Bonne année mon QI !

© DK

Fin 2018, j’étais las. Cela faisait des semaines que j’essayais de rationaliser, de réfléchir, de dépasser le stade émotionnel qui fait réagir promptement et écrire des inepties en moins de temps qu’il n’en faut à Donald Trump pour commettre un tweet imbécile pris pour un communiqué de presse de la Maison Blanche par une moitié de la planète et pour une nouvelle raison de moquer la baderne américaine par la seconde. J’étais fatigué au point de retarder le moment où j’écrirais ce texte définitif et prétentieux qui aurait valeur de leçon (du moins dans mon esprit chagrin).
Si j’étais intelligent, il y a belle lurette que j’aurais cessé de publier des posts sur les réseaux dits sociaux (mais qui ne sont que les sommes d’individualismes forcenés). Si je ne l’étais pas, il y a des lustres que j’aurais arrêté de ruminer et de réfléchir à une quelconque amélioration de la condition humaine et commencé à écouter les sirènes populistes. Qui sont tout de même bien pratiques quand il s’agit de réduire des questions cruciales à des slogans de campagne mensongers, à des promesses électorales intenables et des conceptions de la vie en société qui ont le parfum des remugles qu’on ne pensait pas voir ressurgir.

Je ne sais plus qui de Guillaume Musso ou Harlan Coben a dit « on écrit toujours le même livre », mais je pense que c’est avec raison qu’il a eu cet éclair de lucidité au moment d’écrire un incipit qui ne resterait pas dans les anales de l’histoire littéraire mais stagnerait en tête des ventes et de gondoles entre la Saint Nicolas et la galette des Rois. Car j’en suis là aussi : j’écris régulièrement les mêmes choses (jusqu’au titre de cette chronique), manifestation d’obsessions récurrentes, expression de pathologies mal soignées. En relisant mes archives – vaine tentative pour trouver l’inspiration dans la mémoire froide d’un ordinateur qui chauffe dangereusement depuis la mise à jour de son OS –, j’ai ainsi pu constater que j’avais écrit mot pour mot les lignes qui précèdent le 22 décembre 2012, le 15 janvier 2015 et le 14 février 1993. C’est vous dire si : 1. je suis conservateur ; 2. ma capacité d’innovation est proche de la température de solidification de l’eau gazeuse. N’ayant pas osé mettre à la corbeille ces écrits datés, je me suis retrouvé à m’auto-commenter dans un élan de narcissisme qui confine à l’égotisme.

Pourtant, quand je succombe à l’optimisme (ce qui est de plus en plus rare tant l’époque et l’état du monde m’empêchent de baigner benoîtement dans l’allégresse inconséquente), je me dis avec orgueil que j’avais déjà de très bonnes raisons d’exprimer mes colères d’alors ou mes critiques du moment. Ça s’est peut-être vu, mais il m’est même arrivé de réutiliser ces textes passés, changeant un ou deux noms, une ou deux références hors d’âge et de propos, bidouillant une virgule par-ci corrigeant une faute de grammaire par-là, pour resservir sans vergogne mes convictions plus ou moins profondes et étancher ma soif de pointer la bêtise universelle en même temps que ma graphomanie.

Comme chaque année à la même période, j’ai donc relu toute honte bue les chroniques qui commençaient par « je n’aime pas les bilans de fin d’année » ou « comme chaque année à la même période »… et logiquement, j‘ai retrouvé ce qui me trottait dans la tête en 2011 et que j’essayais déjà de rationaliser, pour réfléchir, pour dépasser le stade émotionnel qui faisait réagir promptement et écrire des inepties en moins de temps qu’il n’en fallait à Nicolas Sarkozy pour commettre un débat sur l’identité nationale pris pour une gesticulation supplémentaire de l’Élysée par une moitié de la planète politique et pour une nouvelle raison de moquer la présidence française par la seconde.

Cette fin d’année 2018 n’a pas échappé à la règle. Je me suis surpris – suis-je ballot et cabotin – à replonger dans mes affres molles en même temps que dans le disque dur de mon PC. Entre autres perles dont je me satisfais aujourd’hui sans modestie aucune, j’ai exhumé des péroraisons sur des sujets divers (l’environnement, l’intelligence artificielle, les différences entre l’homme et l’animal, la technologisation à outrance, l’actualité et les commentateurs professionnels, les bas du front national de Marine Le Pen et la flatulence insoumise de Jean-Luc Mélenchon, l’appareil à raclée du PS, le tous pourris (lui inclus) de Nicolas Dupont-Aignan, le fabuliste Laurent (hashtag mytho) Wauquiez, la Macronie aux ordres d’En Marche…). J’ai été tenté de réutiliser l’accroche qui disait que « ce qui distingue l’homme de l’animal est purement anatomique : la faculté de se mouvoir sur ses membres postérieurs quand d’autres espèces terrestres déambulent à quatre pattes de manière ridicule, la croupe au vent offerte aux regards et à la truffe de congénères ravis ; et des pouces préhensiles qui autorisent la pratique des sms ou de l’autostop là où les bêtes doivent se contenter de marcher, galoper, ramper ou attendre le bus 43 pour pouvoir rentrer chez eux. » Avant de me raviser et de tomber sur cette saillie qui m’a rappelé ma triste condition : « ce qui distinguerait l’homme de l’arthropode, du moineau domestique ou du gardien de square, serait aussi la conscience qu’il a de ses actes. »

Ah la conscience ! Cette faculté pas donnée à tout le monde de mesurer l’étendue de son propre désespoir. Ce signe d’un intellect pas encore avachi par des heures de visionnage d’émissions de télé-réalité, des pastilles YouTube de Jacline Mouraud ou d’écoute d’avis d’« experts » en plateau sur les chaînes d’infos en continu chez les Praud, Pujadas ou autres « grandes gueules ». Cette capacité à réfléchir, à dépasser le stade émotionnel qui fait réagir promptement et écrire des inepties en moins de temps qu’il n’en faut à Emmanuel Macron pour commanditer un débat autour du référendum d’initiative citoyenne pris pour une avancée démocratique par une moitié des gilets jaunes, l’autre moitié se moquant comme de son premier rond-point de la provenance suspecte d’une telle idée.

En définitive, en me relisant à l’aune d’un vague regard rétrospectif porté sur cette année qui s’est terminée dans la joie revendicative des porteurs de gilets de haute visibilité et la bonne humeur gouvernementale d’avoir distribué largesses et pognon de dingue avant les étrennes et à crédit, je me dis que ma fatigue était somme toute compréhensible. Du moins le pensais-je avant d’initier ce texte. « Comme chaque année à la même période », je me suis dit que « je n’aime pas les bilans de fin d’année » mais j’en arrivais toujours à la même conclusion : notre époque est une insulte permanente à l’intelligence. Je pourrais comprendre si l’humanité avait le QI des gastéropodes marins qu’elle éradique consciencieusement en jetant un peu plus de pailles et de tongs en plastique dans les océans chaque saison. Mais non, elle est douée de raison et possède peu ou prou un quotient qui avoisine le numéro du département du Val d’Oise là où certains harangueurs professionnels essaient de maintenir l’intelligence de leur électorat au niveau de celui de la Creuse.

Alors après avoir refermé la page 2018 pour ouvrir celle de 2019 (ce qui ne change pas la face du monde, vous l’aurez compris), je fais le vœu de ne pas avoir à revenir à la même heure et au même endroit vous (re)dire exactement la même chose ; je formule le souhait de voir les vessies politiques cesser de nous prendre pour des lanternes.

Cela dit, je conserve précieusement une copie de cette chronique.

Au cas où.

Bonne année.

oh © Christine Marcandier