Cette phrase et aucun mot
Aucun mot dans cette unique phrase
Une seule phrase et aucun mot il y aurait
Pleine de corps qui n’ont pu être enterrés
Et les bombardements depuis des mois dans la phrase
Il y aurait 340 000 morts dans la phrase
Du silence dans la phrase on entendrait le silence la
Phrase en silence on pourrait entendre le bruit des morts
Il y aurait des gens comme dans une rue
De nombreuses femmes et des enfants
Elles raconteraient comment elles vivent sous terre dans des abris
Et que la nourriture manque –
Charnier de mots sans fin ni commencement d’un
Evénement phrasé à perte de vue
Phrase-fragment jamais prononcée – bruissement
D’un silence les mots, l’oubli et le secret
Un mélange confus de silence dans le monde
Des corps d’hommes qui n’existent plus
Il n’y aurait que les cendres
Jamais écrites
Aujourd’hui cendres et destructions – tout est sombre
– Les cendres sont ce qu’il y a à comprendre
Signes réduits en cendres
Ce qui reste de visages brûlés
C’est-à-dire leur langue et leurs livres –
Tes yeux blafards me regardent près de la porte d’un immeuble tu ne veux pas lâcher ma main
Un de mes amis est mort mais je ne le vois pas
Une blessure au visage saigne
Il y a un avion dans le ciel c’est la nuit
Je note ces mots le mardi 20 février il y a 128 morts
Une femme et ses enfants pleurent
Leurs jambes pendent dans le vide
Certains sont morts sans doute
Il est 03h00 de la nuit
Ne parle pas dans langue
Ne sachant plus parler,
La nuit
Quelqu’un suffoque quand il parle
Tout est sombre, lieu obscur où ça s’écrit
(Aujourd’hui tu articules des mots imitant la voix humaine
Des bruits en un langage qui serait un livre
Jamais écrit, jamais prononcé, et tu brûles le livre
Comme s’il existait, comme si tu existais)
Mémoire de ce qui est arrivé
Le passé s’inscrit chaque minute
Un récit qu’ils ne peuvent pas dire
Un récit qu’ils ne diront pas
Comme les chiens qui se taisent
Leur langue est silence
Maintenant la chambre noire
C’est la nuit
Jaillissent de la terre morte pluies
De printemps racines l’hiver
La neige couvre la terre lorsque
Nous étions enfants j’avais peur les nuits
Des racines s’agrippaient à mon visage
Dans le sable la poussière et je ne pouvais dire
Et je n’étais vivant ni mort
Le vent est verbe la terre noire
Des nuits où je ne parle pas
Parmi les herbes corps sur la terre
Soleil la nuit arrive lentement
Silence sable route
Bouche silence pluie herbe sèche
Le brouillard et l’obscurité
Ciel vide et lune noire silence
Ai-je réellement existé ?
La nuit et le ciel un désert
Chuchote la nuit est interminable
Les rues une question
Brouillard une lampe éteinte
Sans réponse mais pleine de fleurs et de vent –
Pour moi la Méditerranée est un récit à la première personne
Ses portes sont peintes en noir en signe de deuil
Lorsque ma mère est morte
Je ne savais si
Elle était vivante ou morte
C’est ce que le livre raconterait
Images filmées avec un téléphone portable, c’est
Dans mes rêves, ce récit un rêve
Un peuple de fantômes
Ceux dont il ne reste ni survivants ni témoignages disparaissent de l’histoire
Je : marcher dans la rue, la parole pour raconter son histoire
Le vrai nom des choses qui en arabe signifie ceux qui brûlent
Un livre qui répéterait toujours la même phrase ?
Je : bouche immigrée
Je : voix dit Berlin est la dernière ville du désert
Récit sans rien dire
Sans paroles précises dites la nuit
Un exil sans retour possible
Nous sortions la nuit pour trouver de la nourriture dans les poubelles
Notre place réduite à l’inexistence
Aujourd’hui c’est le 12 mars 2018
A Afrin l’aviation turque bombarde la ville
Les avions envoyés par Erdogan pour nous tuer
Les chats et les rats ont mangé la chair des enfants
(Extrait d’un texte en cours)