Le Cabaret électrique : cirque sans Dieu ni Maître

Le Cabaret électrique © Hervé photograff

La semaine dernière c’était la première du Cabaret électrique à la porte des Lilas, au Cirque tout aussi électrique. Descendus d’un tram ou d’un métro, on a quelques dizaines de mètres à effectuer pour tomber sur un chapiteau pirate tombé du ciel, perdu autant qu’installé entre le périphérique et les immeubles et hôtels d’alentour.

Le Cabaret électrique © Hervé photograff

Ce cirque s’est posé là après avoir été crée en 1995 et propose plusieurs spectacles par trimestre, entre un esprit forain d’antan et celui d’une contre-culture aux partis pris affirmés, plein de gouaille.

On ne peut pas dire que ce soit les petits plats dans les grands sous ce chapiteau, c’est plutôt l’ambiance chaleureuse d’un bar de quartier populaire où l’ancien serait ancien et pas vernis d’hier. Une petite famille de choix et d’affection semble avoir pris possession des lieux et nous adopter un peu, un temps.

Le Cabaret électrique © Hervé photograff

On est guidés, accueillis par un « monsieur madame » tout sourire, on traverse la piste pour s’asseoir à une table ou sur les gradins face au mot « queer » qui domine et enveloppe le lieu. Le jeune homme des sandwichs en bas à droite sera musicien tout l’heure alors que le barman deviendra un étrange personnage long, long, lunaire. Le spectateur, plus inclus que voyeur, semble même faire parti d’un « nous » pour l’occasion.

Neuf circassiens, jongleurs, acrobates alternent pour un spectacle sous perfusion musicale continue de musiciens héritiers de ces Béruriers qui étaient noirs et de groupes de Londres, Berlin et d’ailleurs, des slogans lancinants comme « no god no master » accompagnent les numéros et contribuent à créer de petites bulles successives.

On alterne entre le glamour et l’effroi quand un acrobate semble tomber du ciel ou le commandant Bellini semble se plier en deux et que notre propre colonne vertébrale le supplie d’en rester là. Strip-tease aérien, sensualité envoûtante du personnage sombre poupée qu’est Lalla Morte dont le numéro plonge la salle en apnée. Les acrobates et funambules se soutiennent, se rejoignent, les visages fiers ou froids, héritiers des forains, du punk et des freaks, personnages masculins-féminins où le muscle est grâce et porte talons, un zeste de l’un, des pincées de l’autre.

Le Cabaret électrique © Hervé photograff

On monte haut, on redescend peu, le temps d’écouter le monsieur loyal à la fois nous faire patienter et nous relancer. C’est un zébulon historique, puisqu’il s’agit de Kiki Picasso, qui fut trublion dans le collectif Bazooka, qui sautille sous chapeau haut de forme pour lancer les numéros mais aussi des piques et hallebardes sur le monde du dehors, nous demandant si nous sommes islamo-gauchistes ou laïco-fascistes.

Chaque soir, Kiki Picasso a un invité venu présenter qui il est. Ce soir, ce ne sera pas Orlan qui est « juste » spectatrice, ni la fétiche Poupée Mecanik qui l’est tout autant mais le collectif Kourtrajmé, réalisateurs de films, courts et clips. L’actualité est de la soirée puisque Ladj Ly, du collectif précité, présente Les Misérables, un film traitant de violences policières dont les protagonistes en uniformes ont l’air tout autant acteurs que prisonniers d’une violence absurde.

Oui, c’était dit, écrit, revendiqué : « plus le temps de rire inutilement, plus le temps de se lamenter ». Alors on rit beaucoup avec et en échappant au monde, on frémit et les deux heures trente du spectacle défilent à vitesse grand V. L’entracte offrant l’occasion d’un paintball sur des visages rappelant étrangement ceux de candidats à notre grand désespoir électoral.

On sort en paix, on restera boire et refaire le monde si l’on veut, en se disant quand même que ce « la jeunesse emmerde le Front National », slogan des années 80 repris en boucle à la fin du spectacle, a malheureusement si mal vieilli…

On peut ne pas aller voir le Cirque électrique, oui on peut, mais ce serait dommage, par les temps qui courent : lever les yeux au ciel sous la lumière bleue, c’est cadeau sans Dieu ni Maitre.

Le Cabaret électrique © Hervé photograff

Le cabaret électrique, « cirque électrique », porte des Lilas, place du maquis du Vercors, 75020 Paris. Du mercredi au samedi à 21 heures, à partir de 17 ans car « on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans ». Tables disponibles sur réservation. Toutes les infos ici