No(s) confidence(s) – 16/24

Le couple. Vaste sujet. On ne peut jamais réellement dire (ou s’avouer) si l’on s’est installé à deux par amour, par fatalisme, par peur de la solitude, par convention. Je ne parle même pas de ce qui est de se marier. Je risquerais d’être grossier. Je pourrais même aller jusqu’à dire des phrases toutes faites. Ou pire, ce que je pense vraiment.

Comme un sociologue de café-tabac, j’ai théorisé ce qui m’avait fui, cette notion qui m’avait échappé. J’ai ouvert des livres, des manuels, des dictionnaires, des traités de toutes sortes. D’ouvrages scientifiques abscons en best-sellers ineptes qui tentent de convaincre urbi et orbi les nouvelles générations que l’homme et la femme viennent de planètes éloignées, j’ai creusé la question. Pour me voir asséner cette vérité jusque-là ignorée (parce que, béotiens que nous sommes, nous n’avions pas acheté ledit livre à vingt euros aux relents assurément sectaires) : l’homme et la femme sont différents !

J’ai parcouru (je le confesse) un des ces opuscules de salles d’attente. J’y ai lu notamment que le couple était une réunion de variables environnementales, avec moult exemples et graphiques à l’appui, l’auteur affectant un jargon scientifique censé donner foi à des élucubrations et à des analyses plus éculées les une que les autres. Finissant sa démonstration (bien après que j’arrête de lire ce fatras de poncifs prétendument psychologisants), l’auteur arrivait à la conclusion très partiale que le couple est une combinaison d’opérations de calcul mental simples engendrant des conséquences complexes défiant les lois les plus élémentaires de l’arithmétique.

« L’homme et la femme veulent s’additionner pour ne faire qu’un. Ils veulent se multiplier pour vivre leur bonheur pleinement. Ils soustraient leurs qualités personnelles pour s’accorder. Ils finissent par se diviser. »

La véritable question est surtout de savoir comment ne pas se tromper dans l’opération ? Quel facteur a-t-on oublié ? On pose deux et que retient-on ? Refermant le livre (avant de le jeter à la poubelle), j’ai fini par en déduire que le couple était en fait le résultat aléatoire d’une équation à deux inconnus.

Délaissant l’approche matheuse pour m’attacher à une vision moins cartésienne, j’ai alors exhumé mes poèmes de collégien, relu les romantiques, revu une ou deux comédies sentimentales que j’avais refusé catégoriquement de regarder jusque-là. J’ai questionné mes propres croyances (ou ce en quoi je prétendais croire), interrogé ma conception de l’amour et quelques idées reçues (par mail en l’occurrence après m’être inscrit sur le site d’un sexologue matrimonial pointu et on line). J’ai essayé de renverser les rôles. En faisant preuve d’empathie (certes un peu tardivement), j’ai essayé de me mettre à la place de mon ex alors que nous mettions nos vies dans des boites fermées avec du scotch industriel et portant encore les traces de notre emménagement conjoint. On avait d’abord cru à une libération, au fait de ne plus avoir à supporter ces travers de nos personnes que nous détestions silencieusement. A tel point qu’une fois la dernière bribe de vie commune empaquetée (mon alliance en l’occurrence, délicatement remisée dans une vieille boite à thé Mariages Frères), nous ne savions plus à qui donner tort. Je lui ai demandé à quoi elle pensait. Elle m’a répondu qu’il se faisait tard et qu’elle boirait bien un déca.

« L’homme raisonne au présent, la femme au futur. Ensemble, ils ont conjugué leur passé, leur avenir est désormais imparfait. La reconstruction est impérative et la réussite de cette entreprise conditionnelle. Puis, la déception s’installe et les regrets arrivent. Ceux d’un passé avec lequel composer ». J’ai lu cela chez un grammairien célèbre qui s’était piqué d’étude sociétale dans un recueil à l’attention des nouveaux divorcés afin qu’ils ne commettent pas une seconde fois les mêmes erreurs et apprennent à utiliser sujets, verbes et compléments sans ciller et ainsi faire face à ces nouvelles règles syntaxiques.

Selon ce ponte de la linguistique pour les nuls, « le vocabulaire, la conjugaison et les temps changent quand on est seul. Il faut s’habituer à dire je quand on avait l’habitude de dire nous. Il faut réapprendre le singulier et oublier le pluriel. Il faut utiliser le passé pour l’oublier. » Dans sa démonstration,  l’auteur concède que cela demande un effort considérable. L’impact des mots sur la santé mentale de celui ou celle qui les profère quand il s’agit de raconter les dernières vacances du couple à Venise est bien réel. Mais pourquoi Venise d’ailleurs ? Que c’est triste cette ville quand Aznavour y pense.

« Nous avions loué des vélos… Nous avons fait le tour de la ville… Nous avons mangé des penne al arrabiata… ». Nous… A cette simple évocation de la première personne du pluriel, les larmes montent, le cœur se serre. Il se ratatine en repensant à ces nouilles trop cuites savourées à deux avec délectation. Il se flétrit à l’idée de se dire que rien ne sera plus jamais pareil. Les poncifs les plus admirables viennent en tête. On se trouve ridicule et sublime. On ne veut plus revoir seul ce film que l’on avait été voir à deux. On était heureux. On faisait des choses ensemble. On parlait d’avenir. On

Sûrement parce que durant tout ce temps où on était en couple, une partie de soi a été noyée dans le pronom personnel indéfini. On le sait. On n’est pas comme ça. On est un autre. L’utilisation de la troisième personne du singulier rend spectateur de sa propre histoire. Tout devient détachable, neutre et distancié. Comme si c’était le récit de quelque étranger, on sombre dans la facilité et on emprunte des raccourcis. On se saborde la mémoire. Les souvenirs communs sont remplacés par des anecdotes à la troisième personne. Puis à la première. Du singulier. On réécrit l’histoire. Je vais vous raconter. Tout recommence par je dans ce passé nouveau qui procède d’un révisionnisme malsain (quoique parfois salutaire), comme ces photos de couple déchirées par le milieu, où l’on ne voit plus qu’un bras sur une épaule ou une main enserrant une taille.

On ne mesure pas qu’un jour, on détesterait dire nous. Considérant que le couple est le fruit triste d’un hasard heureux, la permanence de cette idée provoque des effets dévastateurs sur les personnalités et sur la manière de vivre ce passage. Comme une règle grammaticale compliquée dont on ne sait pas si l’on doit accorder l’un au genre de l’autre ou au nombre de ceux qui le composent. Ou les deux à la fois.

En cherchant les réponses, j’ai accepté que celles-ci puissent me faire du mal. J’ai accepté de regarder ma vie, nos vies, comme on lit un livre qu’on m’avait conseillé : en prenant le risque de m’ennuyer ferme, en sautant les paragraphes qui dérangent, en commençant par la fin. Et surtout, en n’ayant pas peur de détester le personnage central qui me ressemblait étrangement.

Paul est aujourd’hui convaincu que rien de tout cela n’aurait dû arriver. J’en doute.

(A suivre)