L’Espagne républicaine en héritage : Olivia Ruiz et quelques autres

Olivia Ruiz La commode aux tiroirs de couleurs (bandeau)

Comment vit-on sa double appartenance ? Quel héritage conserve-t-on d’un passé mémorable, néanmoins enfoui dans le silence d’une défaite ? La chanteuse Olivia Ruiz entre en fiction avec son premier roman, La commode aux tiroirs de couleurs, rejoignant, d’une certaine façon, des aînées héritières de l’Espagne républicaine qu’elles ont immortalisée dans des récits attachants et souvent maîtrisés littérairement, offrant à la littérature française une mémoire qui remet en cause l’uniformité du récit national.

Beaucoup d’études ont été consacrées à l’exode des Espagnols républicains en 1939, en France. Dans le dossier mis en ligne par le Musée national de l’Histoire de l’immigration, « La Retirada ou l’exil républicain espagnol d’après guerre », Cindy Coignard et Maëlle Maugendre de l’Association Adelante, concluent : « Aujourd’hui, plus de soixante-dix ans après la Retirada, de nombreux Espagnols – anciens réfugiés – sont toujours installés dans les régions françaises, notamment dans le Sud-Ouest. Leurs enfants et petits-enfants se chargent d’entretenir la mémoire de ceux qui, à leurs yeux, ont lutté jusqu’à la mort pour un idéal humaniste ».

Le roman d’Olivia Ruiz, paru en juin dernier, texte attachant et plein de vivacité, revient sur cette mémoire, enrichissant les gestes de personnalités politiques et les récits d’écrivaines sur lesquels nous nous attarderons ensuite. La Retirada désigne le départ échelonné pendant la guerre civile mais surtout après que Barcelone soit tombée aux mains des franquistes, l’exode sans précédent de centaines de milliers d’Espagnols républicains. Les conditions de passage des Pyrénées ont été terribles – sentiers enneigés, bombardements de l’aviation franquiste –, et on avance le chiffre de 500.000 réfugiés. Cet exode massif existe dans les photos de l’époque conservées. Ce n’est que le 28 janvier 1939 que le gouvernement français ouvre les frontières aux civils ; puis le 5 février, aux soldats. Du 28 janvier au 13 février, ce sont 475 000 personnes qui passent la frontière française, en différents points du territoire : Cerbère, Le Perthus, Prats de Mollo, Bourg-Madame, etc.

L’accueil n’est pas très bon, c’est le moins qu’on puisse dire, dans la majorité des cas. Olivia Ruiz le rappelle dans son roman, La commode aux tiroirs de couleurs, après s’être bien documentée. Elle précise même que les images montrant les migrants d’aujourd’hui et tout particulièrement la photo du petit Aylan en septembre 2015, l’ont confortée encore dans sa volonté de montrer l’arrivée en France des réfugiés espagnols en 1939, consciente de la parenté des situations et de la difficulté toujours renouvelée d’accueillir l’étranger en détresse ou en danger de mort.

« Nous étions une centaine dans notre équipée, pourtant devant nous, une marée humaine avançait, telles des milliers de fourmis, courageuses et vulnérables, handicapées par le froid glacial et le poids des bagages, mais d’une volonté sans pareille », raconte Rita, la grand-mère, héroïne du roman. Les familles ont été souvent séparées : « Au Boulou, on sépara les hommes des femmes et enfants. Le départ de Jaime fut terrible. Angelita portait leur enfant et hurlait sa détresse. Nous la serrions de toutes nos forces pour essayer de la calmer, en vain ».

Dans son roman, elles sont trois sœurs embarquées dans un train pour la France par leurs parents qui ont pris une décision irréversible : elles ont six, dix et seize ans : « Le train n’est pas allé jusqu’à Narbonne. Nous avons été débarquées à Gérone et nous avons dû finir à pied. Il fallait laisser nos sièges aux milices qui partaient en rafle dans les villages frontaliers. Les républicains actifs qui essayaient de quitter le territoire étaient traqués, monnayés, puis faits prisonniers […] Je remarquai soudain la petitesse de Carmen. Soixante-douze heures avaient suffi à donner une allure maladive à sa silhouette déjà frêle. Ma petite sœur avait à peine six ans et un hamac obscur se dessinait sous chacun de ses yeux. Elle avait des cernes ! C’était inacceptable ».

La narratrice est la seconde des trois filles exilées ; elle offre à sa petite fille cet héritage que contient la commode. Olivia Ruiz engrange ainsi dans son roman des flashs d’information mais ne choisit pas les accueils et hébergements les plus désastreux. Les trois sœurs sont réceptionnées par le tío Pepe à Narbonne et peuvent ainsi quitter le camp d’Argelès qui compte, à lui seul, début mars 1939, 87 000 réfugiés.

« Je ne retins que la sonorité de deux phrases que je ne compris pas sur le coup mais dont la récurrence dans la bouche des Français me marqua les premiers temps. Tantôt hurlées, tantôt à demi-voix : « Espagnols de merde. Ils sont sales, ils puent ».

Qu’on ne s’y méprenne pas : le roman d’Olivia Ruiz n’est ni un manuel d’histoire ni un témoignage. Mais il ancre sa fiction dans une réalité historique que l’écrivaine a recherchée. Comme elle le dit dans de nombreux entretiens, elle s’est beaucoup documentée puisque ces origines de sa famille la hantaient et que les grands-parents restaient muets et silencieux. Et c’est la performance d’une fiction s’appuyant sur une histoire tragique que de parvenir à inscrire cette dernière par touches et instantanés dans le corps du récit raconté sans l’alourdir par la greffe d’une leçon d’histoire. Le fonds historique et la fiction inventée – le fameux « mentir-vrai » d’Aragon –, s’en trouvent renforcés l’un par l’autre.

D’après son éditeur, plus de dix maisons auraient souhaité l’éditer. Elle a bénéficié de nombreuses notes de lectures et d’entretiens radiodiffusés. Pour ma part, je me range volontiers à l’appréciation de Bernard Lehut sur RTL, au début du mois de juin, jugeant ce roman « délicat, politique, poignant ». Le Point, de son côté, notait : « Racé comme du Almodòvar. Un coup d’éclat et un coup de maître. Une écrivaine démente ». On peut noter aussi que, dès le mois de juillet, le roman entrait dans le classement des meilleures ventes.

Nous précisions précédemment que la narratrice est la seconde des trois filles qui quittent Barcelone, Rita, la plus rebelle. Elle n’est pas le portrait d’une femme réelle mais la résultante de plusieurs femmes côtoyées par la romancière. Cette histoire est une histoire de femmes, même si les hommes sont présents mais plutôt en lisière de leurs vies à elles. Le portrait de Rita est celui d’une femme libre à laquelle, d’une certaine façon, l’exil a donné cette liberté. On voit néanmoins que c’est une transmission familiale puisque les quelques éléments donnés sur sa propre mère – cette mère « qui répétait à l’envi qu’on est maître de son destin » –, dessine son caractère. Toute la construction du personnage laisse entrevoir la référence de l’écrivaine elle-même, cette artiste aux divers talents puisqu’elle est chanteuse, auteure-compositrice, metteure en scène, actrice. Le rapport fusionnel à cette grand-mère est affirmée dès le prologue et réitéré plusieurs fois dans le roman : « J’ai soudain la sensation d’être ma grand-mère quatre vingts ans plus tôt, gravissant les Pyrénées. Grelottante. Perdue. Amputée. Elle de sa terre. Moi de sa présence désormais ». Elle est l’Abuela.

Olivia Ruiz a dit que cette histoire était depuis longtemps en elle : elle savait que ce qu’avaient vécu ses grands-parents en Espagne puis lors de leur exil en France l’habitait sans qu’elle en maîtrise la connaissance. La phrase-clef qui éclaire sa démarche est la suivante, « savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va ». On peut dire que ce récit est porté par deux constantes : l’obsession du savoir et la volonté de transmettre. Elles expliquent l’invention du motif narratif qu’est la commode. Cette invention est astucieuse pour ouvrir progressivement les tiroirs de la mémoire qui ne peut se donner d’une seule traite, selon une logique que la donatrice, au-delà de la mort, a ordonné autour de sa propre vie dont elle choisit les séquences. Que cachait l’Abuela dans ses dix tiroirs, « ses renferme-mémoire » ? Des photos, des objets mais aussi « une enveloppe au fond du tiroir rose ». Entre le prologue et l’épilogue (qui fonctionne comme 10ème tiroir), la narratrice-petite fille cède la parole à la grand-mère qui égrène ses souvenirs marquants à partir d’un objet. Le premier est la médaille de baptême, donnée par sa mère à son départ d’Espagne. Cela permet à Rita d’évoquer le couple parental : « Mes parents s’aimaient autant qu’ils aimaient leur parti et leur patrie. Ils en revendiquaient la langue, l’art de vivre, les coutumes, mais aussi la combativité, la radicalité, frôlant la folie et le courage. Personne n’aurait pu les en déposséder ».

C’est le chapitre où l’Histoire de la retirada est rappelée, sans jamais écrire le mot. Cette médaille de baptême est le seul talisman pour passer d’Espagne en France : « Etait-ce vraiment être à l’abri que de se retrouver loin des siens et de sa terre sur un tapis de sable gelé ». Le second objet est une petite clef, symbole de l’installation des trois sœurs dans l’immeuble délabré de Madrina au milieu d’autres réfugiés. Si l’arrivée à Narbonne est marquée par le rejet de leur oncle et le rejet des autochtones, un jeune garçon se détache du lot, André, qui prendra une grande importance dans la suite de la vie de Rita. Tant qu’à s’intégrer, Rita ne fait pas les choses à moitié et décide que Rita Monpean Carreras doit devenir Joséphine Blanc. Elle adopte aussi avec enthousiasme la langue française, parvenant à la parler sans accent.

Le troisième objet est plus personnel : c’est le carnet de poèmes qui est le reflet de sa « féminité naissante » et de son « plus grand amour ». De Narbonne à Toulouse, Rita devenue Joséphine, quitte le milieu des réfugiés… pour retomber aussitôt sur un autre Espagnol dont elle devient passionnément amoureuse. Elle raconte son travail et son couple. Mais Rafael est un fugitif, « un Enlace. Littéralement, ça veut dire lien ». Il repart en Espagne pour participer à un attentat contre « le régime de l’hijo de puta ». Il est le fils de Pepita, grande militante. Il est assassiné. Rita, enceinte de trois mois, s’écroule, repart en Espagne mais en revient aussitôt : « Mon carnet de poèmes en poche, je suis repartie le jour même de mon arrivée en Espagne. Vers Narbonne ».

Le quatrième tiroir renferme un objet plus énigmatique, l’acte de naissance. Il permet à Rita de raconter sa difficile histoire avec sa fille Cali, fille de Rafael mais qu’André a adoptée et qui n’a jamais voulu connaître le secret de sa naissance. L’Abuela veut que la fille de Cali, à laquelle elle a donné la commode, connaisse la vérité : « Dans ton sang et dans le siens, toute la force de l’Espagne bouillonne ».

Vient ensuite le sac de graines : chaque graine est plantée quand un enfant naît dans la famille. C’est le récit tragique de la naissance de Juan puis de sa maladie et de sa mort : Rita est dévastée et prend la fuite une fois de plus laissant sa fille et André pendant quelques mois. Elle revoit Pepita qui lui confie un foulard bleu avec la mission de venger Rafael. Rita prend bien un billet de train et séjourne en Espagne mais elle sait qu’elle n’est ni d’Espagne, ni de France et prend conscience qu’elle n’exercera jamais de violence contre un être humain, fut-il franquiste. Elle revient finalement vers son mari et sa fille et voit sa vie à l’image du baromètre sur la façade de la maison qui n’arrête pas de se casser la gueule ; jusqu’à ce qu’elle prenne la décision de racheter un café à Marseillette qui permet à la famille de retrouver son équilibre.

C’est le neuvième tiroir qu’il faut ouvrir enfin qui contient peut-être le plus douloureux pour la jeune femme héritière : la lettre que sa mère, Cali, a écrite, alors qu’elle savait qu’en accouchant elle mettait sa vie en danger. Elle sait pourquoi elle a été élevée par ses grands-parents, Rita et André. Elle apprend aussi que la commode de son Abuela est un héritage de Pepita : « l’idée de remplir les tiroirs de cette commode de nos vies m’est venue comme une fulgurance. Dès que je me suis retrouvée face à elle, je me suis autorisée à laisser remonter mes souvenirs ».

Les tiroirs ont été peints aux couleurs de l’arc-en-ciel : « parce que c’est ça que je veux que tu retiennes. Nos couleurs. Chaudes, franches. Je veux que ces femmes si différentes, si vivantes, si complexes qui composent ton arbre généalogique puissent t’inspirer et t’aider à savoir qui tu es, le fruit de quels voyages et de quelles passions ». Elle l’exhorte à poursuivre : « A ton tour d’y faire la place pour votre futur ». C’est effectivement ce que l’on découvre dans l’épilogue, inattendu et impertinent.

La lecture permet de découvrir les grandes thématiques visitées : le rejet de l’étranger avec ses conséquences d’invisibilité et d’intégration avec tout ce que ce mot suppose de renoncement et d’effacement ; l’exil et la communauté ; faire groupe ou s’émanciper ?  L’équilibre à trouver entre ses racines et le présent vécu.

Comme dans tout roman d’exil, la langue est une actrice incontournable du récit : l’espagnol est présent, essaimé dans le français pour les appellations d’identification, de tendresse et pour les insultes, « comme ce malparido de Caudillo ». Le pays est omniprésent et les mères sont envahissantes, indispensables et enracinantes. Ce roman se lit sans ennui, grâce à sa vivacité et son économie de langage : les citations mises en exergue, de Federico Garcia Lorca et de Pablo Neruda, prennent encore plus de sens une fois le roman refermé.

Dans un de ses entretiens, Olivia Ruiz se déclarait « méditerranéenne jusqu’au bout des ongles » et son roman témoigne de la texture dont il est fait, la texture du Sud. Pour, à la fois, en prolonger la lecture et l’enrichir, il est intéressant de l’associer par une lecture ou relecture à celle d’autres récits de fille ou petite fille de Républicains espagnols, devenus aussi écrivaines françaises sans renoncer à leur autre culture et à leur autre langue. Chacune s’implique différemment dans l’Histoire tue et ressuscitée par leur récit, se mettant au cœur de leur récit ou adoptant une position d’observatrice.

La plus emblématique de ces écrivaines est Isabelle Alonso (née à Auxerre en 1953). Ses fictions sont pétries d’Histoire de l’Espagne républicaine, de vécus au plus près de l’exil à travers les membres de sa famille, d’une connaissance intime de la communauté qu’elle revendique comme sienne : « Aux Rojos. A leur idéal, jamais trahi. Aux valeurs de liberté, de loyauté et aussi de naïveté qu’ils ont léguées à leurs enfants, dont je suis fière de faire partie ». Elle inaugure cette écriture de la mémoire vive et active avec, en 2006, L’exil est mon pays. C’est une fiction autobiographique qui traite avec profondeur, impertinence et humour, des thématiques qu’Olivia Ruiz effleure différemment dans son roman. Fille et non petite fille, son rapport à cette mémoire est, évidemment, différente dans sa narration mais pas dans son positionnement. Le couple parental, Angel et Libertad, sont magnifiés avec une tendresse sensible à chaque anecdote. La dichotomie que vit la petite fille entre le pays quitté et le pays d’accueil est visitée dans toutes ses dimensions : l’adaptation des parents, le logement,  l’habillement et les signes forts de la culture au quotidien : la cuisine, les fêtes et la langue. La mise en valeur des aléas du bilinguisme est remarquable ainsi que le poids de l’exil, partie intégrante de l’individu déplacé quel que soit son degré de la fameuse « intégration » que chaque ligne écrite par Isabelle Alonso remet en question lorsqu’elle est comprise comme une dissolution imposée ou demandée de l’identité première. Les dernières lignes du récit sont éloquentes et bouleversantes : « Mon vrai pays n’est pas fait de terre, de paysages, de montagnes et de rivières. (…) Mon pays est fait des rêves de mes parents, de souvenirs qui leur font tellement mal qu’ils ne savent qu’en plaisanter, de routes encombrées dont on ne sait pas où elles vont, et du sentiment permanent d’être une personne déplacée. Mon passeport indique clairement ma qualité de citoyenne de la République française, membre de l’Union européenne. Le laissez-passer que j’ai dans le cœur pleure un paradis perdu. (…) Apatrides, cosmopolites, persécutés, expulsés, arrachés, déraciné, émigrés, réfugiés, transplantés, greffés, rejetés, assimilés, intégrés, digérés, disparus… Je marche aux côtés de tous les vaincus de la terre, chassés par les  caïns éternels sur les routes sans fin de la défaite. (…) Les escadrons de l’exil qui campent la nuit dans mon esprit ne sont pas visibles à l’œil nu. J’ai passé des années à les cacher pour faire semblant d’être comme tout le monde. Mais moi je suis du pays des étrangers, des exilés. Les miens. L’exil est mon pays ».

Cette fiction autobiographique est suivie, en 2009, par Fille de rouge et, en 2010, par Maman. En 2016 et 2017,  elle publie Je mourrai une autre fois et Je peux me passer de l’aube, renouvelant sa fidélité aux siens et la concordance entre ces engagements et ses convictions actuelles. Les prix littéraires n’ont pas été au rendez-vous de ces fictions passionnantes, excepté le dernier qui a reçu un prix secondaire. Sans doute, trop « espagnol » si l’on en croit l’appréciation de Bernard Pivot lorsque le prix Goncourt fut décerné à Lydie Salvayre ; il regrettait qu’il y ait un peu trop de langue espagnole dans le texte…

Celle-ci, en effet, obtient ce prix en 2014 pour Pas pleurer. Elle y racontait à sa façon cette Espagne républicaine en partageant les voix de son récit entre sa mère et le souvenir lumineux qu’elle gardait de 1936 à Barcelone et la voix de Georges Bernanos. Homme de droite, il a été néanmoins horrifié par ce qu’il découvrait de cette guerre et prenait position contre son camp dans Les Grands cimetières sous la lune. Lydie Salvayre écrit plus à distance que les précédentes, choisissant de dialoguer avec Bernanos et de ne retenir que quelques séquences de la vie de sa mère. La mère communique dans un « fragnol » : « Ma langue, c’est le français, mais l’esprit de la langue espagnole m’est demeuré », expliquait la romancière dans une interview à la Tribune de Genève.

Il est tout à fait intéressant, dans la perspective de la visibilité de l’Espagne républicaine dans l’Histoire française du XXe siècle, de comparer chez ces trois romancières le choix de leurs références historiques, politiques et littéraires et l’inscription de la langue espagnole dans la voix de la narration et dans celle des personnages.

Pour continuer cette plongée, on peut rappeler d’autres personnalités féminines et d’autres écrits. D’abord, celle qui écrivit sur sa vie et cet exil : Maria Casarès dans Résidente privilégiée (Fayard, 1980). Née en novembre 1922 à La Corogne en Espagne, Maria Casarès était la fille de Santiago Casares Quiroga (1884-1950), premier ministre de la Seconde République espagnole qui démissionne le 18 juillet 1936 au moment du coup d’état de Franco. Il fuit à Paris avec sa famille en novembre 1936, Maria a 14 ans. Ses souvenirs personnels sont rassemblés dans ce livre qui redessine sa carrière et ses rencontres avec l’Espagne toujours au cœur. Notons qu’en 1949, elle est la narratrice de Guernica, court métrage d’Alain Resnais et Robert Hessens.

Il faudrait aussi retourner vers les écrits de Christine Bravo, vers ceux de Carole Martinez et, en particulier, Le cœur cousu, en 2007 qui fut récompensé par pas moins de neuf prix littéraires. L’écrivaine a raconté dans un entretien que « sa grand-mère venue d’Espagne était concierge boulevard du Montparnasse et racontait à l’enfant des histoires délicieusement effrayantes, nourries de vieilles superstitions. «Elle avait une dimension de conteuse extraordinaire, elle repoussait les murs. L’écriture ne lui était pas accessible, elle appartenait à une classe sociale qui n’y a pas droit, mais ses histoires étaient vraiment merveilleuses, pleines de mysticisme et de fantastique». Il faudrait lire des récits moins connus comme celui de Paloma Leon aux éditions Les Monédières. Elle retrace les destins exceptionnels de ses parents, Républicains espagnols exilés en Corrèze. Elle a cofondé l’association Ateneo republicano de Limoges qui entretient la mémoire historique des Républicains espagnols en Limousin. Difficile d’oublier… la maire de Paris, Anne Hidalgo, petite-fille de républicain espagnol. Née en juin 1959 à San Fernando, elle a émigré en France avec ses parents en 1962. Elle est naturalisée en 1973 et conserve sa double nationalité. En avril 2014, elle préface la bande dessinée La Nueve, qui raconte l’histoire de Républicains espagnols qui ont participé à la Libération de Paris, en 1944. Lire et relire ces récits, ces témoignages et ces fictions dégèle le monolithisme d’une Histoire française auto-centrée et qui a tendance à oublier les apports multiples de l’étranger.