Never walk alone : Jérôme Bertin à Marseille

C’est le matin sur le Vieux Port. Il fait beau et tout autour de la mer, plein de gens ne font rien. Le vent balaye les touristes de l’automne et Jérôme Bertin marche sous l’immense miroir moche sous lequel le monde entier s’est pris en photo. Invité entre septembre et octobre 2021 par le cipM (Centre International de Poésie de Marseille), c’est l’occasion pour lui de revenir dans la ville qu’il a habité un temps, avant de retrouver Limoges, et le Limousin dont il est issu. Entre les gens et sous le soleil, Jérôme marche vite, il n’aime pas la foule et pas trop être dehors. Il est attendu bientôt pour enregistrer le texte qu’il a écrit entre les rayons de la bibliothèque privatisée pour lui. Jérôme Bertin a, avant ça, publié treize livres et plein de poèmes. Il donne peut d’interview et travaille toujours à un nouveau texte.

Rage tendre, sorti au Diable Vauvert cette année, est sa dernière publication. Sous le titre on peut lire « poèmes », et le texte se compose de petites phrases encadrées comme on encadre les photos qu’on ne veut pas laisser s’abîmer : souvenirs d’adolescents à la campagne, et toute la cruauté qu’on imagine, tout le gentil aussi.

À la terrasse d’un café, caché derrière la fumée de ses cigarettes, Jérôme fait des nœuds avec ses jambes. En regardant les voitures qui passent et la mer qui brille derrière, il parle de Marseille, de la poésie, du foot, et de tout et de rien.

Comment est venue l’idée de compiler les souvenirs d’enfance qui composent Rage tendre ?

Parler par la bouche d’un gamin permet de dire tellement plus de chose. La naïveté est sa caution.

Vous vous revendiquez de l’autofiction, mais peut-on aussi considérer votre démarche comme celle d’un poète historien, de l’histoire collective autant que personnelle ?

Un peu historien oui, dans le sens où mes textes sont des témoignages à la loupe.

Qu’est-ce que l’on garde toute la vie, selon vous, de l’enfance ?

Pas grand-chose. Après l’enfance on perd tout, tout ce qui permet de vivre sereinement. La foi l’espoir la candeur. La suite n’est qu’un sursis aménagé.

 

Vous évoquez dans Rage tendre une certaine cruauté de la campagne. En quoi la vie là-bas est plus cruelle que celle des villes ?

Les gens de campagne sont conscient d’être des laissés pour compte. Pas de médecin, pas de musée, pas de bibliothèque digne de ce nom à 50 km à la ronde. Allez vivre à La Souterraine, vous verrez, c’est bucolique.

Les membres de votre famille lisent-ils vos livres ?

Certains, mes parents et mes neveux aiment ce que je fais, d’autres ont peur de se reconnaître en traits grossis, peur oh combien légitime. Annie Ernaux disait qu’elle écrivait pour venger sa race, j’écris quelquefois pour assassiner la lie de la mienne.

Les textes, sont encadrés comme hermétiques les uns aux autres, et pourtant ils s’enchaînent. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce choix de mise en page ?

J’aime l’idée de faire des sortes de tracts. Et puis mon écriture m’a invité à danser.

Le poète est son propre manager. Il écrit ses textes puis cherche un éditeur, lit ses textes en public, partage sur les réseaux, se rend à des salons de poésie etc., etc. Que pensez-vous de ce système ?

il y a un milieu de la poésie. Moi je n’en fais pas partie. La poésie demande beaucoup de travail et de temps. Moi je m’obstine, c’est là mon petit talent. Le reste de l’histoire me laisse un peu froid.

Quel métier se rapproche le plus, selon vous, de celui de poète ?

Cosmonaute. Une fois, j’ai dit à une employée de CAP emploi (le pôle emploi pour les handicapés) que j’étais poète. Elle m’a répondu que l’on pouvait tout être de nos jours, poète, cosmonaute… alors cosmonaute.

Vous avez vécu à Marseille, que vous évoquez souvent dans vos textes comme un personnage à part entière (Goulag sous les étoiles par exemple). Que retenez-vous de cette ville ?  

Marseille ne connait pas la modération. C’est ou très beau ou très moche.

Tous vos livres parlent de foot. En pro, vous auriez aimé jouer dans quelle équipe ?

J’aurais joué pour Liverpool, à Anfield Road pour entendre raisonner le « You’ll never walk alone » le plus souvent possible et jouer dans le plus grand des championnats du monde : la Premiere league.

Qu’avez-vous ressenti la première fois que vous avez vu un texte à vous dans une librairie ?

Une joie qui est toujours la même aujourd’hui et en même temps un vertige, la peur d’être un escroc.

Concrètement, qu’est-ce que écrire ?

Selon moi il faut avoir le trait, comme en dessin, puis se servir de ce petit talent et travailler toujours plus, pour témoigner de notre être là, dans la langue la plus souple possible.

Jérôme Bertin, Rage tendre, éditions Au Diable Vauvert, juin 2021, 256 p., 18 € — Lire un extrait