No(s) confidence(s) – 18/24

Je me rappelle la rupture : quittant ma posture larmoyante et mon duvet froissé, je regarde le soleil se coucher. La vue ne m’évoque rien. Sinon un intense ordinaire. Une cheminée industrielle crache de la vapeur d’eau, des façades sales aux volets fermés. On dirait un fantôme de ville. Devant ce spectacle hivernal d’une nuit citadine qui tombe sans grâce, je me surprends à vouloir contempler des couchers de soleil exotiques. L’idée saugrenue me vient d’aller contempler des aubes romanesques ailleurs que dans les livres ou sur un écran de télévision.

En pensant à ce que vient de me dire mon ex, je ne peux que lui donner raison. Et je l’en remercie paradoxalement. En moins de cinq minutes, elle a ouvert les vannes de ma tristesse et m’a affranchi, libéré.

Je décide qu’il était temps de partir. De faire seul ce voyage qu’elle a toujours refusé de faire avec moi. Je pense déjà à ces ciels dont j’ai rêvé souvent et que je vais enfin connaître. Je me projette déjà sous des firmaments rougeoyants où la lumière déclinante embrasserait des nuages mordorés. Avec mes maigres références picturales, je mets des couleurs improbables qui n’ont certainement pas leur place, fuyant la réalité (et le réalisme sans aucun doute). Ce n’est qu’une mise en scène. Je m’imagine faire une rencontre sur fond d’océan. Pourquoi un océan ? Un alpage enneigé ou une vallée inondée de verdure ferait tout aussi bien fait l’affaire. Par facilité, je décrète les fruits de mer plus romantiques que la tartiflette. Allez savoir.

Je pourrais alors réécrire l’instant. Il serait simplement beau. Sans chercher à être poétique. Ma solitude balayée comme le sable par un alizé heureux. La mer, les vagues, le clapotis de l’eau, le sel de l’air, l’hôtel et la plage. Des prétextes. La rencontre est improbable et n’aurait sûrement pas lieu. Pour ne pas sombrer dans le mièvre, tandis que je fume à la fenêtre, j’évite de penser que ma tristesse aurait le goût de l’eau en colère, que le bruit hypnotique du ressac me dérangerait, et que mon penchant pour les images commodes est seul responsable.

J’ai soudain le sentiment que mon histoire est d’une banalité sans limites. Les conjectures dans lesquelles je me vautre allègrement depuis que Nathalie a passé la porte de notre maison me font prendre conscience de mon cruel manque d’originalité. Je voudrais avoir une vie extraordinaire. J’en suis loin. Tout cela ressemble fortement à du déjà-vu, du déjà-lu ou entendu. Mais comment faire autrement ? On voudrait que les mots que l’on invente n’aient jamais été utilisés. On se trompe. Tout a déjà été dit. Quelle arrogance de penser vivre des moments uniques qui ne sont en réalité que la même fable usée, une anecdote triviale.

Le jour se lèverait, j’aurais passé la nuit à regarder l’obscurité et à entendre des vagues se briser sur des rochers tristes. J’en serais toujours à penser à cet instant où je descendrais du granit froid, exténué et pourtant très éveillé grâce à cette nouvelle aurore. Me dirigeant vers l’hôtel, je continuerais de fixer la fenêtre. Je guetterais les yeux verts. Une fois à l’intérieur, je demanderais au réceptionniste s’il peut me dire qui est dans la chambre aux rideaux bleus. Il me répondrait que toutes les chambres ont des rideaux bleus. Je lui rétorquerais que peu de chambres sont occupées par des yeux inoubliables que j’aime déjà. Il me répondrait qu’il ne voit pas. Je lui en voudrais sur le moment, jusqu’à l’instant où elle descendrait les marches derrière moi. Je me retournerais et la verrais, interrogative et émue. Sans un mot, je m’avancerais vers elle. Elle viendrait vers moi.

(A suivre)