Lectures transversales 15: Olga Tokarczuk (Les Pérégrins)

© Julien de Kerviler

« À Prague, en 1677, on pouvait voir dans l’église Saint-Guy les deux seins de sainte Anne, conservés dans un bocal de cristal, la tête de saint Étienne, premier martyr chrétien, et celle de Jean-Baptiste. Dans l’église Sainte-Thérèse, les religieuses montraient aux personnes qui le désiraient une nonne décédée trente ans auparavant, en excellent état de conservation, assise derrière la grille du parloir. Dans l’église des jésuites, il y avait la tête de sainte Ursule ainsi que le doigt et le couvre-chef de saint Xavier.

Cent ans plus tard, un Polonais débarqua à La Valette, sur l’île de Malte. Il a relaté dans une missive avoir visité la ville sous la conduite d’un ecclésiastique local qui lui avait montré « palmam dextram integram » (la main droite entière) de saint Jean-Baptiste, toute fraîche, comme si elle venait d’être retranchée du corps. « Ayant ouvert le reliquaire en cristal, le prêtre m’invita à apposer mes lèvres sur ladite relique, ce que moi, pécheur indigne, estime être la plus grande bénédiction divine jamais reçue de toute ma vie. Il me laissa également baiser une petite partie du nez du saint, puis la jambe entière de saint Lazari Quadriduani, ainsi que les doigts de sainte Madeleine et une partie de la tête de sainte Ursule, chose qui m’étonna fort, puisque j’en avais vu une bien complète à Cologne sur le Rhin et l’avais touchée de mes lèvres indignes. »

Olga Tokarczuk, « Les reliques (Peregrinatio ad loca sancta) » Les Pérégrins (2007), Éditions Noir sur blanc, traduit du polonais par Grażyna Erhard, 2010, p. 103.

© Julien de Kerviler