Une homophobie très ordinaire

Le journal d'Olivier Steiner © Christine Marcandier

Je viens de passer une semaine chez mes parents, à Tarbes. Ce fut une semaine chargée, très belle et bouleversante, j’étais là aussi pour rencontrer certains amis de Guillaume, un garçon que j’ai connu et aimé et qui s’est suicidé, pendu, à 32 ans chez lui à Lannemezan. Mais de ça, pas envie d’en parler dans l’immédiat. Peut-être plus tard, peut-être dans un livre. On verra.

Avant cette semaine à Tarbes il y eut deux jours à Pau, au Théâtre Saint-Louis, deux jours autour de La Reine Margot avec Isabelle Adjani herself venue faire une magnifique lecture et rencontrer le public. Ce fut sublime et elle est plus belle que jamais, ça aussi j’en parlerai plus tard, d’une façon ou d’une autre. La beauté d’Isabelle, qui n’est pas que plastique, doit être racontée.

Ce matin, sur Facebook, je partage la vidéo de Béatrice Dalle et Olivier Ciappa, ils étaient avec quelques artistes et politiques à se réunir au Théâtre de Chaillot pour soutenir le metteur en scène Kirill Serebrennikov, directeur du Théâtre Gogol à Moscou, arrêté pour « propagande homosexuelle » (lire ici l’article du Monde)…

Je pense à la Tchétchénie, ça fait quelques jours qu’on en parle plus, est-ce que l’extermination des homosexuels continue ? Vont-ils arriver à nettoyer la race ? Kadyrov / Poutine : quand l’islamisme tient la main à un régime qui a toute la saveur d’une dictature même s’il emprunte les habits de la démocratie.

Sinon toujours pas vu 120 battements, je vais y aller cette semaine, je suis à Toulouse chez ma sœur. Précisément à Lespinasse. 120 battements, j’ai envie bien sûr, mais ayant parlé du film avec mon amie Lalla Kowska Régnier qui fut une des actrices historiques d’Act Up Paris, j’ai quelques réticences… Puis ils me gavent tous avec Arnaud Valois, j’ai pas envie que le Sida soit sexy ou bogosse, vous voyez ? Arnaud, absolument rien contre toi perso, t’es un super acteur et en plus t’es gentil mais j’en ai marre d’entendre les spectateurs du film sortir de la séance avec ce seul mot à la bouche : « Putain Valois est une bombe »… Bon, j’arrête…

Tout ça pour dire que j’étais à Tarbes la semaine dernière et forcément je suis sorti. « Si vous marchez dehors, à cette heure en ce lieu, c’est que vous désirez quelque chose que vous n’avez pas, et cette chose, moi, je peux vous la fournir », Koltès, La Solitude des champs de coton.

J’ai un amoureux donc je ne cherchais pas l’amour mais je suis quand même sorti, pour voir, par ennui un peu, avec curiosité, pour chercher l’aventure peut-être, vérifier, aller voir les copains, ceux que je ne connais pas encore.

Il ne reste plus qu’un seul lieu de drague à Tarbes, les quais de l’Adour, pas loin de la salle de basket. Tout le monde est sur les sites et les applis, Coco, Grindr, etc. Tout le monde est seul chez soi ou dans sa voiture, c’est un peu triste. La promenade de soir ou de nuit le long de l’Adour, le bruit de l’eau, le miroitement de la lune sur la surface du fleuve parfois impétueux, le mystère des ombres humaines… je suis peut-être un vieux de 40 ans mais c’est tellement plus hot que Salut ça va ? Tu ch quoi ? monté combien ? Pics ? Clean ?

J’ai donc été plusieurs soirs là où ça « fraternise tout nu », comme le fait dire Christophe Honoré à l’un des personnages de sa pièce Fin de l’histoire, j’adore cette expression. Et j’ai rencontré des hommes de tous âges, des moches, des moins moches, des vieux, des moins vieux. A Tarbes, sur un lieu de drague, les mecs se disent bonsoir quand ils se croisent. Je pense à Jacques, si mignon, 84 ans et une santé de fer, qui vit à Lourdes, qui a travaillé toute sa vie dans l’hôtellerie, qui en a connu, du monde et des époques. Jacques, si plein d’énergie, qui entend et voit bien, qui me confia que la libido était toujours là dans le cœur et dans la tête, même si Paupaul ne répond plus. Puis, j’ai rencontré JeanFi, un type adorable, « qui revient de loin », on dit qu’il est un peu débile et c’est vrai qu’il y a un problème chez lui, une sorte de retard, il fait de temps en temps quelques séjours psy. Il fut chasseur alpin et eut un grave accident de ski, coma, etc. Il faillit y passer… C’est à JeanFi que j’ai raconté l’époque que j’avais connue, j’avais 20 ans, y’avait beaucoup beaucoup de monde à l’Adour, beaucoup de voitures et de passants, une petite famille. Donc maintenant ils sont tous sur le net ?
JeanFi me dit que oui, mais qu’il y avait aussi les agressions pour expliquer la désertion. Voitures caillassées ou incendiées, courses poursuite dans les rues de Tarbes et environs, agressions physiques, au couteau. Ils débarquent à 4 ou 5 et te tombent dessus. Jacques m’a raconté qu’un type qui ne faisait que marcher (il ne baisait pas en extérieur, je précise) s’est fait agresser ainsi, ils l’ont totalement déshabillé puis l’ont traîné dans un champ pour le lacérer corps et visage de coups de couteau : coma, il a frôlé la mort. J’ai demandé ce que faisait la police, Jacques m’a dit que c’était mieux qu’avant car avant la police « d’antan » faisait elle aussi partie des ennemis mais qu’il restait une chose : un pédé qui se fait agresser, ça reste un pédé, c’est moins grave qu’un hétéro, quelque part il l’a cherché, on n’en parle pas trop voire pas du tout. Puis Jacques me dit : Le mariage homo c’est bien joli mais c’est dans les grandes villes, ici au fond rien n’a changé.

Il y a quelques jours sur La Nouvelle République des Pyrénées, il y eut un article sur une fille qui n’avait pas payé son billet de train entre Pau et Tarbes. Or, jamais aucun papier sur ces agressions et ces crimes. Pire que ça, il se trouve qu’un campement de gitans (gens du voyage) se trouve pas très loin de cette portion du Quai de l’Adour, alors la rumeur raconte que ce sont eux les responsables des agressions et des coups de couteau. Toujours la même histoire : Les juifs, les roms, les triangle rose…

Mais il n’en est rien, les problèmes, les maux, viennent d’une cité chaude où règne le chômage et l’ennui, le désœuvrement et la précarité, c’est la cité Mouysset à Tarbes, tout le monde le sait.

J’écris aujourd’hui pour Jacques et pour JeanFi et tous les autres, j’en appelle à La nouvelle République des Pyrénées, j’en appelle à monsieur Gérard Trémège, maire de Tarbes, j’en appelle à madame Béatrice Lagarde, préfète des Hautes-Pyrénées, j’en appelle à monsieur Laurent Coindreau, commissaire divisionnaire de Tarbes. L’homophobie est un crime et elle est punie par la loi.

Ce lieu est avant tout un lieu de rencontre, un moyen de lutter contre la solitude, ne pas imaginer que ce n’est qu’un repaire de pervers ou autres détraqués sexuels. Les hétéros peuvent se rencontrer partout, ce n’est pas le cas des homos, surtout en province.

Pour finir une petite histoire vraie. J’étais avec JeanFi sur un des ponts en train de blaguer et de fumer quelques cigarettes, quand un jeune mec est passé : très brun, barbu, mignon et sauvage. JeanFi me dit « fais gaffe, lui ça doit être un gitan, je le connais pas ». Sauf qu’il se trouve que je connais les gitans, les roms, que je connais leur culture, leur histoire (j’ai même un peu de sang gitan dans les veines) aussi je n’ai pas peur. Le jeune brun ténébreux s’est engouffré dans un chemin obscur, de plus en plus loin des lumières de la ville, je l’ai suivi, lentement, avec prudence quand même. Il s’est arrêté dans un coin très sombre, je l’ai rejoint. Voilà. Je peux vous assurer qu’il n’était pas homophobe, en tout cas il ne l’était pas à ce moment-là. Ce fut tendre et chaud, délicieux. Après nous avons parlé, il m’a dit qu’il était gitan, qu’il habitait le campement pas loin. Je lui ai dit qu’ils avaient mauvaise réputation dans la région. Il me répondit : Je sais, ça remonte à loin, c’est les mentalités. Dès qu’il y a des violences on nous accuse mais on n’est pas comme ça, nous, les problèmes viennent de Mouysset, y’a quelques rebeu mais c’est surtout des français. Je dis pas que ma famille aime les homos, on est croyant et c’est compliqué, mais on n’agresse pas les gens comme ça, on a un code d’honneur, nous.