Sage comme une image? De Pacôme Thiellement à Pierre Alferi (Festival « Enjeux contemporains 12 »)

Yves Ravey © Ludovic Laude/éditions de Minuit

L’écriture ne tient pas en place : d’emblée, elle refuse, par l’image, de se tenir sage comme une image. Peut-être est-elle avant tout une traversée depuis le langage d’une expérience du sensible dont le mot d’écriture et le mot d’image tentent de livrer la fragile et intime singularité sans parvenir à l’épuiser tout à fait – l’obligeant à trouver une plasticité toujours neuve. Sage comme une image, telle ne sera pas sans doute l’après-midi du jeudi aux Enjeux du contemporain car, à parler de friction des Arts dans la littérature, il y a fort à parier que l’image et l’écriture en ressortiront nourries l’une de l’autre à la manière d’un métamorphisme – ou d’une métamorphose conjointe.

Peut-être est-ce sous le signe de cette image qui peut dire et de ce Dire qui peut faire image que la première rencontre du jeudi après-midi va se placer avec Perrine Le Querrec et Gilles Weinzaepflen. De fait, de Coups de ciseaux jusqu’à Rouge Pute en passant notamment par La Ritournelle, imager les mots pour Perrine Le Querrec consiste à savoir combien il s’agit d’opérer depuis une somme d’images qui ont sédimenté en soi. Il n’existe pas d’avant de l’image, pas d’avant de la phrase : tout procède d’une archive continue, comme une mer charriant des images et des paroles dont il s’agit de se saisir comme retombée par retombée. L’œuvre procède alors littéralement par montages et coups de ciseaux dans un vivant qui se propose avant comme masse imagée du vivant lui-même.

C’est à la même force du Visible que se rend l’œuvre de Gilles Weinzaepflen qui fait de l’image et des arts une force de translation de sa propre parole. Qu’il s’agisse de ses poèmes dans L’Égalité des signes ou bien de ses documentaires comme La Poésie s’appelle reviens, les arts deviennent une seule et même matière au cœur de laquelle Gilles Weinzaepflen puise pour trouver à alimenter une force créatrice continue dont la pluralité s’impose comme un terme n’épuisant pas la richesse – poésie s’imposant sans doute davantage comme ce qui pose au cœur de la parole une dynamique qui admet l’impossibilité à se tenir dans un genre, c’est-à-dire politiquement à une place assignée que le poème refuse.

La rencontre suivante, dans ce jeudi après-midi, convie Pierre Alferi et Michel Deutsch autour de la question de ce qui, décidément, image la phrase. De la Revue de littérature générale jusqu’au récent Hors sol jusqu’au magistral Chercher une phrase, Alferi interroge, ce qui par l’image, donne à la phrase son continuum générique d’un poème l’autre, d’un cinéma des familles l’autre. L’image cinématographique s’y tient comme la matière même de ce qui va produire la plasticité de la phrase, va lui donner ce qu’elle cherche à tout prix, à savoir le moyen d’accéder à l’accélération ultime du vivant – cet instant où l’image et le dire se fonde pour devenir une image qui n’appartient plus ni au cinéma ni à la littérature. Nul doute que Pierre Alferi ne manquera alors pas d’échanger avec Michel Deutsch qui, dans son œuvre dramaturgique et poétique, ne manque pas à son tour de questionner les arts et la place de l’image sur scène et sur la page. Dire en passe par tous les états du verbe, par tous les états du dire, par la science d’un visible qui peut en passer tour à tour par la musique, le cinéma ou le roman. L’image est une puissance plastique qui traverse comme une force l’écrit qui vient.

C’est précisément vers les arts plastiques que se dirige la suite de l’après-midi avec notamment Maryline Desbiolles et Yves Ravey. A commencer par Maryline Desbiolles dont le trajet d’écriture ne se nourrit pas seulement de l’art mais procède depuis l’art, depuis notamment la puissance plastique de la sculpture et de la peinture. Si elle a pu écrire entre autres sur Rodin, Maryline Desbiolles l’affirme sans détours : on écrit pour voir. On écrit pour accéder à la strate de visibilité du monde. L’écriture de Desbiolles se met en quête du chromatisme du monde depuis l’art tant la peinture notamment révèle à l’écriture le visible auquel elle doit tendre.

Nul doute que l’échange avec Yves Ravey ne manquera pas d’être riche puisque l’écriture qui se donne à lire chez lui émane de la même manière d’un imaginaire qui emprunte aux romans noirs. De Bambi bar jusqu’à Cutter en passant par Trois jours chez ma tante, l’essentiel de l’écriture de Ravey consiste à poser, au cœur de son dire, une double image : celle à la fois, durcie et joueuse, des romans noirs, de la représentation qui s’en tisse dans l’esprit du lecteur ; mais celle, également, des films noirs dont les romans noirs eux-mêmes s’inspirent largement. L’art est dans l’art, dans un mouvement de spirale qui emporte l’écriture dans une narration qui doit autant au cinéma qu’à l’image qu’on s’en forme.

Enfin la journée se clôt sur un échange entre Bertrand Mandico et Pacôme Thiellement. Le cinéaste, Mandico, viendra parler de son univers baroque et de la splendeur neuve et inventive de son premier film, Les Garçons sauvages qui a enthousiasmé Pacôme Thiellement. L’essayiste à la culture pop et exigeante, auteur notamment du remarquable La Victoire des sans-rois, viendra nourrir la discussion de ses analyses nourries de la filmographie de David Lynch et notamment du magnétique et labyrinthe Twin Peaks. La journée prend fin alors avec le Collectif Bern ist überall en compagnie de Laurence Boissier, Antoine Jaccoud et Christian Brantschen.

Jeudi 24 janvier après-midi
Nanterre Université, 200 avenue de la République 92000 Nanterre
Bâtiment B « Grappin », Salle de conférence et des Conseils,
14h30-15h15 : Perrine Le Querrec, Gilles Weinzaepflen avec Jean-Marc Moura
15h15-16h00 : Pierre Alferi, Michel Deutsch avec Wolfgang Asholt
16h00-16h45 : Maryline Desbiolles, Yves Ravey avec Jean Kaempfer
17h00-17h45 : Bertrand Mandico avec Pacôme Thiellement
17h45-18h00 : Collectif Bern ist überall