Le Dictionnerfs : ira furor bréviaire

Entendons-nous bien, le Dictionnerfs de Mathieu Potte-Bonneville et François Matton n’est pas qu’un dico de plus dans l’univers des lexiques qui font autorité que l’on offrira distraitement à Noël ou à son petit neveu. Car le Dictionnerfs possède un « Mojo », un sex appeal, un pouvoir, que n’ont pas les habituels recueils de définitions, de citations qui finissent leur carrière au mieux sur une étagère de bibliothèque et au pire sous une armoire normande et bancale.

Œuvre hybride, à la fois « dictio-nerd » et index à desseins, le Dictionnerfs, sous ses dehors classiques de glossaire, permet aux auteurs de laisser libre court (« livre court » ?) à leur imagination débordante, conjointe et complémentaire. Les définitions de Mathieu Potte-Bonneville, philosophe, rhéteur, croisent les illustrations de François Matton, dessinateur et auteur. Textes et dessins s’associent pour constituer ce que l’on pourrait appeler (assumant la paraphrase) un véritable recueil humeuristique.

L’actualité nous écrase d’écrits. Je recommanderai plus spécialement les dictionnaires. Les dictionnaires sont de bien belles choses. Ils contiennent tout. C’est l’univers en pièces détachées. (Alexandre Vialatte)

Liste de « mots chimères », de mots valises, nés de cet exercice combinatoire qui joue sur les sons et les sens à géométries variables, le Dictionnerfs réhabilite le jeu de mot, inventorie, invente tout en puisant son inspiration dans la littérature (« Amoque : rage incontrôlable consécutive au sentiment que l’on se fout du monde »), le quotidien (« Procrastination : faux que je m’y mette »), la technologie (« Réseaulution : décision ferme de passer moins de temps sur Facebook »)… Et le plaisir d’inventer des mots pour dépeindre une émotion passagère ou un état d’esprit persistant.

Le Dictionnerfs est protéiforme : avec ses définitions souvent polyglottes (ce n’est pas un gros mot), qui tiennent autant du polymorphisme (les mots valises se transformant volontiers en malles nécessaires) que de la polysémie (aux sens jamais uniques), le Dictionnerfs exprime des idées, des états fugaces et éphémères. Tout en creusant les filiations entre la signification finale du terme défini et les acceptions respectives des mots qui le composent.

Mathieu Potte-Bonneville invente une novlangue érudite et énervée qui convoque le geek moderne et le franglais ancien, des langues étrangères (dont la langue de Molière à bien écouter certains politiques contemporains qui bravent le substantif féminin comme personne)… Une langue naît donc de ces croisements de mots pour mieux expliciter, (re)définir, et qualifier par le rire, par l’absurde, avec des définitions drôles en diable et des idées jamais reçues.

Le Dictionnerfs, de Mathieu Potte-Bonneville et François Matton, Le Bleu du ciel, coll. Littérature et Beaux-Arts, 64 p., 14 €