Hurlements en faveur des Flaming Lips (American Head)

The Flaming Lips - Will You Return / When You Come Down - Capture d'écran YouTube

11 septembre. C’est une date parfaite pour sortir un nouveau disque quand il s’intitule “American Head”. Le groupe d’Oklahoma City mené par le déroutant et attachant chanteur Wayne Coyne ajoute à sa discographie un vingt-troisième album éblouissant. Un royaume entier se tient dans cette tête américaine.

Si de leur propre dire les Flaming Lips ne se sont jamais vraiment considérés comme un groupe américain mais bien plutôt comme un ensemble venant de la terre, du cosmos, ces treize chansons déploient pour la première fois dans leur longue carrière (débutée en 1983 !) l’étendard Stars and Stripes. C’est pertinent, l’Amérique étant devenue le monde entier apparent. Ecouter ce disque revient donc à effectuer un passage dans le monde à travers le filtre psychédélique, loin des évidences bruyantes du rock FM et des démonstrations pâles de la pop de streaming.

Comment faire ? Avec de la drogue, pourquoi pas. Plusieurs chansons s’y réfèrent d’ailleurs directement. De “Will you return when you come down” à “When we die, when we’re high” qui posent toutes deux la question capitale d’un éventuel retour au moment de se lancer dans le voyage vers une substance illicite jusqu’à “Mother i’ve taken LSD” où la voix explique si candidement “Je croyais que ça me libérerait mais je pense que ça m’a changé. Maintenant je vois la tristesse du monde.”
Mais la drogue n’est parfois qu’un révélateur de l’amour, de cette aptitude spéciale et si bien chantée par Wayne à tourner autour de la beauté pour la multiplier. Il faut écouter la superbe “You n me selling weed” pour comprendre cela. “Toi et moi, nous avons un royaume devant nous. Nous vivons dans une forêt magique. Nous sommes le roi et la reine.” Très bien et comment comptez-vous gagner votre vie cher monsieur ? “En vendant de la dope à des célébrités… Et conduisant vers le travail quand le soleil se lève, je voudrais qu’il soit pour nous un vaisseau spatial… qu’il nous conduise vers une parade royale.”

Rien que ça ? Je vois, je vois. Parlons-nous quand vous serez descendu.
Mais Wayne Coyne chante, son groupe entourant parfaitement sa voix (force mélodique sublime des chansons, de leur structure tournée entièrement vers le chant haut et parfois subtilement cassé de Coyne). Non, il ne parlera pas, pas plus qu’il ne redescendra. Ou bien ce serait pour vous demander ce qu’est vraiment la réalité et il vous sera alors – n’est-ce pas ? – très difficile de lui répondre. Surtout si vous poursuivez avec “At the movies on quaaludes”, qui transperce le rêve américain grâce au double écran de la fiction et de la méthaqualone ou que vous vous laissez prendre par “Dinosaurs on the mountain”, sublime chanson-refrain dans laquelle l’évocation d’un souvenir d’enfance à l’arrière d’une voiture sur la route avec ses parents en pleine nuit vers la Pennsylvanie où ceux-ci avaient grandi fait advenir des formes dans les arbres et revenir les grands monstres du passé. “J’aimerais que les dinosaures soient toujours là, ce serait merveilleux de les voir jouer sur les montagnes” Vous finirez probablement par acquiescer à l’emballement du rêve total et vous direz “Moi aussi.”

Ecoutez les Flaming Lips et vous verrez ces dinosaures qui pourtant n’existent plus. Il n’y a en effet aucune raison d’être assigné à cette pitoyable fabrication qu’est la réalité. Quand Rimbaud dans “Une saison en enfer” dit que “Nous ne sommes pas au monde”, quand Montaigne dans une phrase de ses Essais annonce « Nous ne sommes jamais chez nous. Nous sommes toujours au-delà. » , c’est le même mouvement d’appel au dépassement pré-psychédélique !

Ce grand disque nous accompagne dans le génial doute qu’il faudrait toujours avoir face à la réalité, à la société… (vous pouvez compléter à souhait). N’est-il pas merveilleux d’hésiter et de les laisser tomber ? D’aller plus loin, de viser cette région intérieure de votre propre crâne où la musique sillonne ? Il y a d’ailleurs toutes ces têtes sur les pochettes des disques des Flaming Lips. L’illustration de leur discographie en est parsemée : bouches ouvertes par des vertiges, couleurs diffractées aux confins d’arcs en ciels, puissantes explosions de liberté. Des têtes en tous points éloignées de celle que les américains devront élire dans deux mois.

The Flaming Lips, album American Head – label Bella Union – sortie le 11 septembre 2020