequel ce dernier évoque la dimension « messianique » du peuple indien et la « réserve » de possibilités historiques qu’il paraît contenir. J’ai alors pensé aux thématiques deleuziennes du « nomadisme » et du « peuple qui manque », ce peuple destiné à manquer car toujours virtuel, mais qui peut néanmoins ouvrir de nouveaux espaces d’intervention dans l’actualité historique et créer de nouvelles distances « désertiques » au sein d’une réalité politique oppressante…

Absolument. Mais la question du désert c’était tout autant Derrida, en même temps que le messianisme dont vous me proposez le concept. J’ai fait deux livres sur lui, et il en reste bien sûr des traces même si cela n’est pas visible dans le livre centré sur l’analyse des planches si bien dessinées. Mais je me rappelle avoir évoqué le devenir Peau-Rouge de Derrida dans mon livre sur La déconstruction de l’Occident. Nul besoin d’ailleurs de forcer ce rappel, Giraud dans beaucoup d’entretiens trouve par lui-même cette force vitale comme en sortant le Western de sa visée missionnaire et occidentale. On y découvre un mode de vie sans argent, sans valorisation par le travail. Un présent passé dans des villes où la pauvreté forme la vraie richesse, à cheval, fier comme les Indiens, altiers dans leur genre. Et la ruée vers l’or ne les touche pas, ni les mines d’argent, sauf pour les besoins de sertir des bijoux eux-mêmes mobiles, à l’image de leurs tentes qui accompagnent la migration des bisons. Qu’à l’inverse nous soyons en train de détruire les ressources naturelles, le doute n’est plus permis, sauf pour ceux qui en tirent le profit le plus « dingue ». Une alternative était encore visible, au moins au titre d’une inspiration possible, pour nous, tellement civilisateurs. Une espèce de « politique de l’amitié » qui forme la ressource de Blueberry, lui qui trouve la loi dans un espace hors la loi. Que seraient devenues nos vies si on avait rencontré cet espace social que seul le désert pouvait abriter sous la forme du nomadisme ? Comment aurions-nous rempli le présent en sortant sous le soleil et l’horizon du désert en lieu et place de notre existence aseptisée ? Les Indiens étaient-ils malheureux de n’avoir pas spéculé sur la valeur de l’argent comme seul mode d’échange ? Lorsqu’on regarde les images de Giraud, on a bien sûr le sentiment inverse. Et c’est vrai encore du retour de l’Indien dans Blade Runner sous la forme d’un androïde, hurlant comme un loup, traçant des peintures de guerre sur son visage avec le sang de sa compagne, massacrée par ses poursuivants. Les visions qu’il nous propose s’érigent par conséquent contre l’idée de cette République récemment revendiquée par des intellectuels qui s’insurgent de la « déconstruction » au sens le plus vague. Bien sûr qu’il ne nous sera pas possible de vivre en Indiens. En ce sens le peuple manque en effet, l’Indien et l’Androïde n’étant jamais des noms réels mais les signes de ce manque, de cet horizon tourné vers l’avenir. Et ce serait heureux de donner à la technologie des modèles plus performants que celui du pétrole ou même de ces batteries plus dérisoires encore susceptibles de le remplacer. L’Incal explore des voies pour une physique assortie à la mystique de deux pierres, tissant une continuité entre nature et technique. Que cela puisse échouer dans des formes stupides, les derniers albums de Giraud en témoignent comme en présentant par avance les excès d’un wokisme plus sanguinaire encore. Il s’agit du visage du Dragon Rouge, un tueur dans OK Corral qui n’a rien à voir avec l’ultra-gauche. Un esprit de vengeance qu’on retrouve aujourd’hui sous des influences et des revendications qui se situent à l’extrême droite d’une Amérique religieuse. Celle-ci n’avait pas besoin de la revendication des minorités pour devenir stupide et aggraver les censures puritaines… Bon, on entre dans des sujets chauds qui fâchent et dont apparemment il faudrait bientôt subir des poursuites et condamnations… Quelle époque !

L’originalité de votre essai me paraît se situer à un double-niveau relativement à cette époque : d’abord, vous êtes l’un des rares philosophes ou penseurs contemporains à consacrer une analyse aussi dense à la bande dessinée (avec Benoît Peeters, Jean-Luc Marion, Michel Serres…). Ce relatif silence philosophique entourant le « neuvième art » est peut-être à mettre au compte de cette « image de la pensée » que nous évoquions plus haut… Dans cette perspective, vous critiquez l’incohérence qui sous-tend la démarche de Sartre (p. 112-113) lorsqu’il cherche à penser l’imaginaire sans même songer à se confronter à l’existence concrète des images issues de la bande dessinée qui était pourtant en plein essor au milieu du XXe siècle…

D’abord en effet, il faut noter qu’il s’agit d’un livre davantage esthétique que politique. Une analyse de la bande dessinée, de ses opérateurs, ses fonctions, son agencement et sa manière de multiplier les perspectives. Ce n’est pas une sémiotique, mais un perspectivisme dont la grille constitue une nouvelle forme de pluralisme. Il y a bien sûr des signes de perception et tout autant dans la manière d’enchaîner les images. Autant de relations, de divisions, de réfractions mais encore de temps morts, d’interstices qui ont été patiemment mis en lumière, par Giraud bien sûr mais tout autant en me servant de ses prédécesseurs comme Hergé, Jacobs, Jijé, Caniff, Eisner… Benoît Peeters est novateur dans cette démarche, en tant qu’auteur de bande dessinée autant que théoricien de l’image et de l’histoire de la BD… À part ce travail et celui de Serres, le silence est assez éloquent. Il fait sens évidemment dans le rejet et l’indifférence générale des philosophes pour ce genre jugé mineur. Sartre en est un exemple flagrant. En engageant un travail sur l’imaginaire, sur l’imagination, sur l’image, tout en déplorant l’abstraction de la psychologie devant les objets de la perception dont il critique le peu d’égard pour le réel, on ne trouve aucune référence à un art qui s’est considérablement développé à son époque, notamment dans les journaux et les magazines. Pourquoi ce silence, avec de surcroît un petit dessin exemplifiant « Pierre », nom qui revient souvent dans une page de L’imaginaire et qui a tout de la BD, moins le talent et le style ? C’est suffisamment invraisemblable pour que je me sois penché un peu sur les pages que Sartre consacre à l’hallucination en lui opposant la richesse de perception déployée par les planches de la bande dessinée. Notamment quant à la question du regard qui pourtant intéresse Sartre, ce regard qu’on voit s’ouvrir dans le gros plan et la constitution du visage dont on saisit dans chaque case l’étrange mythologie qui s’en empare, les modes, les postures, les tenues dominées par la morale ou au contraire la transgression possible. Le perspectivisme en tout cas sous la plume de Giraud devient autre chose qu’un relativisme. Il confère un statut décisif à la logique des relations qu’on explore de manière rigoureuse, dans une forme de vérité, un art de vérifier le monde fort éloigné de la « post-vérité » surtout en œuvre du côté de ceux qui s’insurgent et se scandalisent qu’on puisse voir et penser autrement que selon les illusions de l’actualité.

L’originalité de votre démarche tient à l’usage inventif que vous faites des concepts deleuziens. Vous mettez en évidence la valeur heuristique des outils conceptuels que Deleuze a forgé pour penser le cinéma (« image-mouvement », « image-temps », « image-action », « image-affection », « mouvement aberrant »…). En même temps, vous soulignez vous-mêmes le caractère paradoxal de cet usage conceptuel qui consiste notamment à comprendre la BD à partir du concept d’« image-mouvement » là où celle-ci semble répondre à une « immobilité de principe » (p. 98). Seriez-vous d’accord pour dire qu’il s’agit de la grande découverte esthétique de la BD : faire de l’immobilité un puissant vecteur de mobilité ? Ne faut-il pas parler en ce sens d’un véritable dialectique de l’image (d’autant plus mobile qu’elle est immobile) ?

Oui, L’image-mouvement est au cœur de mon analyse. Mais autant Deleuze avait rejeté l’action au bénéfice de la contemplation, autant mon travail inverse la tendance. La bande dessinée, c’est de l’action pure, avec une temporalité spécifique, une vitesse et précision qui forment son Kairos. La vérité se joue sur la pointe d’une perspective qui passe au milieu. Un pragmatisme qui n’a rien à voir avec l’utilitarisme justifiant surtout la vision des plus forts, de ceux qui « réussissent » et dominent économiquement le marché. Il nous faut compter sur bien d’autres opportunités. C’est ce moment opportun de l’action, l’infinité de sa chevauchée fantastique qui doit converger vers un lieu à créer que j’ai pris pour terrain de jeu de cette dialectique. L’action au lieu de mener à la richesse, se détournant des nombreux trésors, peut mener à l’infini autant qu’à la folie. C’est elle qui nous conduit vers des régions extraordinaires, vers l’Ouest, mais tout autant vers la Lune ou Mars s’il le fallait. Et dans ces régions torrentielles, elle ouvre des espaces qui ne se présentent jamais tout seuls. Il faut aller les chercher, les conquérir dans une investigation que la littérature contemporaine a un peu abandonnée, indifférente aux vertus actives du comportement, à son éthique et son éthologie. Je crois que le livre que j’ai composé se sert de Giraud pour une éthologie de l’action, des actions souvent micrologiques, pas forcément exemplaires. Il est le grand maître de cette éthologie. Un problème que j’ai déjà abordé dans Ridley Scott – Philosophie du monstrueux. On peut très bien rester seul dans un vaisseau spatial une vie durant comme c’est le cas de David dans Prometheus. Et c’est cet espace qui contraint à l’immobilité qu’on retrouve autrement dans le Western. Même isolé dans la chambre, blessé, Blueberry ouvre de nouveaux espaces à une action inédite. Mister Blueberry, c’est le « mystère » (sans jeu de mots) d’une action qui se déroule en un seul lieu. On n’en sort à aucun moment, un peu comme une scène de Beckett mais à l’intérieur d’un Bar, d’un Saloon. Une partie de Poker qui emplit le temps de l’album.  Chose que Hergé découvre un peu dans Objectif Lune, au sein d’une fusée où il ne se passe rien, dont l’espace se réduit au minimum, comme sans doute déjà chez Melville, les chapitres de Moby Dick réduisant l’espace à celui du bateau, d’un pont, des heures durant, par calme plat. Et il se trouve que Blueberry, dans l’hôtel qui surmonte le Saloon, précisément lit Melville… Donc l’immobilité est de principe. Où peut elle-nous mener puisque nous n’avons pas renoncé à l’action ? Vers quoi va-t-elle converger ou au contraire se diluer ? C’est cette orientation active que je poursuis et qui me semble assez nouvelle par rapport aux formes narratives qui en rejettent la puissance depuis bien des années. Le cinéma d’action, la bande dessinée ont transformé le monde mieux et plus fortement que le nouveau roman et l’autofiction. Cette éthologie de l’action est quelque chose que je poursuis en fait depuis Logique de la science-fiction, une littérature mineure dans laquelle évidemment naît un héroïsme et un sens du tragique extrêmement novateur. La mort de l’art n’existe que pour ceux qui ne voient pas les films et les romans graphiques dont le public pourtant très large montre suffisamment par son engouement le dynamisme. La planète des singes, Soleil Vert, 2001 l’odyssée de l’espace, Solaris, Blade Runner… tout ça n’existe toujours pas pour les intellectuels qui font la critique et affichent le bon goût de celui qui pense faire la promotion de l’avant-garde supposée intégrer les bancs de l’Université.

La reprise de cette formule deleuzienne (« faire le mouvement ») vous permet sans doute de présenter les enjeux esthétiques de la BD. De Hergé jusqu’à Giraud, en passant par Jacobs ou Jijé, vous montrez que chaque bédéaste ou chaque auteur fait face à ce problème : « comment faire le mouvement dans l’image dessinée ? ». Chaque auteur doit inventer ses propres solutions dynamiques, étant entendu qu’il ne peut être question d’employer des moyens visuels identiques à ceux de la peinture ou du cinéma (p. 98). Vous proposez notamment une petite classification des « modulations » propres à la bande dessinée : modulation chromatique, modulation par le montage ou l’organisation de la planche, modulation par division interne de l’image (p. 81-83)… Mais si on laisse de côté ces exemples, est-ce vraiment l’image elle-même, par elle-même, qui peut faire le mouvement ? Car si la « case fixe » de la BD peut être qualifiée d’« image-mouvement », il ne s’agit pas d’un « automouvement » lequel est caractéristique de l’image cinématographique (comme l’a montré Deleuze). Dès lors, ne faudrait-il pas plutôt parler d’un « hétéro-mouvement » ou d’un mouvement différentiel ?  En effet, le mouvement de l’image vient non seulement des autres images mais aussi, et peut-être surtout, d’un Autre, à savoir le lecteur : ce qui « fait le mouvement », c’est la lecture ; une lecture qui est nécessairement intercalaire, circulant entre les cases, raccordant les images, combinant les plans dans une immense « logique des relations » (nom que vous donnez à cette « Logique de la BD »), la planche devenant ainsi le « plan de composition » sur lequel le regard du lecteur procède à l’individuation des images… Finalement, n’est-ce pas là le problème central de votre livre : comment lire une bande dessinée ? Ce que vous proposez, n’est-ce pas une théorie de la lecture (ce qu’indique d’ailleurs le sous-titre de l’essai : « Lire Giraud-Mœbius ») ?

En effet la lecture dans la bande dessinée est très instructive de ce que veut dire la création du mouvement. Je ne reprendrai pas l’analyse de mon livre que vous présentez très bien, notamment autour de l’interstice, le besoin de franchir l’intervalle et de s’inscrire dans la grille. Je prendrai simplement l’exemple de la pleine page. La question n’est plus celle du mouvement tracé dans l’image, du déplacement d’un personnage. Ce n’est pas à l’intérieur de l’image que les choses se meuvent, c’est l’image elle-même qui doit faire le mouvement. C’est elle qui se meut. Et son mouvement fait appel à un lecteur particulier, l’engage à tourner les pages. Par exemple la fusée énorme dans Objectif Lune. Elle ne peut nous emporter que dans le mouvement. Le lecteur la découvre en feuilletant distraitement l’album, au détour soudain de la page tournée, et elle emplit totalement la planche située sur la pagination de gauche, avec à ses pieds la toute petite jeep dans laquelle on devine Tournesol et Haddock… De même, au moment de son décollage, c’est toute la hauteur de la page qui est utilisée selon un cadrage effilé pour lui donner une élévation possible dans l’espace. En contraste, le côté droit de la planche décline une superposition de cases étroites, horizontales, écrasées, qui font ressentir la gravité compressant les compagnons de Tintin en sens inverse du décollage, jusqu’à l’évanouissement final. De tels procédés Giraud les amplifie et le met en variation tout au début du Hors-la-loi. Il se trouve en prison mais s’en évade par la pensée. Et c’est l’image qui doit sortir de la case comme on sort des murs du cachot. Une très belle planche dans laquelle le mouvement du soleil, qui peut seul pénétrer le fort, produit des irisations et des ondes faisant bouger le tout. C’est une approche du mouvement plus psychédélique que Hergé ou Jacobs, mais c’est ce mouvement qui permet de réunir des plans divergents. Notamment dans L’Incal qui raconte le mouvement par lequel réunir les quatre éléments et leur lieux respectifs pour toucher à la quintessence du cinquième élément, brusquement ouvert à la pensée. Et montrer ce mouvement tout en image, ce n’est pas donné à tout le monde… Donc en effet, il s’agit d’un processus d’individuation, au point que les personnages ont à devenir ce qu’ils sont, à traverser des espaces qui prennent du temps, qui appellent la durée. Un appel qui se joue paradoxalement dans l’interruption pour un temps nouveau, un temps mort, une marge dans laquelle grouillent autant de singularités pré-individuelles pour parler comme Deleuze.

Des plaines désertiques du western avec Blueberry jusqu’à l’ambiance futuriste et post-apocalyptique qui domine L’Incal, vous nous proposez un voyage dans un « monde d’images » (pour employer une formule chère à Walter Benjamin). Mais, en réalité, chaque image sur la planche est un monde en soi puisque vous montrez que la bande dessinée possède une structure monadologique. Plus exactement, la BD dépend de ce que Renouvier nomme pour sa part une « nouvelle monadologie » : chaque case est une monade, mais ces perspectives ne convergent pas vers un seul et même monde (comme dans l’« uni-vers » de Leibniz) ; elles composent au contraire ce que vous appelez un « plurivers », fenêtres ouvertes sur des mondes différents. N’est-ce pas la principale différence entre la BD et les autres arts de l’image ? La BD ne cesse de multiplier les mondes, page après page, là où la peinture, le cinéma et la photographie restent constitutivement limités dans leurs tentatives respectives pour « faire le multiple »…

J’ai rencontré Renouvier pour la première fois dans L’image virtuelle à propos justement de cette nouvelle monadologie. Le titre lui revient entièrement et donnera à Tarde l’idée de rédiger Monadologie et sociologie. J’y reviens au début de Logique de la Science-Fiction. Monadologie veut dire en tout cas un ensemble d’unités (mono par opposition à stéréo) qui forme une grille. Mais, comme chaque case est indépendante, c’est pire que la stéréotypie qui accomplit un accord au sens quasi-musical. Se pose du coup la question du rapport discordant entre ces atomes de l’intrigue que désignent les cases : un groupe de relations parfois harmonique ou d’autres fois, dans les pages les plus intéressantes, une implosion du plan, tout se déchirant, les images tombant les unes après les autres dans une chute qui fait l’intérêt du nouveau genre que réalise Métal Hurlant. Chez Druillet, c’est tout à fait affolant. Avec Moebius, notamment dans Le Garage hermétique, on entre dans l’articulation d’un espace aussi clos qu’une monade, mais qui se fibre chaque fois d’une dimension supplémentaire. Ce garage se compose de gaines, comme s’il était rempli de tuyaux, d’intestins, de boyaux dont chaque coude étage une ville ou un autre quartier. Ça me fait penser un peu au film inquiétant de Terry Gilliam nommé Brazil. Mais là, il s’agit plus d’un astéroïde qui se creuse non pas comme un gruyère, mais par un ensemble d’anneaux que le mathématicien Möbius avait imaginé. D’où le nom d’emprunt dont s’empare Giraud pour décliner un tel plurivers ou multivers. Autant les grands espaces du désert étaient le nom d’un infini potentiel, sans limite, espace que le sable emporte sur son débordement, autant le garage hermétique fait converger l’infini dans un monde fini, clos sur soi, mais selon une compression, un feuilletage réalisant une variété sans équivalent. L’image d’un œuf ou d’un serpent qui se mord la queue suivant des gradients appelant chaque fois un nouvel univers, un nouveau découpage. Pour faire cela, le cinéma avait besoin de Giraud/Moebius et ce n’est que très récemment qu’à travers l’infographie, le cinéma peut commencer à faire entrer le monde de la BD sur son écran. Mais cet écran ne peut s’emmener, ni se porter vraiment dans le feuilletage nocturne du lecteur. Il s’agit d’une complicité qu’on commence à deviner avec Hitchcock dans Fenêtre sur cour dont le mur s’ouvre sur des fenêtres chaque fois différentes. Mais cela ne peut se distribuer avec la même liberté, avec la même pénétration que nous propose la bande dessinée, elle qui peut se passer de jumelles pour épier d’autres dimensions. La BD constitue mille et un plateaux dont la multiplicité capte des affects, des percepts, des concepts qu’il nous faudra apprendre à ressentir enfin en suivant la manière dont cet art nous captive par son dépaysement radical.

Jean-Clet Martin, De Blueberry à L’Incal – Lire Giraud/Moebius, éditions Les Impressions nouvelles, janvier 2022, 336 p., 23 €