Que se passe-t-il à Bâle? (Art Basel 2021)

Art Basel 2021 © Aline Pujo

En 51 ans, cette foire est devenue un label qui s’est implanté à Miami en 2002 et à Hong Kong en 2013. Elle est également un marqueur de notoriété pour les galeries participantes. Reconnue comme le lieu de rendez-vous incontournable des collectionneurs, Art Basel est la foire d’art contemporain à laquelle toutes les galeries aspirent à être élues… Plus de 250 galeries se disputent le privilège d’exposer et plus de 4000 artistes y sont représentés.

Comment les galeries conçoivent-elles leur stand ? Comment peuvent-elles se distinguer les unes des autres ? Comment se font-elles l’écho de l’esprit du temps ? Est-ce que la première édition après l’arrêt brutal de la pandémie a été modifiée dans sa présentation ? Curieusement, la physionomie de la foire est très semblable à celles des précédentes éditions ; des stands présentant essentiellement un échantillon d’œuvres de leurs artistes les plus confirmés : Business as usual ! À noter l’hommage à l’immense artiste récemment décédé, Christian Boltanski dans un accrochage sobre qui lui ressemblait (Galerie Kewenig).

Christian Boltanski, Art Basel 2021 © Aline Pujo

UNLIMITED

Depuis sa création en 2000, ce qui donne le tempo de la foire Art Basel se trouve dans le hall adjacent, nommé « Unlimited », grâce aux présentions de projets souvent inédits et ambitieux par leurs formats. Cette année, notons une présence importante d’œuvres historiques, des années 70 comme celles de Dan Flavin (Untitled, 1974), Carl Andre (Mastaba, 1978), Alighiero Boetti (Ononimo, 1973), James Turrell (Prado, Red, 1968), Gilbert & Georges, ou celles des années 90 avec Antoni Tapiès (Duat, 1994), Michel Parmentier (14 février 1990, 1990), etc. Un come-back historique centré sur les valeurs établies du second marché.

Dan Flavin, Art Basel 2021 © Aline Pujo
Antoni Tapiès, Art Basel 2021 © Aline Pujo

Un courant que l’on retrouve d’ailleurs à Paris, avec l’ouverture récente de nombreuses galeries établies, autour de Matignon, qui développent leur second marché. Les placements financiers se développant considérablement auprès des valeurs sûres de l’art.

Notons également une prédominance de l’art américain au détriment de la variété d’expression du reste du monde :  Nari Ward (A Brief History of Known, 2021) ; General Idea (AiDS Cross, 1991-2021) ; Lyle Ashton Harris (Blow Up, verso, 2010-2019) ; Lucy McKenzie (Giving Up the Shadows On My Face, 2019-2020), etc.

On peut regretter le manque de prise de risque, d’expériences sensorielles, d’artistes plus jeunes et moins établis, d’œuvres questionnant le monde d’aujourd’hui sur des sujets aussi importants que l’environnement ou les conséquences de la pandémie d’un point de vue social, politique ou économique.

Toutefois, deux installations, au demeurant d’artistes français, semblaient plus ancrées dans ce rapport au monde. Celle d’Hélène Delprat (The Nautilus Room, 2021 ; cf. vidéo ci-dessous), son clone tournant sur lui-même dans l’univers clos d’un monde fantasmagorique. Et celle de Philippe Parreno (The Owl in Daylight, 2020), dont la vidéo est totalement générée par un ordinateur qu’il décrit comme un système auto-poïétique se régénérant sans cesse. Un modèle d’intelligence artificielle développée par des musiciens et des scientifiques.

FONDATION BEYELER

Le complément incontournable de la foire est proposé par l’excellente programmation des musées bâlois avec en tête de liste le plaisir toujours renouvelé de l’escapade campagnarde vers la Fondation Beyeler qui, du 19.09.21 au 02.02.22, présente des oeuvres de Berthe Morisot, Mary Cassatt, Paula Modersohn-Becker, Lotte Laserstein, Frida Kahlo, Alice Neel, Marlene Dumas, Cindy Sherman, Elisabeth Peyton. Le portrait est au centre de la pratique picturale de ces 9 peintres. L’accrochage se déploie de manière classique, à raison d’une grande salle par artiste, ce qui permet de découvrir différentes facettes de leurs œuvres avec, toutefois, un choix curatorial plus surprenant pour Cindy Sherman.

KUNSTMUSEUM BASEL. KARA WALKER (du 05.06 au 26.09.21). AA Black Hole is Everything a Star Long to Be

L’exposition phare de cette année est ce grand solo show dédié à Kara Walker, artiste afro-américaine, qui met en lumière depuis 30 ans la question du racisme, de l’exploitation des cadavres afro-américain par les facultés de médecine, et de l’esclavage dans la vision et la construction de l’histoire américaine. Ses dessins sont incisifs et mordants, avec une référence aux techniques de maitres anciens tels que Rembrandt, Goya ou Géricault. Une œuvre nécessaire et vraie !

Kara Walker, Art Basel 2021 © Aline Pujo

KUNSTHAUS BASELLAND : ANDREA BLUM – ANNA MARIA MAIOLINO – MARINA ROSENFELD

Le Kunsthaus va déménager prochainement et se rapprocher de la Fondation Beyeler ce qui lui procurera une meilleure visibilité, bien méritée au vu de la qualité de sa programmation. Ainsi, l’exposition d’Anna Maria Maiolino, artiste brésilienne qui a acquis une grande notoriété outre-Atlantique, à la fin des années 60 en dénonçant la dictature et la censure dans son pays. Connue pour ses œuvres dans l’espace public, Andrea Blum déploie ici une nouvelle version de son installation « Parallel Lives » qui confronte l’homme dans son usage du quotidien à l’idée et l’expérience de la nature.

Anna Maria Maiolino, vue de l’exposition « In the sky I am one and many and as a human I am everything and nothing », Art Basel 2021 © Aline Pujo

VITRA MUSEUM : Here We Are ! Women in Design 1900-Today

Le campus Vitra, connu pour son parc de commandes architecturales majeures, consacre dans son musée conçu par Frank Gerhy une exposition qui revisite la place des femmes dans le design, soit que leurs noms aient été oubliés en tant qu’«épouse de», ou simplement ignoré du grand public. Ainsi, Louise Brigham (1875-1956) qui publia en 1909 son manuel autour de la fabrication et de l’assemblage de boîtes, bien avant que Gerrit Rietveld (dans les années 30) puis Enzo Mari, (dans les années 70) introduisent le design dans la pratique du DIY (Do It Yourself). Elles sont si nombreuses que l’espace du musée est saturé de documents. Exposition stimulante et qui permettra de contribuer à une relecture nécessaire de l’histoire du design !

TINGUELY MUSEM : BRUCE CONNER (du 05.05 au 28.11.21). Light out from Darkness

Légende du cinéma expérimental – particulièrement du film de « found footage » – et inventeur du clip vidéo, Bruce Conner est décédé en 2008. Cette exposition majeure et militante montre 9 films dont la vidéo « Crossroads, 1976 », composée de séquences des premiers essais nucléaires sous-marins américains menés dans l’atoll de Bikini en 1946. Beauté saisissante de l’image à rebours d’une réalité terrifiante.

Ici, le site de Art Basel 2021.

Cindy Sherman, Fondation Beyeler, Art Basel 2021 © Aline Pujo