Les jours sans lendemain de France Culture : Hommage à Leili Anvar

Le journal d'Olivier Steiner © Christine Marcandier

Il y eut les Ateliers de la Création Radiophonique (ACR) produits et agencés par Philippe Langlois et Frank Smith, il y eut Les nuits magnétiques et Du jour au lendemain produits et portés par Alain Veinstein, il y eut Les affinités électives de Francesca Isidori, Carnet nomade de Colette Fellous, c’est maintenant Les discussions du soir de Leili Anvar – cette émission était le prolongement des Racines du ciel de Frédéric Lenoir et Leili Anvar – qui sont appelées à disparaître des ondes de France Culture. La nouvelle vient de tomber comme un couperet aussi froid que numérique, on appelle ça un mail de remerciement.

Il y a derrière chaque personne citée ici des talents et des destins différents, des histoires publiques et privées que j’ignore et qui n’appartiennent qu’aux couloirs de la Maison de la Radio, il n’empêche que je les réunis ici, par nostalgie, reconnaissance mais aussi pour rendre hommage et dire merci, bravo. Merci pour les années, les heures, vos dons. Il restera les podcasts !

La direction de la chaîne aura jugé qu’il y a de nos jours d’autres priorités que la spiritualité. A croire que 45 minutes par semaine pour parler, sans obédience ni catéchisme, des sagesses du monde entier, des questions de transcendance, de l’Être, de la conscience, de la foi, de l’âme et du corps, du bien, du mal, des mythes, du beau, du vrai, de la mystique, d’Éros et Thanatos et des grandes traditions spirituelles sont 45 minutes de trop, plus de place pour ces 45 minutes-là, dans nos vies et nos semaines surchargées d’informations.

Et puis c’est vrai quoi, suffit de regarder le monde tel qu’il va et ne va pas, ces questions sont évidemment superflues ??! De qui se moque-t-on ? Comment peut-on arguer cela ? Comment osent-ils ?

Je suis triste, je suis déçu, je ne suis pas sans colère.

Cette heure avec Leili Anvar je l’attendais chaque semaine, il en allait pour moi d’un attachement affectif au charme d’une voix, il en allait également d’une curiosité intellectuelle nourrie et ravivée d’émission en émission.

Je ne crois pas, j’ai besoin d’entendre ceux qui croient. Je crois, j’ai besoin d’entendre ceux qui ne croient pas.

Des Dialogues avec l’Ange à Etty Hillesum en passant par le Tao, le zen, les sagesses indiennes, le père François Cassingena-Trévédy, Bénédictin et immense écrivain, Annick de Souzenelle, Jean Vanier, Françoise Héritier, Arnaud et Denise Desjardins, Michel Cazenave qui fut lui aussi en son temps un très grand homme de radio (on trouve sur le net quelques précieux enregistrements de son émission Des vivants et des dieux), etc., etc., ils et elles sont des dizaines et des dizaines et autant d’univers, il serait fastidieux de nommer tout le monde ici, j’ai tant appris et découvert grâce à cette émission. En dire plus serait impudique, je m’arrête là.

Alors bien sûr, place aux jeunes, à l’innovation, au progrès, aux grilles futures et puis allez puisqu’on y est : « En marche » ! Bien sûr qu’un média doit évoluer, que personne dans le service public n’a vocation à avoir une rente à vie, bien sûr, bien sûr, je ne suis ni un conservateur ni un vieux jeune grincheux.

Ces producteurs de radio que j’ai cités ne sont pas que des voix, ou plutôt elles et ils sont des voix humaines, des présences, c’est-à-dire des artistes, des points de repère, des styles, des langues. Il y a un art de la radio comme il y a un art du cinéma.

Alors voilà, avec Leili Anvar c’est une des voix les plus délicieuses de France Culture qui est sommée de se taire, mais c’est aussi une conscience et une langue qui s’en vont, et c’est toujours une mauvaise nouvelle quand une langue disparaît.

Mais dans la vie c’est ainsi, les ministres les présidents les directeurs et les directrices ont souvent le dernier mot mais ils passent, tandis que les artistes restent.

J’ai été moi-même producteur d’émissions pour France Culture, j’aime la radio, j’aime cette radio qui est un peu notre trésor à tous, j’aime l’écouter souvent des nuits entières, et j’aime en faire. Je ne devrais pas critiquer mes employeurs potentiels, je sais, je ne sais pas être prudent quand je suis touché, blessé.

Je souhaite une belle et longue vie à Leili Anvar, en espérant la retrouver, peut-être ailleurs, peut-être autrement. Avec le sourire.