Ferri et Conrad (Astérix et le Griffon) : Astérix et périples

©Albert René

L‘époque a rendu la critique exigeante. En lisant certains articles à charge et autres recensions acrimonieuses du 39ème épisode des aventures d’Astérix le Gaulois, on en vient à se demander si l’aventure signée Ferri et Conrad n’est pas victime de ce mal contemporain qu’est le traitement de la culture par le petit bout de la lorgnette du commentaire…

Je n’échangerais pas mon album d’Astérix et le Griffon contre deux exemplaires dédicacés de La Galère d’Obélix ou la version « Luxe » de Le Ciel lui tombe sur la tête. À l’adresse des adeptes du « c’était mieux avant », il faut rappeler que le regretté Uderzo n’a (malheureusement) pas livré que des chefs d’œuvre et il faut une fois encore rendre à Ferri et Conrad ce qui leur appartient : leur cinquième réalisation fait bien mieux que de marcher dans les pas de leurs pairs. Astérix et le Griffon consacre non seulement un duo d’auteurs mais aussi et surtout un traitement novateur du mythe, une appropriation réussie d’un héros emblématique du 9ème art. Il est injuste de tirer à boulets rougis sur Astérix et le Griffon aux seuls motifs que la sortie du 39è opus est accompagnée d’un plan média bien huilé, d’un embargo regretté par nombre de journalistes ou chroniqueurs (dont votre serviteur, je l’admets volontiers) ou parce qu’en l’absence de prépublication, la presse en est réduite à gloser perfidement sur le tirage « à 5 millions d’exemplaires, dont 2 en France » d’un album qui sort « opportunément pour les fêtes de fin d’année », sur une série devenue une « machine à cash »…

Astérix et le Griffon © Albert René

Astérix et le Griffon s’inscrit dans la lignée des albums dont l’action se passe hors des frontières de la Gaule en moins 50 avant J.-C., d’Astérix et Cléopâtre à La Grande Traversée en passant par Astérix en Hispanie, chez les Bretons, chez les Pictes ou Rahãzade. Parce qu’il a entendu en songe l’appel d’un chaman sarmate ami, le druide Panoramix a entraîné Astérix et Obélix en terre barbare, pour venir en aide à Cékankondine et à son peuple. Et le moins que l’on puisse dire c’est que la tradition est bien respectée avec juste ce qu’il faut d’inventivité dans le choix des noms des personnages sarmates (Garozépine, Kastachopine, Maminovna, Klorokine…) et des hommages et références graphiques que le lecteur pourra s’amuser à dénicher. Telle la première image des Gaulois dans la blancheur de la steppe qui rappelle évidemment l’ouverture de La grande traversée ou la scène où Astérix s’acharne sur un légionnaire à l’instar du rugbyman peu fair-play d’Astérix chez les Bretons.

La Grande Traversée © Dargaud

Steppe by steppe

Astérix et Obélix sont donc transportés dans ces contrées glacées pour venir en aide à un peuple qui résiste encore et toujours à l’envahisseur romain, une résistance menée par des guerrières nomades tandis que les hommes vivent en paix au village. Mais ce combat se fera sans potion magique car le breuvage qui rend invincible gèle dans les gourdes et Panoramix est dans l’incapacité de de reproduire la recette avec les produits locaux… À l’instar d’Obélix et Compagnie et dans la même veine que Le Papyrus de César, le scénario de Ferri fait la part belle au contexte et à l’actualité : les fake news, la condition féminine, la poudre aux yeux médiatique et les complotismes de toutes sortes. Les lecteurs ne bouderont pas leur plaisir tant dans l’écriture que dans le dessin, ce Griffon est de bout en bout une réussite qui convoque ce qui fait et a toujours fait le sel des aventures de l’irréductible gaulois : des Romains stupides et cupides, des personnages secondaires savoureux, des jeux de mots bien amenés, des batailles homériques, des décors magnifiques dans un rythme soutenu de la première case jusqu’à la dernière scène.

© Albert René

N’en déplaise aux critiques qui n’ont rien de mieux à dire que « pour le coup, c’est assez drôle » (dans un article truffé de fautes et d’erreurs qui signent l’ignorance de l’univers astérixien de son rédacteur) ou qui regrettent le temps d’avant et « l’étincelle de génie de deux créateurs : René Goscinny et Albert Uderzo » (les auteurs actuels apprécieront), Astérix et le Griffon est un excellent cru, peut-être le meilleur du duo de repreneurs. Avec cette aventure qui débute dans la cité éternelle (pour la sixième fois, NDLR à l’attention de ce critique qui n’a pas lu les albums précédents) avant d’entamer un périple jusqu’aux confins du monde, Conrad et Ferri prouvent avec raison que même sans potion magique et contre vents et marées, le voyage continue.

Jean-Yves Ferri et Didier Conrad, Astérix et le Griffon, 48p. couleur, octobre 2021, 9 € 99. Crédits images © Albert René.