Tentative de saturation du langage cuit politicien dans la France du COVID 19

Typewriter (détail) © Christine Marcandier

« Aujourd’hui, chacun l’aura compris, le caillou dans la chaussure, c’est la problématique du Covid. Malgré tous les dispositifs systémiques de veille sanitaire qui avaient été mis en place en temps et en heure, force est de constater que les signaux faibles de ce qui est peu à peu devenu une pandémie ont échappé à tous les contrôles. Pas un  de ces think-tanks qui aiment tant à jouer les éminences grises, pas même un de ces prévisionnistes qui dispensent quotidiennement leurs oracles sur les chaînes d’info continue, avec une suffisance qui n’a d’égal que leur docte ignorance, n’avait vu venir le coup. Ils ont tous attendu le dernier quart d’heure pour procéder, toute honte bue et en battant leur coulpe avec une ostentation pleine d’hypocrisie – car elle cachait en réalité une forte dose d’aigreur et de ressentiment – à une révision déchirante. Il est donc temps aujourd’hui d’esquisser à grands traits, à l’intention de nos compatriotes insuffisamment informés par des médias plus soucieux d’audimat que de déontologie, un premier bilan de la situation. Car d’autres signaux, plus forts, ont révélé, ici et là, une fâcheuse tendance à pousser discrètement sous le tapis certains constats gênants, tandis que par ailleurs s’élèvent, dans les rangs clairsemés de tous ceux qui n’ont rien appris ni rien oublié, les clameurs les plus alarmistes.

Or, à regarder la situation sans parti pris, et pour ainsi dire les yeux dans les yeux, il faut reconnaître ceci : grâce à la formidable avancée scientifique et médicale que représentent les différents vaccins désormais mis à notre disposition (et à cet égard, les personnels – chercheurs et soignants confondus – ont droit, redisons-le, à toute notre gratitude, à notre soutien sans faille, ainsi qu’à celui de toute la nation rassemblée), on voit déjà la lumière au bout du tunnel et l’on sent nettement qu’on y est, que ça va le faire, à court ou moyen terme. S’il m’est arrivé parfois, je l’avoue, d’avoir l’air, en raison de l’excessive rigueur de ma conduite, d’être plus royaliste que le roi,  je n’ai assurément pas pour coutume de hurler avec les loups : toute mon histoire personnelle, depuis que je suis entré en politique dans ce groupe auquel me lient plus de trente années d’indéfectible fidélité, est là pour en témoigner. Je ne saurais donc m’associer, ne fût-ce que l’espace d’un instant, aux jérémiades de ces Cassandres qui courent les plateaux de télévision en proclamant qu’ils disent tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Ils prétendent, dans leur inimitable langage, et avec leur vision ultra-pessimiste mais éculée de l’avenir, que « c’est juste pas possible… ». Cependant, lorsque, en proie au doute où la crise de 2008 avait plongé les économies de tous les pays, la France et l’Europe semblaient danser sur un volcan, et que l’on croyait vraiment que c’était le commencement de la fin, les mêmes ont, c’est notoire, brillé par leur absence. Et voilà qu’ils osent, aujourd’hui, brûler ce qu’hier ils ont adoré. C’est purement et simplement, à mes yeux, jeter le bébé avec l’eau du bain ! Le degré zéro, vous en conviendrez, de la réflexion et de l’action politique. Mais, vrai, trop c’est trop ! Et fort heureusement, chacun sait bien dans ce doux pays que ce qui est exagéré est insignifiant…

Pour autant, j’ai envie de dire, c’est quoi, le véritable challenge de la vie d’après ? Il est plus qu’urgent, sur ce point dont nul ne saurait nier qu’il est capital, de remettre les pendules à l’heure, pour proposer une alternative crédible à la sinistrose qui menace les sociétés contemporaines et risque de les transformer en colosses aux pieds d’argile. Impossible en l’occurrence de se cacher derrière son petit doigt, comme le font ceux qui, dans leur soumission à la bien-pensance mainstream, cèdent à l’euphorie du moment et n’hésitent  pas à vendre prématurément la peau de l’ours. Mais il faut non moins oser une fois pour toutes appeler un chat un chat, et mettre, ferme et définitif, un terme aux imprécations réactionnaires qui impressionnent depuis si longtemps trop de nos compatriotes et ne font qu’augmenter leur désarroi, en leur mettant quotidiennement la boule au ventre. Quand les planètes seront alignées et que tous les voyants seront au vert, oui, on pourra enfin être sécure, car on aura coché toutes les cases. Mais en même temps, gare ! Pas question encore, même à ce stade du processus dans lequel nous nous trouvons tous embarqués, de fendre l’armure ou même seulement de baisser la garde, en se reposant sur la formidable résilience que nous, Français, avons toujours démontrée dans l’épreuve, au cours de la bimillénaire histoire de notre cher et vieux pays. Veillons à ne jamais l’oublier, c’est dans les détails que le Diable se cache. En effet, même si on a régulé tous les flux et lissé les courbes (ces courbes que d’autres, bien mal inspirés, s’étaient cassé les dents à vouloir à toutes forces inverser !), il nous faudra rester focus. Pas en mode réaction, non, mais sans relâche en mode proactif, oui, en mode écoute sur les évènements en direct live. L’optimisme raisonnable que la situation présente permet de nourrir s’appuie sur une certaine idée que nous nous faisons de la France et de son destin, une idée que, nous en sommes sûrs, l’écrasante majorité de notre peuple partage.

Le temps n’est plus où, sous le fallacieux prétexte de « laisser du temps au temps » – cette tare qui est depuis toujours dans l’ADN des états-nations, mais pas que -, l’on se croyait autorisé à renvoyer aux calendes les décisions les plus urgentes, tandis que les hauts revenus s’amusaient à brûler la chandelle par les deux bouts, et que les moins favorisés, à force de tirer le diable par la queue, se voyaient réduits à manger leur blé en herbe. Quant à moi, je n’ai pas peur de l’affirmer devant vous: depuis une quarantaine d’années, notre pays ressemble à un paralytique guidé par des aveugles qui l’entraînent, à chaque mandature, dans une nouvelle voie sans issue (qui s’étonnerait qu’ils soient allés dans le mur?). Nous dénoncions ces dérives pour le moins hasardeuses, à l’époque, avec l’amer sentiment de prêcher dans le désert : suivre cette pente si dangereuse, c’était, à terme, tuer la poule aux œufs d’or de notre économie, en ouvrant la boîte de Pandore d’une inflation galopante favorisée, comme toujours, par un usage intensif, que dis-je, compulsif, de la planche à billets ! Chers concitoyens, cette phase critique, avec tout le bruit et la fureur qui l’accompagnaient et qui résonnent encore à nos oreilles, est fort heureusement derrière nous. A l’heure actuelle, le nerf de la guerre (car nous sommes en guerre !), ce n’est plus, comme dans le monde d’hier, l’argent, (cet argent maudit qui abime, corrompt et détruit tout ce qu’il touche), mais bien l’énergie des hommes, celle-là même qui anime tous les Français méritants, et jusqu’aux plus déshérités, qui peuvent, eux aussi, apporter leur modeste pierre à l’édifice – je sais d’ailleurs qu’ils le font, jour après jour, et je salue bien bas, au passage, leurs méritoires efforts. Reprenons donc dès maintenant confiance en l’avenir. Le progrès indissolublement lié à la mondialisation ouvre aux citoyens du Tout-monde de multiples fenêtres de tir. Aussi bien, il serait stérile de stigmatiser telle ou telle tranche de la population, en particulier nos jeunes des quartiers, qui réclament à grands cris leur légitime droit à la différence. Si nous le faisions, la génération sacrifiée serait en droit de nous demander des comptes. Quant à nos anciens, à quoi servirait de leur jeter la pierre ? Le jeu n’en vaudrait pas la chandelle. Car le passé est ce qu’il est, même si nous savons que rien n’est jamais gravé dans le marbre. Comme dans la fameuse – trop fameuse, peut-être – parabole évangélique, la paille dans l’oeil du voisin empêche trop souvent d’apercevoir la poutre dans le sien, et nous perdrions notre âme, oui, notre âme, à perpétuer de vaines querelles de société, intergénérationnelles ou intercatégorielles. Laissons cela aux partisans de la politique politicienne, qui ne s’y emploient que trop bien (leur savoir-faire en la matière confine parfois au génie) !

Au contraire, si nous parvenons, en nous maintenant avec constance dans la droite ligne de nos engagements maintes fois réitérés devant les Françaises et les Français, la ligne sage, la ligne équilibrée, du juste milieu, si nous parvenons, dis-je, à transcender les clivages convenus, nous serons en capacité de profiter des créneaux disponibles, à tous les niveaux et dans tous les secteurs de l’activité, dans une stratégie gagnant-gagnant qui permettra de retisser le lien social si gravement endommagé à l’occasion du confinement et de ses nombreuses et douloureuses séquelles. Et cela se fera, véritable cerise sur le gâteau, sans laisser quiconque sur le bas-côté de la route ! Là est depuis toujours, et vous le savez,  l’alpha et l’oméga de notre action, et tel est bien le contrat que nous avons passé, en toute clarté et transparence, avec la Nation. Car, au-delà de l’indispensable reprise, le véritable enjeu, nous en sommes pleinement conscients, n’est rien moins que civilisationnel : c’est ce que je voudrais appeler «le mieux vivre ensemble». Une modernisation éco-constructive et raisonnée de nos pratiques demeure nécessaire et elle est au final, si j’ose dire, incontournable. Nous devons avant tout, et quoi qu’il en coûte, redonner du sens à l’action publique et privée. Aussi, à l’heure de ces immenses défis que la conjoncture adresse à la planète, au plan géopolitique global comme à celui, plus localisé, du maillage urbain et périurbain (voire rural !), pour redynamiser la croissance mondiale et si l’on veut vraiment (passez-moi l’expression) que ça matche, il faudra, dans un effort à la fois collectif et individuel, booster son énergie productive à plein régime, accepter de sortir de sa zone de confort, bouger les lignes, passer les vitesses, en un mot  fournir une réponse à la hauteur. Il n’est pas d’autre choix possible si nous voulons nous maintenir parmi les premiers dans la compétition internationale. Mais il nous faudra aussi savoir jusqu’où ne pas aller trop loin. Car, voyez-vous, malgré tout – et ce sont, hélas, les risques du métier –  il risque fort d’y avoir encore de sacrés trous dans la raquette ! »

Ce texte, qui se présente comme une « tentative de saturation du langage cuit politicien dans la France du COVID 19 », est  une œuvre collective. Le premier jet, d’une page et demie, fut ourdi par le professeur Daniel Bilous, qui le transmit à divers correspondants et amis (Amandine Cyprès, Frédéric Giloux, José Garcia-Romeu, François Jost, Alain Chevrier et Marc Avelot), lesquels firent quelques judicieux apports ponctuels. Marcel Bénabou, de l’Oulipo, s’associa ensuite à l’entreprise. Le texte définitif est le fruit d’une joyeuse émulation entre Daniel Bilous et Marcel Bénabou, chacun proposant alternativement des formules ou des termes que l’autre entreprenait aussitôt de mettre en de nouvelles phrases à intégrer. Le texte peut être retrouvé sur le site de « La Librairie du XXIe siècle » de Maurice Olender.