Jim and Gondry : Kidding

Ginger Gonzaga, Jim Carrey © Erica Parise/Showtime

On se souvient tous (ou presque) d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004). Michel Gondry avait donné à Jim Carrey l’un de ses plus beaux rôles, celui d’un amoureux au coeur brisé cherchant à effacer son amour déçu de sa mémoire. Depuis le 9 septembre 2018, les deux hommes sont de retour avec un projet tout aussi passionnant et étrange, Kidding. Ce lundi 15 octobre, nous découvrions l’épisode 6/10 sur Canal, l’occasion de faire un point de presque mi-saison.

Dans cette série crée par Dave Holstein, Mr Jeff Pickles (Jim Carrey), célèbre animateur de télévision pour enfants, aimé de tous, lutte pour survivre à la mort de son fils, Phil (Cole Allen) tué dans un accident de voiture alors que sa mère, Jill (Judy Greer) conduisait. Absent de cet accident, Jeff Pickles se voit rejeté par sa femme, qui porte la culpabilité de ce décès et ne réussit plus à le regarder en face, tellement elle croit voir dans ses yeux le reproche constant de leur enfant perdu. Leur autre fils, Will (Cole Allen également), jumeau de Phil, souffre de sa ressemblance avec son défunt frère, et se cherche à travers son souvenir, en empruntant sa personnalité rebelle pour vivre la vie que ce frère avait laissée en suspens.

La vie personnelle de Jeff Pickles, faite de la douleur de la perte et de tentations morbides menace dangereusement de verser dans sa vie professionnelle, monde de l’enfance et de la bienveillance où son rôle de présentateur le cantonne à un personnage de poupée immuable de show télé, proche des marionnettes qu’il utilise dans ses émissions, poli et drôle, asexué. Ces deux aspects de Pickles désormais incompatibles dessinent un personnage duplice toujours à la limite de l’explosion. Le sordide du monde adulte et les tourments de la perte viennent assaillir cet homme gentil et simple qui s’enfonce toujours plus loin dans les ténèbres.

Kidding © Paul Sarkis/Showtime

Bien que l’on vienne de dépasser la mi-saison Kidding continue de prendre son temps et la série voit son motif se déplacer toujours un peu plus : si jamais Pickles résiste jusqu’au bout aux tentations obscures qui lui courent sur les os, alors nous aurons une série sur la possibilité de rester un chic type même dans les pires malheurs, même dans un monde hostile. S’il dérape complètement, ce sera une fable sur l’absurde agressivité du monde, qui transforme ses sujets les plus dociles en monstres. Mais qu’il s’agisse de l’un, de l’autre, ou que ces deux personnalités subsistent dans un ballet schizophrène, nous pouvons déjà dire que Kidding, en prenant son temps, joue avec nos nerfs de spectateurs inquiets. La violence latente, éveillée par sursauts épisodiques, n’est en fait pas le vrai sujet. Elle est traitée de façon légèrement distante, comme pour ne pas choquer, bien qu’on ait tout de même droit à quelques scènes détonantes, cependant la violence véritable réside davantage dans les paroles, les “vilains mots”, les comportements grossiers, dégradants, affligeants d’humanité des personnages en proie à des motifs viscéraux qui les dépassent. L’envers du décor télévisuel.

La série prend plaisir à structurer son intrigue à développer les thèmes du double, des opposés, des miroirs : Pickels est en proie à un syndrome de Jekyll et Hyde, opposés par des indications d’éclairages, l’un tout en lumière irradiante, l’autre en ténèbres enveloppantes ; le jeune Will s’avance dans la voie de la marge pour ressembler à son frère, ce qui sousentend que lui était le “gentil garçon” des deux ; la sœur de Jeff Pickels, Deirdre (Catherine Keener), au moment du divorce de leurs parents a choisi d’affronter la réalité en face, quand son frère s’est réfugié dans la fantaisie ; elle projette sur sa jeune fille ses propres angoisses et la tient coupable de ne pas divorcer d’avec son mari infidèle pour ne pas avoir à lui faire subir ce qu’elle a elle-même subi étant enfant ; Jeff Pickels est confronté à son propre double sous forme de marionnette ; son père (Frank Langella) pleure sur l’absence de son ex-femme, sa moitié perdue.

Kidding (Catherine Keener, Frank Langella) © Erica Parise/Showtime

La réalisation partagée de Gondry et de Jake Schrier (épisodes 3 et 4) est fine est mesurée. Sans déversement ostentatoire elle capture son auditoire, tantôt doucement féerique, tantôt gentiment aliénée. Elle donne lieu à des scènes intéressantes, comme ce champ-contrechamp sur des chaussures pour illustrer un dialogue entre Pickles et son amie dans un restaurant. Jim Carrey excelle dans ce rôle dramatique qui n’est pas sans évoquer (dans un genre bien différent) sa performance dans le biopic Man on the Moon (Milos Forman), où il incarnait le comédien lunaire et provocateur Andy Kaufman, passé maître dans l’art des happening-canulards, qui prenait plaisir à nourrir des émotions contradictoires ou inédites chez son public. Jim and Andy (Chris Smith), un documentaire sur le tournage de Man on the Moon, avait fait beaucoup parler de lui avant même sa sortie, et sur internet certains le qualifiaient déjà de gag à la Andy Kaufman, dans une démarche semblable à celle de Joaquin Phénix qui fit croire à sa reconversion dans le rap pour le documentaire fictionnel I’m still here de Casey Affleck. Jim and Andy racontait l’implication délirante de Jim Carrey sur le tournage de Man on the Moon, où il restait jour et nuit dans la peau de son personnage, obligeant Milos Forman à supplier Andy (et donc Jim Carrey jouant Andy) de bien vouloir demander à Jim Carrey de venir le voir le lendemain parce qu’il fallait à tout pris qu’il lui parle.

Pas besoin d’en rajouter, si ça n’est pas déjà fait il faut voir Man on the Moon et Jim et Andy dans la foulée. Et Kidding.

Kidding, série créée par Dave Holstein (2018), réalisée par Michel Gondry saison 1 (10 épisodes de 30 mn) Avec Jim Carrey, Frank Langella, Judy Greer, Catherine Keener. Diffusion d’un épisode par semaine sur Canal+ Séries, le mardi à 22 h 40, à partir du 11 septembre , disponible à la demande/MyCanal.

Jim and Andy: The Great Beyond, Chris Smith, documentaire (2017), 1 h33