Qiu Xiaolong : Shanghai sur crime (Chine, retiens ton souffle)

© Dominique Bry

Sale temps pour l’inspecteur principal Chen Cao. En légère disgrâce après des prises de position qui ont pu froisser les instances dirigeantes du Parti, le policier, traducteur et poète à ses heures, se voit confier une mission qui fait resurgir démons du passé et jette un voile trouble sur le futur. Avec Chine, retiens ton souffle, Qiu Xiaolong livre un polar gigogne sur fond de combat pour l’écologie et de lutte entre l’intime et le collectif.

Depuis Mort d’une héroïne rouge, le héros de Qiu Xiaolong s’est imposé comme la figure d’une Chine en pleine transformation. Chen Cao est un policier intègre au service du Parti et membre de la société des écrivains, qui aime à citer les poètes disparus et doit souvent composer avec l’inertie bureaucratique et les non-dits des hiérarques.

© Dominique Bry

De nos jours, alors que Shanghai est à son tour gagnée par la pollution atmosphérique, signe et conséquence de l’expansion à marche forcée de l’Empire du Milieu au détriment de toute conscience écologique, il semble qu’un criminel profite du smog shanghaïen pour perpétrer des meurtres en toute impunité. Désemparées, les autorités ont confié l’enquête à l’Inspecteur Qin, sous la responsabilité du Secrétaire du Parti Li, et « invité » l’inspecteur principal Chen Cao et son assistant Yu à participer à ce qui n’est pas encore une chasse au serial killer. D’autant que la Sécurité Intérieure (i.e. la police politique) ne tarde pas à intervenir pour écarter toute tentation de voir dans cette série de morts violentes le signe (impensable) d’une Chine rattrapée par les perversions occidentales.

© Dominique Bry

Onzième opus de la série Chen Cao, Chine, retiens ton souffle porte la marque d’un auteur qui puise dans son histoire personnelle pour mieux livrer sur le papier sa vision de la Chine d’aujourd’hui : le père de Qiu Xiaolong a été victime des Gardes Rouges pendant la révolution culturelle et interdit d’études. Chen Cao a fait partie des « jeunes instruits » envoyés à la campagne par le parti communiste pour rééducation, il a étudié l’anglais d’abord en cachette puis avec l’aval du pouvoir… Qiu Xiaolong use de cette porosité pour croiser intime et collectif comme intrigue policière et politique, pour parler de l’évolution de la société chinoise, pointer la corruption, la mainmise du pouvoir central,  et analyser des questions sociétales (internet, censure, nourriture, transport, logement, santé…).

Mais tandis que les crimes ne sont toujours pas résolus malgré les efforts de la police pour trouver rapidement un coupable quel qu’il soit (si possible celui qui arrangera tout le monde), Chen Cao se voit confier une mission de surveillance qui va le forcer à s’interroger plus qu’il ne l’aurait souhaité et le ramener quelques années en arrière. Le camarade Zhao lui demande en effet d’enquêter sur une activiste de la cause écologique, menace potentielle pour le pouvoir et ex-amour de l’inspecteur principal, rencontrée alors qu’il se battait contre Les Courants fourbes du lac Tai.

Shikumen de la vieille ville (Shanghai) © Dominique Bry

Creusant la question de la pollution pour les besoins de sa mission, Chen Cao va découvrir une fois de plus combien il faut avancer avec prudence dans une société qui tend à passer sous silence les vérités qui dérangent et desservent l’intérêt du peuple. Après Pékin, Canton et bien d’autres grandes villes, Shanghai est en proie à un brouillard de pollution de plus en plus dense et problématique. Les maladies respiratoires sont devenues le lot quotidien des habitants de la perle de l’Orient ; du quartier de Pudong (vitrine technologique et symbole de la réussite économique à la chinoise) aux shikumen de la vieille ville, les habitants portent des masques censés les protéger des particules fines dont les autorités minimisent les seuils acceptables et les effets à long terme.

Roman policier à l’heure des grandes préoccupations d’aujourd’hui, Chine, retiens ton souffle est un polar à deux vitesses, avec des enquêtes parallèles qui en commun la question écologique. Dans l’ombre, Chen Cao assiste Yu pour collecter les preuves et interpréter les indices : les masques retrouvés à côté de chaque victime sont-ils la signature du serial killer ou s’agit-il d’une simple coïncidence dans ce Shanghai étouffant ? En proie à un questionnement incessant (sur lui-même, sur son poste, sur son avenir au sein du Parti), l’inspecteur principal vivra des moments difficiles, jusqu’à la résolution de l’enquête.

© Dominique Bry

Avec en toile de fond, la vision d’un auteur sur son pays, sur sa ville natale, sur les tournants pris, sur les choix et les conséquences des politiques successives, Chine, retiens ton souffle est un polar aux fortes implications écologistes au cœur d’un pays qui s’éveille chaque jour un peu plus dans des brumes incertaines.

Qiu Xiaolong, Chine, retiens ton souffle, traduit de l’anglais (États-Unis) par Adélaïde Pralon, éditions Liana Levi, octobre 2018, 256 p., 19 € — Lire un extrait