« Ceux qui ne prennent pas parti maintenant seront coupables à jamais » : Nous sommes avec Roberto Saviano

L’ignoble interdiction d’accoster en Italie imposée au navire Aquarius qui transportait 629 personnes dont plus de 100 enfants, dictée par le ministre de l’Intérieur Matteo Salvini, a déclenché de nombreuses réactions. Si l’entourage du Président de la République française et Emmanuel Macron lui-même ont manifesté du mépris vis-à-vis de cet acte sans pouvoir véritablement s’enorgueillir de la politique migratoire pratiquée en France, d’autres voix peuvent en revanche se dresser à juste titre pour contester la mauvaise gestion de cette politique et alerter l’opinion publique.

Roberto Saviano est l’auteur du livre Gomorra publié en 2006, un témoignage-dénonciation des systèmes mafieux qui tenaillent l’Italie qui lui a valu des menaces de mort du clan des Casalesi, la mafia napolitaine. Il s’est insurgé contre cette interdiction dans les pages des quotidiens La Repubblica, Il Corriere della Sera, dans l’hebdomadaire L’Espresso ainsi que dans la presse étrangère (The Guardian, Le Monde). Pour avoir rappelé à Matteo Salvini le droit des minorités, le devoir de secours en mer, la nécessité de régulariser les immigrés déjà sur le territoire et qui travaillent souvent dans des conditions difficiles, Saviano a été menacé par le Ministre de l’Intérieur. Ce dernier, invité le 21 juin 2018 dans une émission sur la télévision publique RAI 3, a menacé l’auteur de lui retirer la protection policière dont il bénéficie depuis 12 ans. Une protection bien sûr nécessaire.

Voilà ce qui inspire le nouveau ministre de l’Intérieur qui a décidé dans la foulée de recenser tous les Roms, de retirer le droit d’accoster en Italie à tout navire des ONG, et qui, suite à sa visite en Libye de ce week-end, déclare que les centres de rétention de ce pays sont « à l’avant-garde ». Le déni de reconnaissance des prisons-lagers libyennes est très dangereux et évoque aussitôt une analogie néfaste. C’est l’extrême droite qui règne en Italie avec le M5S qui partage ces aberrations fascistes, les deux partis ayant signé un contrat qui prévoit un durcissement de la politique migratoire. C’est à Di Maio du M5S que l’on doit l’expression « taxis de la Méditerranée » pour qualifier les ONG vis-à-vis desquelles il ne cesse de se montrer sceptique quant au bien-fondé de leur activité. Et il fallait s’attendre à ce que la Ligue en particulier (anciennement Ligue du Nord) — qui depuis sa création en 1989 professe des propos racistes à l’encontre même des Italiens du Sud demandant l’indépendance de la Padania (un espace qui n’existe pas mais qui était censé représenter le Nord de l’Italie) —, continue sa marche de l’intolérance, de la discrimination et de la violence verbale.

Roberto Saviano ne s’attend certes pas à un mouvement général de solidarité envers sa personne, il se défend très bien lui-même, il a par ailleurs contre-attaqué l’infâme ministre à travers une vidéo postée sur Facebook. Il déclare que celui-ci, élu en Calabre avec les votes de ceux qu’il a toujours méprisés, n’a étonnamment pas relevé que pendant son meeting politique à Rosarno les hommes des clans Bellocchio et Pesce appartenant à la ‘Ndrangheta, étaient aux premières loges. Et que sa malheureuse remarque sur le bidonville « qui fait la célébrité de Rosarno », était à contextualiser précisément parce que le contrôle du bidonville est dans les mains de cette Mafia. Saviano révèle ensuite les malversations de la Ligue concernant des remboursements électoraux ; il traite Salvini de « bouffon » et le qualifie de « ministre de la pègre », comme déjà l’historien Gaetano Salvemini appelait Giovanni Giolitti (président du conseil italien à cinq reprises, entre 1892 et 1921). Le « ministre de la pègre » est celui qui fait le malheur du Sud. Salvemini, de tendance radicale, est à ce moment le représentant de la masse paysanne du Midi ; dans un essai publié en 1910, il accuse Giolitti de favoriser les intrigues politiques qui laissent l’Italie méridionale volontairement à l’abandon. Il ne sera d’ailleurs pas solidaire avec le prolétariat industriel du Nord. Cette politique du vote de clientélisme continuera à être utilisée en Italie et à nourrir les discours véhéments et ségrégationnistes de la Ligue du Nord, creusant les différences entre les deux rives de la Péninsule.

Diaboliser les minorités, attaquer les droits de la personne, fragiliser les institutions démocratiques, voilà le programme de Matteo Salvini objet d’un consensus de plus en plus large en Italie, même lors du deuxième tour des élections municipales de dimanche dernier, qui a vu des bastions historiquement de gauche tomber dans les mains de l’extrême droite.

C’est précisément face à cet aveuglement de masse, qui est une souffrance de masse, qu’il faut agir. Ne rien espérer d’un vote donné à l’extrême droite de Salvini, il n’y a pas de salut, il n’y a que de l’appauvrissement qui se profile : économique, social, humain, moral, culturel. Se dresser avec Saviano pour dire notre refus aux mesures répressives dictées par le régime de la Ligue et du M5S. Ne soyons pas myopes, pire encore, complices de ces abjections qui conduiront l’Italie à devenir de plus en plus malade. Nous sommes au début de cette dégradation de la santé, après ce sera trop tard. Nos craintes sont justes comme il est juste de secourir un enfant, et il y a plusieurs enfants sur ces navires de la malchance. Ne soyons pas complices de « l’aveugle criminalisation du déshérité, du différent, du clandestin » écrivait Vincenzo Consolo dans son beau texte : « Les Murs d’Europe ».

L’Italie est un pays de migrants : plus de 26 millions d’Italiens quittent leurs campagnes du Nord et du Sud entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, pour tenter leur chance sur d’autres continents. Archaïsmes sociaux, difficultés économiques, tensions politiques font que ce flux a été l’un des plus importants de l’histoire des migrations de l’époque contemporaine. Et les Italiens aussi ont été victimes de peurs xénophobes, leur migration étant perçue comme une invasion et associée à la criminalité, en France ou aux États-Unis. C’est pour cette raison que nous ne devons pas rester silencieux.

Combattons maintenant l’hydre du fascisme salvinien parce qu’il a plusieurs têtes en Europe aussi. Soyons la parole et l’action qui ouvrent et renversent les frontières, qui ouvrent et bouleversent l’avenir : nous sommes tous des migrants clandestins. Nous prenons tous parti maintenant contre l’aberration, sinon nous serons tous coupables à jamais.