Jodorowsky’s Dune : le grand sorcier du cinéma arrive sur Arte

Portrait d'Alejandro Jodorowsky, 1975 © ARTE

En 2013, Frank Pavitch réalise un documentaire superbe sur le film inachevé Dune d’Alejandro Jodorowsky. Quarante ans après, pourquoi revenir sur ce tournage empêché ? Car ce qui se jouait là, et que nous aurions pu perdre à jamais, devait chambouler durablement l’univers du cinéma. Nombre de films illustres ont puisés dans ce qui fut un temps le matériau de cette adaptation sans précédent.

Dessin préparatoire de Hans Ruedi Giger pour Dune (train futuriste et fantastique), 1976 (Arte)

« Je voulais créer un prophète. Transformer les jeunes esprits dans le monde entier. Pour moi Dune devait être l’arrivée d’un dieu. Un dieu artistique et cinématographique. Je ne voulais pas faire un film, c’était plus profond que ça. Je voulais faire quelque chose de sacré » (Jodorowsky)

À l’origine, un cycle de romans : Dune de Frank Herbert, un des piliers de la science fiction au même titre, par exemple, que Fondation d’Isaac Asimov. Dune, c’est le surnom d’Arrakis, une planète aux conditions de vie difficiles, puisqu’entre autres il s’agit de ne pas se faire manger par les vers des sables géants, décimer par les tempêtes ou tout simplement de ne pas mourir de soif sur cette boule de sable désertique. Mais c’est aussi le centre névralgique des ressources nécessaires à la domination et à la conquête de l’univers, puisqu’Arrakis est la seule planète connue à abriter l’épice, jalousement gardée par les vers des sables, et qui permet une fois exploitée, eh bien, toutes sortes de choses, comme de développer ses dons d’ubiquité, d’être protégé de certaines maladies ou de voir sa vie considérablement allongée – l’épice est une drogue très puissante qui fait passer les capacités humaines sur un plan quasi spirituel, un moteur psychique hors du commun. Les indigènes, qui la consomment quotidiennement, voient leurs yeux se colorer d’un bleu sans fond qui leur donne un regard mystérieux d’oracle irradié. Vous commencez peut être à comprendre ce que vient faire Jodorowsky dans cette galère. C’est tout naturellement que toute la galaxie va vouloir s’entre-tuer pour pour dominer Arrakis, l’unique planète hôte de l’épice. Plus qu’une guerre des étoiles c’est un récit mythologique de longue haleine où se mêlent les complots de cour dans un univers de tromperies et de prophéties, un drame géopolitique futuriste.

Pirate Ship, dessin préparatoire de Chris Foss pour Dune, 1975

Alexandro Jodorowsky, cinéaste gourou au parcours incroyable — il part du Chili pour ne pas finir médecin, arrive à Paris sûr de sa destinée, travaille avec le mime Marceau, devient surréaliste, fonde son propre mouvement, « Panique », développe le théâtre d’avant-garde de Mexico, ouvre à Paris un Cabaret mystique, etc. — officie dans un genre très marqué par le surréalisme, la spiritualité et le théâtre d’avant-garde qui donne parfois à ses scènes une aura de performance passionnée. Mettez face à ce sacré bonhomme aux mille vies, si charismatique qu’il convaincrait un arbre de jouer dans ses films, mettez face à lui un livre à fortes émissions psychiques et réputé inadaptable, et vous comprenez pourquoi Jodorowsky se précipita dans l’aventure.

« À l’époque j’avais l’impression d’être dans une prison. Mon ego et mon intellect voulaient s’ouvrir. Je me suis donc lancé dans la bataille pour réaliser Dune. » (Jodorowsky)

Jodorowsky ne cherche pas des acteurs, mais de véritables « guerriers spirituels ». Il ira jusqu’à donner son propre fils pour son art, faisant entraîner le jeune Brontis par un maître en arts martiaux pour qu’il puisse, après un voyage du corps et de l’esprit, incarner Paul Atréides, le héros du premier volet de Dune. Jodorowsky voit les choses en grand et n’hésite pas à enrôler Salvador Dali, Moebius, Orson Welles, à gronder les Pink Floyd ou à demander l’impossible en toutes choses. Il cherche le film ultime qui à l’instar du LSD pourra éveiller les consciences et chambouler durablement les esprits. S’il échoue dans la conception de son œuvre, jugée trop ambitieuse par des producteurs frileux, l’univers semble garder quelque chose de ce formidable élan de création qu’il insuffla à tous, et que ce documentaire restitue brillamment.

Il est des films rêvés qui acquièrent des statuts particuliers. On peut penser, par exemple, au tout aussi célèbre L’Homme qui tua Don Quichotte de Terry Gilliam, film qui, s’il finit par voir le jour, existe presque autant dans notre imagination que matériellement. Finalement ce sont deux films très différents que le Don Quichotte évoqué dans Lost in La Mancha, le documentaire de Keith Fulton et Louis Pepe, sur ce film alors inachevé qui fut le combat d’une vie et le symbole d’un art, et la version finale qui fut présentée à Cannes des années plus tard en pleine polémique sur ses droits de diffusion.

Guild Tug, dessin préparatoire de Chris Foss pour Dune, 1975

« Dune est probablement le plus grand film qui a jamais été fait. Il continuera d’influencer les générations futures, bien qu’il n’existe pas. » (Richard Stanley, régisseur)

En fiction, ce qui n’existe pas peut parfois prendre une importance au delà du réel, et le récit d’une œuvre fantasmée se gorger d’une puissance, tout en potentialités, bien supérieure à tout objet. Un film réussi est un aboutissement, mais un film inachevé est un rêve éternel. Dans Jodorowsky’s Dune comme dans Lost in La Mancha, des réalisateurs s’emploient à nous livrer ce qui aurait pu se perdre dans un trou noir de l’univers création, des chefs d’œuvres inachevés. Ces récits croisés entre les techniciens, les acteurs, réalisateurs, brillamment narrés par un montage et une mise en scène qui joue à révéler ici et à suggérer là, nous rappellent ce fait essentiel : derrière tout film il y a d’abord une envie, d’abord transmise oralement, comme les récits depuis la nuit des temps. Alors n’hésitez plus, rejoignez l’aventure dans les traces du grand maître spirituel, soyez, non pas ce spectateur averti, mais ce guerrier de l’art au désir inextinguible d’aventure et d’éternel. Soyez un guerrier spirituel.

Frank Pavitch, Jodorowsky’s Dune, France/USA, 2013, 87 mn, Disponible sur Arte jusqu’au 16/03/2019 — Voir la bande annonce
(Les citations sont issues du documentaire)

Affiche originale de Dune, 1975