Aulus, portrait rapiécé: Zoé Cosson

Zoé Cosson, Aulus © L'Arbalète Gallimard

Aulus, Pyrénées, Ariège. Terminus. Fin de l’étroite et sévère vallée. Au-delà, abrupts, le roc, la montagne. De ce terminus, Zoé Cosson va faire son point de départ, son premier roman. Elle va dessiner, magnifiquement, « le portrait rapiécé » de ce lieu, ainsi que celui « de ces corps qui peuplent les rues du village ».

Aulus, station thermale qui eut du succès à la Belle Époque, aujourd’hui à peine 700 curistes, une centaine d’habitants. Le père de la narratrice y a acheté un ancien hôtel désaffecté, Le Grand Hôtel de Paris.

Aulus, où règne la pierre, où tout est en pierre, les maisons, les granges, les murets, où « les arbres les plus coriaces prennent racine dans des quartiers de roche », où l’Aulusien a même « des cailloux roulés en lui ». Aulus, enveloppé par le bruit continuel de la rivière. Aulus, deux rues, trois commerces.

La narratrice regarde, écoute, marche.

Et nous découvrons Marie, surnommée Marldingue, elle tient l’épicerie et « a multiplié les panneaux aux consignes alambiquées » dans ses 40 mètres carrés.

Nous découvrons le boucher, qui reste toute la journée assis sur le banc en face de sa devanture, il alpague impitoyablement les passants pour discuter des nouvelles du jour, c’est un vrai Aulusien qui n’a jamais quitté le village, et « les mots gigotent comme du gravier entre ses lèvres ».

Nous découvrons Nicole, elle n’est pas du cru, c’est une arrivante, elle a repris le centre équestre, submergée par sa tache, ignorante des règles implicites du village, en guerre avec le vacher (« ils s’arrachent les terrains, se déclôturent les bêtes »), elle finira par partir, et impute sa défaite « à l’encerclement des montagnes. Aux dents de scie noires et pointues. ».

Nous découvrons Pince-cul (nommé ainsi car il a l’habitude de pincer le derrière des enfants quand il travaille l’hiver au tire-fesses de la piste Baby), qui fait plusieurs fois par jour le tour du village, entre dans les maisons aux portes ouvertes, tape contre les fenêtres, ferme les volets, relève les essuie-glaces, annonce aux enfants la suppression par décret gouvernemental des grandes vacances, farce qu’il accompagne « d’un « je te blague » gueulé tellement fort que les enfants s’enfuient à toutes jambes ».

Nous découvrons René, « le monsieur de l’Imagerie végétale », qui « collecte les pierres, sélectionne les plantes rares. Il les passe à la presse, les superpose, il traverse la matière ». Il les agence sur de grandes feuilles de papier. Ses collages sont « des morceaux de montagne, si réduits qu’ils la reconstituent tout entière ».

Nous découvrons Paul n°2, le pêcheur, qui « laisse le bourdonnement de l’eau envahir sa tête » (il existe un Paul n°1, qui lui recueille et domestique orvet, vipère, chouette).

Nous assistons à une réunion municipale, la salle communale est pleine, le maire prend la parole, il relate la lutte de la mairie contre l’installation des compteurs Linky, la prolifération des chats abandonnés, l’enfleurissement du village, les récents décès, la centrale hydroélectrique, rapidement l’ennui gagne, et les regards se portent vers le cubi de rouge qui attend.

La narratrice marche, elle s’éloigne du village, elle grimpe, elle découvre les chemins escarpés, les escaliers de racines, les amas de roches, l’herbe glissante, le gispet, les bruyères, les myrtilliers sauvages, les arbres solitaires, les cirques, les étangs, trous noirs d’eau calme, minérale, « d’un autre âge », où, de toutes ses forces, crier, crier vers les crêtes.

Un jour, l’hôtel est vendu, le père et la narratrice partent, dans le rétroviseur du camion la narratrice veut « voir encore ». Voir encore Aulus, voir encore la montagne. Aulus, que Zoé Cosson, par ses mots, de fragment de vie en fragment de vie, parfaitement agencés, a su recréer. Et nous offrir.

Zoé Cosson, Aulus, L’Arbalète Gallimard, octobre 2021, 112 p., 12 € 90 — Lire un extrait