Écrire l’espace : de Stéphane Bouquet à Célia Houdart (Festival « Enjeux du contemporain 12 »)

Célia Houdart Villa Crimée © éditions P.O.L

Occuper l’espace, le phraser, le forer depuis la langue – et donner à interroger non le monde mais ses représentations : telles seraient les questions qui viendraient à se dire en cette après-midi du vendredi à la 12e éditions des Enjeux contemporains. « Sous influences : de l’art dans la littérature » offre quatre rencontres où il sera largement question d’occupation de l’espace, qu’il s’agisse de tracer des mots depuis la danse, qu’il s’agisse de faire se répondre la page d’un roman avec la planche de bande dessinée ou qu’il s’agisse encore aussi bien d’interroger la mise en œuvre de l’architecture : son ouvroir de fiction, son potentiel à poser la question politique au cœur de la littérature.

C’est par notamment la danse que s’ouvre la première rencontre qui réunit Sabine Macher et Stéphane Bouquet ou comment décidément phraser l’espace depuis le corps qui danse. À commencer par Sabine Macher qui, dès les années 1980, s’est fait connaître par un double parcours d’interprète et de chorégraphe et qui, parallèlement, est l’auteure de pièces radiophoniques. Chez Macher, la danse devient l’écriture du sensible, comme un moment d’échange précis et inouï où la danse ne cesse de faire des allées et venues dans l’écriture et où l’écriture ne cesse de faire des allers et venues dans la danse même, comme si la danse pouvait se donner comme l’intime respiration de l’écrit et l’écrit l’invisible respiration de la danse : le tracé parfois au bord de ne pas être tracé. Peut-être est-ce dans un sens résolument politique que résonne la danse pour Stéphane Bouquet. Le poète, auteur notamment d’Un monde existe ou encore de Vie Commune, conçoit la danse comme l’espace nu de la fraternité et de la sororité : interprète et collaborateur de Mathilde Monnier, il a déployé le temps de la danse et dans la densité nue du poème l’espace nu de la communauté, celles des frères dont le mot ne serait plus le mot mais la danse : c’est-à-dire un tracé qui serait le langage moins le langage lui-même.

Sans doute est-ce l’espace de la page, sa matérialité et sa plasticité qui font se rencontrer les œuvres de Lancelot Hamelin et de Patrick Roegiers dans le deuxième dialogue de cette après-midi. L’un et l’autre ne cessent, dans leurs œuvres respectives, de questionner la place de la bande dessinée mais aussi bien la manière dont la page romanesque ne sort pas indemne de la bande dessinée et la bande dessinée s’emporte dans le roman. De fait, Lancelot Hamelin se donne comme à la croisée des deux arts dans une plasticité qui conduit à considérer l’expression de « roman graphique » aussi bien pour ses œuvres romanesques que pour ses bandes dessinées. Les influences ne cessent d’être réciproques d’une œuvre l’autre – comme le montre aussi bien le travail de Patrick Roegiers qui, depuis ses romans, offre la bande dessinée comme horizon romanesque même, Tintin et Hergé sortant de l’image pour venir hanter le roman lui-même dans un élan plastique au cœur duquel l’écriture devient le trait clair du dessin.

 

Et si l’architecture dessinait un destin politique ? Telle serait la question qui ne manquerait pas de se poser à la lecture du nom des deux auteures réunies lors de la troisième discussion : Fanny Taillandier et Laurence Cossé. Toutes deux se saisissent de l’architecture pour y déployer une réflexion sur la vie des hommes qui s’y mêlent et qui donne à chacun son mode d’être et sa manière d’habiter le monde. A commencer sans doute par Fanny Taillandier dont Par les écrans du monde constitue l’un des meilleurs romans de 2018, où l’architecture des hommes, les tours jumelles du World Trade Center s’effondrent dans l’attentat du 11-Septembre 2001 : en quelques secondes s’évanouissent les promesses factices d’un vivre ensemble. Ce n’est pas d’effondrement dont traite, en revanche, comme en contrepoint, Laurence Cossé dans La Grande Arche qui évoque la construction de l’Arche de la Défense. L’architecture est l’écriture d’un homme, celui ici de Johan Otto von Spreckelsen, un architecte danois très secret, professeur aux Beaux-Arts de Copenhague.

Enfin l’après-midi se clôt sur un autre aperçu de la question plastique en littérature en compagnie de Célia Houdart et de Katy Couprie. A commencer par Célia Houdart qui, depuis 2007, avec Les Merveilles du monde jusqu’à Villa Crimée déploie une écriture qui, à chaque récit, sonde un art et en évoque les délinéaments et les fragilités du sensible. Photo, sculpture, opéra mais aussi et surtout architecture : chacun de ces arts infuse dans l’écriture pour y dévoiler l’énergie feutrée et prismatique du sensible. C’est à cette pluralité que se livre la carrière de Katy Couprie qui est peintre, graveur, illustratrice et photographe. Comme le disait Walter Benjamin en son temps, il n’existe pas d’éclatement des genres mais un continuum des formes comme les pratiques multiples mais en vérité unique de Katy Couprie le démontrent avec force et vigueur.

Vendredi 25 janvier, après-midi
Théâtre du Vieux-Colombier 21, rue du Vieux Colombier 75005
13h30-14h15 : Sabine Macher, Stéphane Bouquet avec Alain Nicolas
14h15-15h00 : Lancelot Hamelin, Patrick Roegiers avec Johan Faerber
15h15-16h00 : Fanny Taillandier, Laurence Cossé avec Claude Eveno
16h00-16h45 : Célia Houdart, Katy Couprie avec Céclie Dutheil de La Rochère.