Portrait d’un assistant-réalisateur : Pierre Zagdoun

Nathalie Baye, La Nuit américaine © Les Films du Carosse

Portrait d’un métier de l’ombre, l’assistant-réalisateur, à travers un créateur de lumière, Pierre Zagdoun (Her Smell, Hurricane Bianca: From Russia With Hate, etc.)
Bien que la réussite d’une œuvre cinématographique soit communément attribuée à la réalisation et aux comédiens, nous n’oublions que trop combien le tournage d’une production audiovisuelle requiert un nombre conséquent de corps de métiers : un chef opérateur, un ingénieur du son, un chef électro, un chef machino, des costumiers, maquilleurs, scriptes, des régisseurs, des producteurs… Mais peut être aussi oublions-nous de penser à une personne en particulier, travaillant dans l’ombre des visages vedettes, et dont le rôle est d’unifier tous ces noms qui apparaîtront au générique, de diriger ces équipes et d’assurer le bon fonctionnement du tournage, personne à elle seule rouage central, sans qui la machine s’effondrerait : il s’agit de l’assistant réalisateur.

Nathalie Baye, La Nuit américaine © Les Films du Carrosse,

On se souvient de la dévouée Joëlle, interprétée par Nathalie Baye donnant la réplique à François Truffaut dans La Nuit Américaine, film phare du réalisateur sur l’envers du décor désenchanté d’un monde qui fait rêver. La comédienne, dans son rôle d’assistante réalisatrice, incarne et expose les difficultés et la passion de ce poste, pièce maîtresse indispensable et multifonctions dont la discrétion reste cependant la condition première.

New York, septembre 2016 : Pierre Zagdoun atterrit sur le territoire américain dans le but de découvrir l’industrie cinématographique américaine qui l’a toujours tant inspiré. Il ne se doute alors pas qu’il y trouvera l’Eldorado des productions audiovisuelles. Sorti diplômé de l’ESRA et major de sa promotion en 2014, Pierre reste en France pour travailler sur de nombreux tournages. À peine sorti de l’école, il se retrouve dans l’équipe d’assistants réalisateurs pour un épisode d’une série française populaire et enchaîne ensuite les projets divers, publicités, films, clip vidéos et autres.

Après deux ans, il décide d’approfondir sa formation et de s’imprégner du modèle américain. Il suit donc une formation d’un semestre à Stonestreet Studios (filière de NYU) avant de se faire remarquer par de nombreuses productions américaines qui l’emploierons ensuite, Vayner Production pour de nombreuses publicités ou encore Bow & Arrow sur le film Her Smell d’Alex Ross Perry, avec entre autres, Elisabeth Moss, Cara Delevingne, Dan Stevens, Eric Stoltz et Amber Heard.

Pierre Zagdoun, New York

Il est rare, ce qui est le cas de Pierre, de vouloir faire carrière dans le rôle d’assistant-réalisateur, nombreux étant ceux qui préfèrent la carrière de réalisateur. C’est lors d’un stage qu’il a effectué en préparation et sur le tournage d’un épisode d’une série télévisée populaire, qu’il a découvert sa passion du métier. Il a travaillé de près avec la première assistante réalisatrice et ça a été un déclic : « J’ai compris deux choses instantanément : premièrement que je ne pourrai jamais travailler dans un autre monde que celui du cinéma, deuxièmement que j’étais fait pour être assistant-réalisateur ». Un métier complexe qui exige savoir faire et perspicacité afin, d’après ses propres mots « d’assembler toutes les pièces du puzzle alors que celles-ci changent constamment de forme. »

Parfois appelé lors de la phase d’investissement du film – celle où les producteurs vont chercher des financements –, son travail commence véritablement à la préparation du tournage. Pierre commence alors par décortiquer le scénario, en effectuer plusieurs lectures afin de mettre en évidence tous les éléments indispensables au déroulement du projet : décors, personnages, effets spéciaux, cascades, costumes, accessoires ou maquillages particuliers. Il organisera alors des réunions avec les différents chefs d’équipe, le réalisateur et les producteurs pour de discuter des attentes et exigences de chacun, de la manière dont chaque scène sera tournée, des nécessités techniques et matérielles dont Pierre dressera la liste et s’assurera qu’elle soit rigoureusement suivie pendant le tournage.

Il est possible que l’assistant-réalisateur ait un rôle à jouer lors du casting ou dans l’organisation des tables de lectures, celles où acteurs, réalisateurs, producteurs – et lui-même – se retrouvent pour une première interprétation du scénario afin de donner vie aux personnages et noter certaines scènes pour lesquelles une réécriture s’avérerait nécessaire.

Pierre effectuera ensuite et dirigera différents repérages, qui consistent à découvrir et à choisir les décors selon les attentes du réalisateur. Suivront les repérages techniques sur les décors validés, soit en présence des chefs d’équipe (chef opérateur, chef électro, chef machino, ingénieur son, régisseur général)  dans le but de s’assurer de la faisabilité des scènes et de remédier à d’éventuelles difficultés (trop d’écho pour le son, pas assez de place pour installer les rails de travelling, incapacité de stocker le matériel, trop ou pas assez de lumière naturelle, etc.). S’installe dès lors ici un dialogue entre les différents techniciens et l’assistant-réalisateur : « Il s’agit d’harmoniser tout ce qui ressort de ces repérages et de régler l’horloge au millimètre près avant même de la mettre en route », précise Pierre. Durant ces repérages techniques, réalisateur et chef opérateur vont pouvoir visualiser les scènes et les découper en plans. L’assistant réalisateur secondera cette phase afin « qu’une première vision du film commence à s’installer » et anticiper les éventuels problèmes pouvant survenir au cours des prises réelles.

Au fur et à mesure que la préparation avance, Pierre ébauchera un emploi du temps de tournage (le plan de travail), susceptible d’être soumis à de nombreux changements face à tous les imprévus. L’assistant réalisateur démontre ici sa position d’épicentre de la production, étant en contact avec les différentes équipes et détenant toutes les informations et les clés lui permettant d’établir cet agenda. Pierre explique : « Un plan de travail est une matière vivante, instable et constamment en mouvement. Il y aura toujours des scènes à modifier, supprimer, rajouter, des plans que l’on n’a pas eu le temps de tourner la veille à ajouter le matin suivant, des imprévus nous obligeant à revoir l’emploi du temps. Tout comme l’écriture du scénario qui n’est clôt qu’une fois le montage du film terminé, l’emploi du temps n’est fixé qu’une fois le tournage achevé »

L’assistant-réalisateur est de la sorte un chef d’orchestre, le médiateur central par qui passe toute information, respectant l’emploi du temps défini et la distribution des tâches à effectuer pour chacune des équipes.

Pierre Zagdoun

En début de journée, et ce avant chaque scène, l’assistant-réalisateur organise dans la mesure du possible des répétitions avec les comédiens sur le plateau sous le regard des chefs d’équipe afin de préparer, dans un ordre hiérarchisé, le bon déroulement des prises (déco, lumières, équipements machinerie et son). Toujours un œil sur sa montre, Pierre s’assure que chacun travaille le plus efficacement possible car il endosse une responsabilité vis-à-vis du producteur ; dépasser le temps prévu en heures supplémentaires, cela a un coût important pour la production. Mais il se doit de maintenir ce timing millimétré tout en s’assurant du bien-être et de la sécurité des techniciens ainsi que des conditions optimales du travail du réalisateur. Pierre précise à ce sujet : « Mon but est que le réalisateur puisse tourner le nécessaire afin de raconter son histoire comme il l’entend. Quand j’ai le luxe de pouvoir lui dire qu’il a la possibilité de prendre son temps, je suis ravi. Car il ne s’agit pas de presser les choses pour offrir cette possibilité au réalisateur, le temps gagné peut apporter beaucoup à sa créativité. »

Cela n’est pas sans rappeler la réplique de François Truffaut dans La Nuit Américaine, dans un dialogue avec son producteur lui précisant la pression d’un tournage limité à sept semaines. En voix off, Truffaut, dans le rôle du réalisateur Ferrand, effectue le calcul : « 7 semaines, 5 jours par  semaine, 35 jours, je n’arriverai jamais à tourner un film pareil en 35 jours ! » Et il ajoute à ce propos « Un tournage de film ça ressemble exactement au trajet d’une diligence au Far West. D’abord on espère faire un beau voyage, et puis très vite on en vient à se demander si on arrivera à destination »

Tel que La Nuit Américaine le démontre aussi, l’aspect psychologique est une partie prenante du métier de Pierre afin d’harmoniser toutes les équipes pour un travail efficace. Pour lui, porter une attention particulière au bien-être de ses équipes est la clé de départ d’un tournage réussi.

L’assistant réalisateur est aussi en charge de la gestion de la figuration, qu’il s’agisse de trois silhouettes qui marchent en arrière-plan comme d’un groupe de 150 personnes – par exemple l’assistant réalisateur David Tomblin eut la gestion de 250 000 figurants pour la scène funéraire du film Gandhi

Détail de l’affiche Her Smell © Toronto Film Festival 2018

Ainsi sur le tournage du film Her Smell, Pierre s’est-il occupé des figurants qui formaient la foule d’un concert de rock : « C’était une aventure extraordinaire et j’ai adoré ces quelques jours à travailler avec tous ces figurants. Il ne s’agissait pas que de les placer et les diriger, nous avons créé un véritable dialogue avec eux et ils en étaient comblés. Beaucoup de productions traitent les figurants comme des objets. Nous les avons considérés, leur avons expliqué tout ce qui se passait dans la scène, discuté avec eux, leur avons donné le plus d’informations possible au cours de la journée et ils en ont été plus que reconnaissants ; beaucoup sont venus nous voir en fin de journée pour nous remercier et nous faire part d’un traitement particulièrement appréciable. Je pense que créer du lien avec les figurants et s’assurer de leur bien-être est extrêmement important car ils ont un métier difficile, avec beaucoup d’attente et une certaine déshumanisation. Parfois, c’est à peine si on se préoccupe de leur donner de l’eau… Si on les traite bien et qu’ils travaillent dans de bonnes conditions, qu’ils comprennent le déroulement du tournage, ce que l’on fait et pourquoi, ils donneront alors le meilleur d’eux-mêmes. Ils n’auront en conséquence aucun problème à pallier les éventuels soucis auxquels le tournage pourra se trouver confronté et feront preuve d’indulgence. C’est du donnant-donnant. »

Précisons que l’assistant réalisateur dispose de sa propre équipe souvent constituée de trois assistants : le second et le troisième assistant, chacun ayant des tâches particulières et chacun étant en charge de différents départements. C’est ici que la différence s’installe entre le modèle français et le modèle américain.

En France, le premier assistant est le chef sur le plateau que le second aidera à gérer dans un dialogue avec les différents chefs d’équipe, le troisième gérera en outre les loges, où il s’occupera des comédiens et de l’avancée des équipes maquillage, habillage, coiffure. Mais les trois ont un certain degré de polyvalence.

Aux États-Unis les tâches sont plus définies et distinctes. Le premier assistant est sur le plateau, il dirige les équipes et s’assure du bon fonctionnement du tournage, de la sécurité, et du respect des délais. Le second assistant sera au bureau de production, travaillera sur la feuille de service, discutera directement avec les acteurs ou leurs agents à propos de leurs heures de convocation. Il s’occupera aussi de leur réserver des chauffeurs et autres. Il est l’assistant en coulisse. Le « second-second », tout comme le troisième assistant en France, oscillera entre le plateau et les loges, s’assurera que les comédiens soient prêts à temps et sera le lien entre le plateau et les équipes habillage, maquillage et coiffure. Lors du tournage d’un plan il sera aussi aux côtés du réalisateur, souvent derrière les moniteurs, et sera sa voix. Il relayera ses remarques au premier assistant (en général sur le plateau avec la caméra) via son talkie walkie et sera en règle générale le porte parole du « video village », où se trouvent le réalisateur et les chefs d’équipes maquillage habillage et coiffure. Il s’assurera aussi du bon déroulement du travail de chacun sur le plateau, mais aura aussi en charge les PA (Production Assistant), ces petites mains, essentielles. Le « second-second » aura comme fonction de s’assurer que ces PA soient placés aux différentes entrées du plateau afin que personne n’y pénètre durant une prise, qu’ils relaient les annonces (« moteur », « coupez », « changement de plan », « une de plus », etc.) afin que tout le monde soit avisé de consignes que donne l’assistant réalisateur, et, en règle générale, que le silence soit respecté sur le plateau. Il se chargera aussi de les envoyer en courses, de préparer des cafés pour les acteurs, d’aller chercher les comédiens en loge, etc.

Le métier de PA n’existe pas en France, et pourtant, pour Pierre, c’est un atout indispensable sur un tournage : « Avoir des PA n’a pas de comparaison. En France, j’avais pour habitude de tout faire, ce qui en soi était une bonne formation, mais pouvoir déléguer les tâches me permet de me concentrer davantage sur mon travail. Il faut beaucoup d’attention pour la gestion des PA, mais cela reste un gros atout manquant sur les tournages français. »

PA étant le bas de l’échelle de la porte d’entrée dans l’industrie audiovisuelle américaine, Pierre a quelque fois été confronté à des PA débutants. Il s’est alors occupé de les prendre sous son aile, de les former et leur apprendre les bases du métier : « La plupart des PA débutants avec lesquels j’ai travaillé ont toujours eu énormément de motivation et c’était un plaisir de les voir évoluer et devenir de vrais professionnels à la fin du tournage. »

Les tâches de l’assistant réalisateur sont donc multiples et vitales à la création d’un film. Au delà d’un sens aigu de l’organisation et d’un amour sans réserve du métier, le poste nécessite sérénité mais fermeté : « De nature je suis quelqu’un d’extrêmement calme et j’ai tendance à apaiser les gens qui m’entourent, atout dont les réalisateurs raffolent en général puisque ça leur permet d’éliminer une partie du stress qui leur est inévitable. Il faut savoir se montrer strict, mais au bon moment. Cela reste un métier où l’on dirige un plateau, ainsi il faut savoir faire preuve d’une certaine finesse. »

De par son appellation, nous avons tendance à considérer l’assistant-réalisateur comme un poste de second du réalisateur. Ce sont en vérité deux métiers distincts qui se complètent. Alors que le réalisateur s’occupera de mettre en scène, diriger les acteurs, choisir les plans avec le chef opérateur, l’assistant-réalisateur s’occupera de tout ce qui est logistique, dirigera le plateau, prendra les décisions et devra trouver des solutions le plus rapidement et intelligemment possible à tout problème qui pourrait survenir. Véritable métier de l’ombre c’est pourtant celui qui maintient toute l’organisation d’un tournage, fait tourner la machine et porte la lumière de l’œuvre cinématographique.