Les choix de Sophie : Jakuta Alikavazovic, L’Avancée de la nuit

L'Avancée de la nuit (détail de la couverture du livre)

Il suffit de lire les premières pages de l’Avancée de la nuit pour savoir qu’on va vivre une expérience littéraire peu commune. Tout d’abord le phrasé de Jakuta Alikavazovic, dense et limpide à la fois, qui s’insinue lentement dans le lecteur comme l’histoire des personnages eux-mêmes, Paul, Amélia, Albers ou Louise.
Mais de quoi est-il question ? De notre monde tel qu’il est, des peurs, des fracas de la guerre, de la folie. Mais la folie n’est peut-être pas là où elle semble, dans un être qui refuse la stabilité, la protection ou l’amour. La folie est peut-être dans les êtres qui pensent vivre en sécurité  ̶  alors qu’au « 21e siècle, nous serons tous dans la sécurité » ̶ , la folie de ceux qui refusent de voir le chaos du monde, accablés par les peurs, réelles ou entretenues.

C’est en tout cas une des réflexions qui me taraude depuis la lecture de ce texte. Un texte qui résiste et se livre à tour de rôle tant la pensée de Jakuta Alikavazovic peut paraître complexe et évidente à la fois. Il faudrait certainement plusieurs lectures pour en approcher la quintessence, mais une seule suffit pour voir la beauté et la perfection d’une langue et l’extrême intelligence du propos. On en ressort joyeux, car convaincu d’avoir fait là un sacré chemin. Un très grand texte.

Extrait : p. 9 : « A l’époque, cela paraissait inconcevable qu’une jeune fille, qu’une étudiante vive à l’hôtel. L’établissement n’avait rien de luxueux ; au contraire, il s’agissait de l’une de ces chaînes qui avaient essaimé, une chaîne américaine ; mais la simple phrase Elle vit à l’hôtel était, en soi, une outrance, un embrasement. Une fille de dix-huit ans dans un hôtel américain. Cette fille de dix-huit ans dans un hôtel américain. Tout le monde pensait qu’elle aurait dû être écrivain, tout le monde sauf elle ; l’écrivain, c’était sa mère, et le fait que sa mère soit morte depuis longtemps ne changeait rien à l’affaire. L’écrivain, c’était sa mère. Elle, Amélia Dehr, était un personnage, et, d’après ce qu’on en voyait, déterminée à le rester. Et si elle en était l’auteur, ou si ce personnage était l’œuvre de quelqu’un d’autre, voilà qui n’était pas sûr, et demeurait à décider. »

Et je retrouverai Jakuta Alikavazovic et son Avancée de la nuit au Livre sur la Place à Nancy le dimanche 10 septembre 2017, pour une table ronde intitulée « L’intime au cœur de l’Histoire », en compagnie de Marc Dugain auteur de Ils vont tuer Robert Kennedy (Gallimard). 11h-12h (Grands salons de L’hôtel de ville), ainsi qu’aux Correspondances de Manosque, le dimanche 24 septembre, à 15 heures, place d’Herbès.

Jakuta Alikavazovic, L’Avancée de la nuit, éd. de l’Olivier, 2017, 288 p., 19 €