Les Français sont nuls

A l’instar des étrangers, les Français sont nuls.

Hommage, chronique d’une haine malheureusement devenue ordinaire, conséquence d’une époque dans laquelle il est de plus en plus incertain de pouvoir vivre heureux en attendant la guerre.

En d’autres temps, d’autres mœurs poussaient l’homme (et la femme, ne soyons pas bêtement sexiste au point de penser que la gent féminine est incapable de suivre l’actualité politique pendant sa grossesse) à s’interroger sur son environnement, sur sa destinée. A penser à ce qui l’attendait, lui, ses enfants et la mère de ses enfants s’ils avaient eu le bonheur (ou l’imprudence) de se reproduire malgré l’état du monde entre cinq rediffusions de La Grande Vadrouille, deux scrutins présidentiels et la crainte plus ou moins justifiée de voir débouler les chars soviétiques dans les rues de Limoges en cas de victoire de la gauche. Ce qui aujourd’hui nous apparaît d’autant plus incongru, face l’état de cette gauche moderne qui s’émeut davantage d’une invasion putative de plombiers polonais que de la banalisation de la parole fleurie d’une droite s’épanouissant dans le compost des idées extrémistes. Surtout quand on sait que l’Union des Républiques Socialistes n’a pas résisté à l’effondrement d’un mur de construction est-allemande tandis que de l’autre côté de l’Atlantique, un potentat orange tente d’élever des barrières frontalières aux frais des populations qu’il entend refouler.

A l’époque, le citoyen lambda se préoccupait de son prochain au nom de l’amour d’autrui (sans craindre de se faire accuser de verser dans l’insulte islamophobe par les éditorialistes de tous bords) et se demandait avec raison si rêver de lendemains qui chantent était juste normal ou le signe d’un optimisme bêlant pendant que sous ses fenêtres, des imbéciles qui aiment à affirmer qu’ils sont chez eux (se croyant propriétaires d’une nation dont ils ne sont que les locataires éphémères tant que leur racisme leur prête vie) déroulaient des slogans xénophobes afin de mieux diviser pour mieux régner. Jadis (i.e. « dans un passé plus ou moins lointain », NDLA) on arrivait à se moquer des brassées de zozos qui ne voient pas plus loin que le bout d’un nez qu’ils préfèrent aquilins pour ne pas risquer de se faire dénoncer en cas de retour des corbeaux courageux qui envoyaient des missives « écrites » au moyen de lettres découpées dans des journaux imprimés avec de l’encre d’occupation. Sans sombrer dans une nostalgie suspecte, il y a moins de trente ans – une génération, le bel âge pour un Graves ou un Saint-Émilion, NDLA –, on savait encore se gausser subtilement de son prochain afin de pouvoir sinon supporter un quotidien plus morne qu’une plaine belge du moins de dédramatiser certaines situations tragiques à l’aune d’un humour cynique salvateur sans risquer de passer pour un pédant. C’étaient les années 80 ou ce qu’il en restait. L’homme se demandait s’il allait vivre assez longtemps pour voir ses enfants courir nus sous les bombes, il se demandait pourquoi quand il appuyait sur un bouton, au lieu d’avancer, ça reculait. Il s’interrogeait sur le fait de savoir si l’on peut rire de tout (« oui sans hésiter ») et avec n’importe qui (« c’est dur »)… Des années plus tard, c’est toujours aussi compliqué. Les staliniens ont beau ne plus être très nombreux, les terroristes hystériques ne font toujours pouffer personne et la présence (régulière mais inopportune) des militants d’extrême-droite sur les plateaux de télévision continue d’assombrir la jovialité numérique terrestre qui sied aux programmes intelligents.

En 2017, la faute à une campagne présidentielle qui a quand même produit un lot inédit d’ignominies et de mensonges à faire pâlir de jalousie tous les mythomanes patentés de la terre, la vis comica est devenue un art plus difficile qu’il n’y paraît. Le « pouvoir de faire rire » (et non l’invitation à enfermer les comiques, NDLA) semble avoir reculé devant les coups répétés des idéologues avertis et des professionnels de la communication qui veulent nous faire prendre des vessies pour des lanternes et les pseudo-patriotes pour des démocrates éclairés à la lampe torche paramilitaire. Difficile de faire sourire quand des tombereaux d’injures vous sont adressés parce que vous avez osé (sacrilège suprême) renvoyer à ses contradictions la passionaria d’un temps que les moins de vingt ans dans les Aurès ont connu et aimeraient voir accéder au pouvoir plus vite qu’un pur-sang de surcroît arabe lancé au galop.

Preuve en est avec ce que l’actualité récente nous offre quand il s’agit de moquer les saillies aléatoires (mais récurrentes) des groupies du nationalisme : en essayant le second voire le énième degré, on se retrouve à devoir répondre non seulement aux propagateurs de fausses nouvelles en désespoir de cause à quelques heures d’un scrutin pour flatter (dans un ultime racolage) les instincts primaires de leur électorat potentiel, mais aussi les défenseurs d’un humanisme marketé de près et les indignés de la dernière minute qui n’ont de cesse de regarder ailleurs en laissant les extrêmes s’installer sur les antennes et dans les pages des magazines avant de se dire, mais un peu tard, qu’on ne les y reprendrait plus.

Dans son Manuel de savoir-vivre à l’usage des rustres et des malpolis, Pierre Desproges se demandait – il n’avait pas tort, à la réflexion – « comment déclencher poliment une bonne guerre civile ? » Rien de plus simple : « pour que l’idée de guerre germe dans le cœur de l’homme, il suffit que l’homme entretienne en lui la haine de l’autre ». CQFD. Mais ce que vous oubliez en passant, tas de congénitaux sous-alimentés par les propos moisis de vos idoles passéistes, c’est que c’étaient les mots d’un ri-go-lo. C’était de l’humour. Vous savez, ce concept dont vous ignorez tout, des prémices à la finalité, qui consiste en l’expression du propre de l’homme, cette « forme d’esprit railleuse qui attire l’attention, avec détachement, sur les aspects plaisants ou insolites de la réalité ». Cette capacité à rire de tout, de vous-même, de la mort, pas avec tout le monde, tout le temps, qu’il pleuve qu’il neige qu’il vente (dussions-nous faire des calembours qui ne sont que des pets de l’esprit) est précieuse. Ce que vous oubliez encore, cuistres bouffis d’indigence et de malhonnêteté c’est que souvent – très souvent, avouons-le –, si la plume est trempée dans l’acide à zygomatiques, c’est pour mieux signifier votre incapacité à penser plus loin que votre carte de membre du parti ne pas en rire.

Puisque l’époque (encore elle !) en est à davantage railler les mots surannés qu’à dénoncer les sophismes faciles, des Réquisitoires du Tribunal des flagrants délires au Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis, en passant par La seule certitude que j’ai, c’est d’être dans le doute, il convient de (re)lire Desproges. Pour retrouver le goût des belles lettres, s’amuser, rire et se réjouir d’une langue à la virtuosité aujourd’hui saluée et qui fait cruellement défaut. Pour prendre du recul, pour faire de ces citations « j’essaie de ne pas vivre en contradiction avec les idées que je ne défends pas » et « la seule certitude que j’ai, c’est d’être dans le doute » des préceptes minute nécessaires. Pour dire haut et fort « le doute m’habite » sans trouver cela inconvenant…

Donc, les pisse-froids sont coupables et Pierre Desproges vous en convaincra mieux que moi.

  • Les réquisitoires du Tribunal des flagrants délires (2 tomes), éd. Points, 178 p., 6€50 chacun, en librairie le 18 mai
  • La seule certitude que j’ai, c’est d’être dans le doute, éd. Points, 96 p., 5€, en librairie le 18 mai
  • Tous les ouvrages de Pierre Desproges sont disponibles en Points parmi lesquels Chroniques de la haine ordinaireManuel de savoir-vivre à l’usage des rustres et des malpolis, Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis, Encore des nouilles et Des femmes qui tombent